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Rapport d'enquête ferroviaire R15D0118

Déraillement en voie principale
VIA Rail Canada Inc.
Train de voyageurs no 605
Point milliaire 6,30, subdivision de Montréal
de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Montréal (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 11 décembre 2015, vers 9 h 25, heure normale de l'est, le train de voyageurs no 605 de VIA Rail Canada Inc., transportant 14 voyageurs, roulait vers l'ouest sur la voie nord de la subdivision de Montréal de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. Au point milliaire 6,30, le train a déraillé alors qu'il négociait à 55 mi/h une liaison où la vitesse permise était de 15 mi/h. La voie a été endommagée sur une longueur d'environ 1600 pieds. Un employé des services de bord a été légèrement blessé.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le 11 décembre 2015, vers 9 h 10Note de bas de page 1, le train de voyageurs no 605 (le train) de VIA Rail Canada Inc. (VIA) à destination de Hervey-Jonction (Québec) a quitté la gare Centrale de Montréal (Québec) avec 14 voyageurs à son bord. Un mille plus loin, le train s'est engagé sur la subdivision de Montréal et a roulé sur la voie nord jusqu'à Turcot-Ouest, au point milliaire 6,20 (figure 1).

Figure 1. Plan de localisation (Source : Google Maps, avec annotations du BST)
Plan de localisation

Alors que le train roulait à environ 60 mi/hNote de bas de page 2 et qu'il se trouvait à environ 600 pieds de la liaison située au point milliaire 6,26 (liaison 75), l'équipe a constaté que les aiguillages étaient en position renversée et orientés vers la voie de marchandises. Les freins du train ont été serrés à fond. En négociant la liaison à une vitesse de 55 mi/h, le train a oscillé d'un côté à l'autre (photo 1, photo 2 etphoto 3) puis s'est immobilisé sur la voie de marchandises, environ 1600 pieds après la liaison.

L'inspection du train a révélé que la locomotive VIA 6413, placée au milieu du train, avait déraillé. Les voyageurs ont été transférés dans la partie avant du train et ramenés à la gare Centrale. Un employé des services de bord a été légèrement blessé.

Au moment de l'accident, le ciel était nuageux et la température était de 10 °C.

Photo 1. Vue à partir de la locomotive avant la liaison 75 (9 h 23 min 34 s)
Vue à partir de la locomotive avant la liaison 75
Photo 2. Vue à partir de la locomotive penchée vers la gauche (9 h 23 min 36 s)
Vue à partir de la locomotive penchée vers la gauche
Photo 3. Vue à partir de la locomotive penchée vers la droite (9 h 23 min 38 s)
Vue à partir de la locomotive penchée vers la droite

1.2 Examen des lieux

Le déraillement s'est produit à Turcot-Ouest, sur le tronçon de voie situé entre le viaduc de l'autoroute du Souvenir (autoroute 20) et le passage supérieur du boulevard Sainte-Anne-de-Bellevue (route 138). Cette zone est touchée par le projet de reconstruction de l'échangeur routier Turcot, qui prévoit le remplacement de plusieurs ponts d'étagement et le déplacement latéral des voies ferrées vers le nord. Il y a 4 voies ferrées signalisées : la voie principale sud, la voie principale nord, la voie de marchandises et la voie de transfert. Plusieurs liaisons permettent le passage des mouvements d'une voie à l'autre (figure 2).

Figure 2. Lieu du déraillement
Lieu du déraillement

Le train s'est immobilisé sur la voie de marchandises, à l'ouest du passage supérieur du boulevard Sainte-Anne-de-Bellevue, au droit du point milliaire 6,6. Le bogie menant de la deuxième locomotive (VIA 6413) a déraillé et s'est déplacé de 22 pouces du côté sud de la voie. La locomotive VIA 6413 a subi des dommages mineurs au chasse-pierres et au carter du moteur de traction du premier essieu. La première locomotive et les autres wagons sont restés sur les rails, attelés ensemble.

À partir du bogie déraillé de la locomotive VIA 6413, 2 sillons, l'un situé entre les rails et l'autre situé au sud de la voie, étaient visibles sur les traverses et le ballast. Ils s'étendaient vers l'est sur une distance d'environ 1600 pieds et s'arrêtaient à 50 pieds de la liaison 75. Sur cette distance, les traverses étaient entaillées. Des crampons, des selles de rails, des anticheminants et une éclisse étaient endommagés.

1.3 Équipe de train

L'équipe de train était composée de 2 mécaniciens de locomotive (ML). Ils connaissaient bien le territoire et répondaient aux normes en matière de repos et de condition physique. Ils répondaient tous deux aux exigences de leurs postes respectifs et avaient plus de 30 ans d'expérience comme ML. Après un congé de 4 jours, ils avaient commencé leur quart de travail au centre de maintenance de Montréal (CMM) à 7 h 40.

1.4 Train no 605

Le train était formé de 2 trains joints ensemble (en configuration « J »). Le premier train, qui devait se rendre à Jonquière (Québec), était constitué de la locomotive de tête (VIA 6401) et de 2 voitures. Il était attelé à un deuxième train à destination de Senneterre (Québec), qui comportait la locomotive VIA 6413 et 2 autres voitures. Les 2 trains devaient rester attelés jusqu'à Hervey-Jonction, où ils seraient séparés et dirigés vers leurs destinations finales. Aucune anomalie n'a été décelée sur le train lors de son inspection mécanique au CMM, ni lors de son passage par le système de détection en voieNote de bas de page 3 (SDV), situé au point milliaire 4,8. Le résultat de l'inspection a été diffusé sur le canal d'attente après le passage du train.

1.5 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Montréal appartient à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). Elle s'étend de Cape (jonction avec la subdivision de St-Hyacinthe), au point milliaire 1,2, près de la gare Centrale, jusqu'à Dorval (Québec), au point milliaire 11,6. Les mouvements de train sont régis par le système de commande centralisée de la circulation (CCC) aux termes du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), sous la supervision d'un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Montréal.

La subdivision comprend 2 voies principales et, sur certains tronçons, il y a des voies signalisées additionnelles. Par exemple, la voie signalisée de marchandises débute au point milliaire 3,5, à St-Henri, et s'étend jusqu'au point milliaire 8,9. Dans la zone de déraillement, la vitesse permise pour les trains de voyageurs est de 70 mi/h sur les voies principales nord et sud. Sur la voie de marchandises, les mouvements de train sont limités à 30 mi/h.

La subdivision de Montréal fait partie du corridor ferroviaire Québec-Windsor. Elle est empruntée par les trains de VIA en provenance et à destination d'Ottawa (Ontario), de Toronto (Ontario), et du nord du Québec. La circulation ferroviaire y est constituée d'une cinquantaine de trains par jour, dont une trentaine de trains de voyageurs.

1.6 Particularités de la voie

Dans le secteur de l'accident, les voies sont composées de rails de 132 livres. Les rails reposent sur des selles de 14 pouces à double épaulement fixées aux traverses par 4 crampons. Des anticheminants encadrent 1 traverse sur 2, et le ballast est composé de pierre concassée de ½ pouce à 2 pouces.

La liaison 75 est composée de 2 branchements no 10 munis d'un aiguillage à double commande. Ces branchements sont conçus pour un mouvement circulant à une vitesse de 15 mi/h ou moins. Les inspections ont été effectuées conformément aux dispositions du Règlement concernant la sécurité de la voie. La dernière inspection visuelle de la voie, qui a eu lieu le 10 décembre 2015, n'a révélé aucun défaut.

1.7 Système de commande centralisée de la circulation

La circulation des trains dans la subdivision de Montréal est régie par la CCC aux termes du REF. La CCC utilise des circuits de voie et des signaux de terrain reliés entre eux (signaux contrôlés, avancés et intermédiaires) pour contrôler la circulation des trains. Le système est conçu de façon à ce que les trains reçoivent une série de signaux qui indiquent aux équipes les mesures à prendre selon les signaux affichés.

Quand un CCF demande des signaux contrôlés pour un train, le système de signalisation détermine le degré de permissivité des signaux. Dans le bureau du CCF, l'occupation de la voie entre les points contrôlés est affichée sur un écran d'ordinateur. Les trains approchant des signaux contrôlés sont dirigés par des signaux avancés. Des signaux intermédiaires sont aussi actionnés par la présence d'un train.

Les signaux informent les équipes de train de la vitesse à laquelle elles peuvent circuler. De plus, les signaux offrent une protection contre certaines conditions, comme un canton occupé, un rail brisé ou un aiguillage laissé ouvert.

Les équipes doivent bien connaître la signification des signaux, et doivent être en mesure de contrôler leurs trains conformément à ces règles. La CCC n'offre aucune forme d'exécution automatique pour ralentir ou immobiliser un train qui passerait outre à un signal d'arrêt ou à d'autre forme de limitation.

1.8 Indications des signaux

L'itinéraire établi par le CCF pour le train de la gare Centrale à Turcot-Ouest a été enregistré dans le système de contrôle de la circulation ferroviaire. L'itinéraire ne montrait aucun mouvement incompatible. Il devait permettre au train de rouler sur la voie nord puis passer sur la liaison 75 pour accéder à la voie de marchandises. Le mouvement des trains à cet emplacement est régi par le signal avancé 39C et le signal contrôlé 74L (figure 3).

Figure 3. Itinéraire du train
Itinéraire du train

L'examen des enregistrements a permis de confirmer les indications de ces 2 signaux. À la sortie du tunnel de l'échangeur Turcot (point milliaire 4,23), le signal avancé 39C, situé 2500 pieds plus loin, était visible et indiquait « de vitesse normale à petite vitesseNote de bas de page 4 ». Les membres de l'équipe ont identifié à haute voix le signal 39C et ont convenu qu'il affichait « de vitesse normale à petite vitesse ». Le signal 74L est devenu visible à une distance de 1600 pieds et indiquait « de petite vitesse à vitesse normaleNote de bas de page 5 ». Les membres de l'équipe n'ont pas annoncé ce signal à haute voix tel que l'exige la règle 34 du REF.

1.9 Règle 42 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

Lorsqu'un chemin de fer effectue des travaux planifiés, la règle 42 du REF est mise en place afin de protéger le matériel et les équipes de travaux contre les mouvements de trains. Une règle 42, qui est émise comme bulletin de marcheNote de bas de page 6, indique les limites de la zone de travaux, les heures pendant lesquelles elle est en vigueur, et nomme le contremaître responsable de son application (le contremaître).

Avant qu'une règle 42 n'entre en vigueur, le CCF et le contremaître doivent s'entendre sur les voies sur lesquelles les trains circuleront lorsqu'ils auront à franchir la zone protégée. Si une voie sera mise hors service en raison des travaux, le contremaître doit prendre une entente avec le CCF afin de s'assurer qu'aucun train ne sera orienté sur cette voie. Ces ententes peuvent être annulées ou changées à tout moment lorsque la règle 42 est en vigueur.

La règle 42 exige que le contremaître protège sa zone de travaux selon la règle 842 (Protection prévue – règle 42). Cette dernière stipule ce qui suit :

[…]

En CCC, lorsque la protection en vertu de la règle 842 est en vigueur sur plus d'une voie ou lorsque les branchements signalisés se trouvent dans la zone, le contremaître et le CCF doivent se mettre parfaitement d'accord par écrit sur l'itinéraire que les mouvements doivent emprunter. Les instructions que le contremaître donne au mouvement doivent être identiques à l'entente prise avec le CCF. Si le contremaître doit faire passer un mouvement sur une voie en particulier lorsque l'entente avec le CCF a été prise pour plus d'un itinéraire, le contremaître doit prendre une nouvelle entente avec le CCF avant d'autoriser le mouvementNote de bas de page 7.

[…]

Lorsqu'un train doit franchir les limites d'une règle 42, l'équipe de train doit communiquer avec le contremaître afin d'obtenir ses instructions. Le contremaître doit s'assurer auprès des employés travaillant sous sa protection qu'il peut faire passer un train dans la zone protégée avant de transmettre ses instructions à l'équipe de train. Il doit spécifier les voies qui peuvent être utilisées et les restrictions, s'il y a lieu. Comme le précise la règle 842, « [l]es instructions que le contremaître donne au mouvement doivent être identiques à l'entente prise avec le CCFNote de bas de page 8 ».

L'itinéraire du train no 605 le menait à franchir la zone de travaux de l'échangeur routier Turcot où plusieurs autoroutes se croisent par l'intermédiaire de ponts d'étagement et de bretelles surélevées. En 2012, des travaux majeurs ont été amorcés afin de reconstruire cet échangeur. Étant donné que les travaux peuvent empiéter sur l'emprise ferroviaire, le CN a recours à la règle 42 pour assurer le passage des trains en toute sécurité. La règle 42 est en vigueur 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

1.10 Gestion de la règle 42

Le jour de l'accident, le contremaître avait 3 groupes d'employés travaillant sous sa protection et devait communiquer avec chacun d'entre eux avant de permettre à un train de franchir la zone de travaux. Entre le début de son quart de travail (6 h) et 9 h 15, le contremaître avait transmis des instructions à 11 trains différents. De plus, il avait eu 8 conversations avec le CCF.

Vers 6 h 58, le contremaître et le CCF étaient arrivés à l'entente suivante :

Entre le moment de l'entrée en vigueur de l'entente et l'arrivée du train no 605 de VIA, 1 train de marchandises et 2 trains de voyageurs ont franchi la zone de la règle 42. Un examen des instructions données aux trains a révélé que le contremaître n'avait pas inclus la section de la voie de marchandises entre Turcot-Ouest et le point milliaire 7,0 pour les trains de VIA, alors qu'il l'avait incluse pour le train de marchandises (annexe A). D'autres contremaîtres partageaient également cette pratique de raccourcir les instructions données aux trains de VIA et d'omettre certains renseignements.

1.11 Règle 34 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

Selon la règle 34 du REF (Reconnaissance et observation des signaux fixes), les membres d'une équipe de train doivent communiquer entre eux les signaux influant sur le mouvement de leur train. La règle se lit comme suit :

[…]

(b)  Les membres de l'équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiqueront d'une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu'ils sont tenus d'annoncer. Tout signal influant sur un mouvement doit être nommé à haute voix dès l'instant où il est reconnu formellement; cependant, les membres de l'équipe doivent surveiller les changements d'indication et, le cas échéant, s'en faire part rapidement et agir en conséquenceNote de bas de page 10.

[…]

1.12 Instructions de VIA Rail Canada Inc.

Les ML de VIA sont visés par des instructions particulières de VIA. La section 6 des Instructions trains voyageurs vise la conduite des trains et précise ce qui suit :

6.1 Généralités

Il incombe aux mécaniciens de locomotive d'utiliser les méthodes appropriées de conduite des locomotives et des trains. Ils doivent faire tout leur possible pour économiser le carburant et réduire au minimum l'usure des semelles de freins et des roues. L'attention au confort des passagers et des employés à bord du train doit être primordiale.

[…]

  1. avoir recours à la modulation de la traction pour régler la vitesse du train;
  2. avoir recours au frein rhéostatique comme effort de freinage initial, lorsque c'est faisable; […]
  3. utiliser le freinage mixte si le frein rhéostatique ne suffit pas.

[…]

À la sortie du tunnel de l'échangeur Turcot, l'équipe de train a identifié le signal 39C alors que le train roulait à environ 40 mi/h. Le manipulateur de vitesse a été avancé au huitième cran et le train a continué à accélérer jusqu'à une vitesse de 60 mi/h.

1.13 Itinéraire des trains de VIA Rail Canada Inc.

Le CCF évite de retarder les trains de voyageurs. En général, ceux-ci demeurent sur les voies principales sud et nord, et circulent rarement sur la voie de marchandises. Entre le 1er septembre 2015 et le jour de l'accident, les trains de VIA à destination du nord du Québec ont circulé à 43 occasions. Après le départ de la gare Centrale, le train a parcouru environ 7,5 milles dans la subdivision de Montréal. Entre St-Henri et Turcot-Ouest, l'itinéraire spécifique de ces trains a été examiné, et les 2 faits suivants ont pu être observés :

La dernière fois que le CCF avait orienté un train à destination du nord du Québec de la voie nord à la voie de marchandises à Turcot-Ouest remontait au 2 décembre 2015. À cette occasion, il s'agissait de la même équipe aux commandes du train, et la règle 42 était en vigueur. Lors du passage du train dans la zone de travaux, le contremaître de la règle 42 avait autorisé le passage du train avec les 3 instructions suivantes :

1.14 Recommandations relatives au respect des signaux

À la suite de l'enquête sur la collision entre 2 trains du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) survenue en 1998 à proximité de Notch Hill (Colombie-Britannique) (rapport d'enquête ferroviaire R98V0148 du BSTNote de bas de page 11), le Bureau a déterminé que les mesures de sécurité supplémentaires relatives aux indications des signaux étaient insuffisantes. Le Bureau a donc recommandé que

Le ministère des Transports et l'industrie ferroviaire mettent en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires afin de s'assurer que les membres des équipes identifient les signaux et s'y conforment de façon uniforme.
Recommandation R00-04 du BST

Au terme de l'enquête sur le déraillement et la collision du train VIA 92 survenus en 2012 à proximité de Burlington (Ontario), dans la subdivision d'Oakville du CN (rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BSTNote de bas de page 12), le Bureau a indiqué que Transports Canada (TC) et l'industrie devraient miser sur une stratégie qui empêchera de tels accidents en veillant à ce que les signaux, les vitesses de marche et les limites d'exploitation soient toujours respectés. Le Bureau a donc recommandé que

Le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens de voyageurs et de marchandises mettent en œuvre des méthodes de contrôle des trains à sécurité intrinsèque, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.
Recommandation R13-01 du BST

En mars 2016, le Bureau a réévalué les réponses aux recommandations R00-04Note de bas de page 13 et R13-01Note de bas de page 14, les jugeant en partie satisfaisantes. Il a reconnu que des mesures avaient été mises en œuvre pour étudier les lacunes de sécurité et procurer éventuellement une solution à long terme. Cependant, il n'existait pas de plans à court terme pour parer au risque d'une collision ou d'un déraillement grave de trains en l'absence de mesures de sécurité supplémentaires.

1.14.1 Progrès récents relatifs à la recommandation R13-01

Faisant suite à la recommandation R13-01, le Groupe de travail sur la commande des trains a été mis sur pied sous les auspices du Conseil consultatif sur la sécurité ferroviaire (CCSF) afin d'étudier les technologies de commande des trains et d'évaluer si elles conviennent aux activités ferroviaires du Canada, en se concentrant plus particulièrement sur les corridors à grande vitesse. Dans son rapport final, présenté au CCSF le 20 septembre 2016, le Groupe de travail a recommandé que la meilleure option pour le Canada serait une mise en œuvre des technologies de commande des trains améliorée (CTA) qui serait ciblée, fondée sur les risques et propre à chaque corridor.

De plus, le CN collabore avec TC et d'autres intervenants de l'industrie afin de trouver une solution commune aux méthodes de contrôle des trains à sécurité intrinsèque. Le CN participe à un comité directeur et à un groupe de travail technique qui a été créé afin d'aider à trouver ces solutions.

1.15 Systèmes de contrôle des trains

L'industrie ferroviaire a mis au point des technologies qui visent à réduire le risque d'une interprétation erronée ou de non-conformité aux indications des signaux. Les technologiesNote de bas de page 15 suivantes sont en usage ou en voie de développement :

1.15.1 Systèmes de signalisation en cabine

En 1922, l'Interstate Commerce Commission (ICC) des États-Unis a rendu une décision exigeant que les compagnies ferroviaires des États-Unis installent avant 1925 une certaine forme de contrôle automatique des trains (automatic train control, ou ATC) dans la totalité d'une division pour transport de voyageurs. C'est dans la foulée de cette décision que les premiers systèmes de signalisation en cabine ont été mis au point et implantés aux États-Unis. Ces systèmes ont évolué de façon à inclure d'autres technologies, et demeurent en usage dans certains corridors de trains de voyageurs aux États-Unis. Par exemple, les cabines des locomotives Acela d'Amtrak sont équipées d'une signalisation en cabine incorporant en superposition une technologie d'arrêt automatique du train. Au Canada, aucun système de signalisation en cabine n'est actuellement utilisé par les compagnies ferroviaires de transport de voyageurs ou de marchandises.

La signalisation en cabine est un système de communication qui fournit de l'information sur l'état d'occupation des voies au moyen d'un dispositif d'affichage installé dans la cabine de la locomotive. Les systèmes les plus simples affichent l'indication des signaux en voie, tandis que les systèmes plus perfectionnés indiquent aussi les vitesses maximales admissibles. La signalisation en cabine peut être combinée à un système ATC pour avertir les équipes de conduite de l'approche d'un point de restriction et pour déclencher l'exécution forcée du ralentissement ou de l'arrêt d'un trainNote de bas de page 16.

1.15.2 Commande intégrale des trains

La collision entre un train de voyageurs de Metrolink et un train de marchandises de l'Union Pacific survenue à Chatsworth (Californie) en septembre 2008 a entraîné l'adoption de la Rail Safety Improvement Act of 2008. Cette loi rendait obligatoire l'installation, au plus tard en 2015, du système de commande intégrale des trains (positive train control, ou PTC) sur les lignes ferroviaires à risque plus élevé des États-Unis. Cependant, en raison d'un certain nombre de difficultés techniques, on s'attend à ce que l'installation de ce système aux États-Unis ne soit pas terminée avant le 31 décembre 2018, et pourrait être davantage retardée par les chemins de fer individuels avec la permission de la Federal Railroad Administration (FRA) au cas par cas. De plus, avant son utilisation en service commercial, la FRA doit certifier la technologie et son application pour chaque chemin de fer.

Le PTC est un système visant à prévenir

Au Canada, il n'existe actuellement aucun PTC en usage sur les chemins de fer de marchandises ou de voyageurs, et aucune installation d'un tel système n'est prévue pour les chemins de fer de compétence fédérale. La technologie PTC ne sera vraisemblablement mise en œuvre au Canada que plusieurs années après la fin de son implantation aux États-Unis.

1.15.3 Système de sécurité ferroviaire par GPS de VIA Rail Canada Inc.

VIA est en train d'élaborer un système de sécurité ferroviaire par GPS pour aider les ML dans la conduite de leur train. Cette technologie est basée sur une intégration en cabine d'une boucle de communication par GPS avec rétroaction en temps réel. Le système proposé serait constitué des éléments suivants :

Le concept a été testé à la fin de 2015 et en 2016 à l'aide d'un prototype, et des essais additionnels se poursuivront.

1.16 Autres événements mettant en cause une mauvaise interprétation des instructions de la règle 42 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

D'autres événements récents dans le cadre desquels des instructions de la règle 42 du REF ont été mal interprétées comprennent

1.17 Déviation sur des liaisons à petite vitesse

Le 18 avril 2012, le BST a envoyé à TC l'avis de sécurité ferroviaire 02/12 par suite de l'accident de VIA survenu à proximité de Burlington. Cet avis indiquait qu'étant donné la gravité des conséquences d'un déraillement de train de voyageurs, TC pourrait souhaiter revoir les procédures d'exploitation et les situations dans lesquelles des trains de voyageurs à plus grande vitesse sont orientés sur des liaisons équipées de branchements no 12, où la vitesse autorisée est plus faible.

Le 30 mai 2012, TC a répondu qu'il incombait à l'employé de reconnaître les indications des signaux et de s'y conformer. Par ailleurs, TC a indiqué que l'élimination des liaisons à 15 mi/h n'empêcherait pas un événement similaire de se produire en cas d'une vitesse excessive survenant alors qu'un train qui roule jusqu'à 100 mi/h est orienté sur une liaison à 45 mi/h.

1.18 Recommandations sur les enregistreurs de locomotive

Un certain nombre d'enquêtes sur des accidents ferroviaires en Amérique du Nord ont mené à des constatations, à des recommandations et à d'autres communications de sécurité où des facteurs humains étaient reconnus comme une condition sous-jacente. Dans bien des cas, un enregistrement des communications de l'équipe immédiatement avant l'accident aurait été utile aux enquêteurs.

Aux termes de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, ces enregistrements sont protégés et ne peuvent être utilisés que dans le cadre d'une enquête du BST.

À la suite de l'enquête sur l'événement de 1999 mettant en cause un train de VIA survenu près de Trenton Junction (Ontario) (rapport d'enquête ferroviaire R99T0017 du BSTNote de bas de page 17), le Bureau a recommandé que

Le ministère des Transports, en collaboration avec l'industrie ferroviaire, établisse des normes nationales exhaustives en matière des enregistreurs de données de locomotive qui comprennent un dispositif d'enregistrement des conversations de cabine combiné aux systèmes de communication de bord.
Recommandation R03-02 du BST

Par suite de l'enquête sur le déraillement du train VIA 92 survenu en 2012 à proximité de Burlington (rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BSTNote de bas de page 18), le Bureau a recommandé que

Le ministère des Transports exige que toutes les locomotives de commande utilisées en voie principale soient pourvues de caméras vidéo dans la cabine.
Recommandation R13-02 du BST

En mars 2016, le Bureau a réévalué les réponses aux recommandations R03-02Note de bas de page 19 et R13‑02Note de bas de page 20 comme étant en partie satisfaisantes. Le Bureau s'est réjoui que TC et les intervenants de l'industrie aient convenu de collaborer à l'étude conjointe lancée par le BST en mai 2015 sur l'usage des enregistreurs audio-vidéo de locomotive (EAVL).

1.19 Étude du BST sur les enregistreurs audio-vidéo de locomotive

L'objectif de l'étude lancée par le BST avec la participation de l'industrie était d'évaluer, à petite échelle, la technologie actuelle, les enjeux législatifs et réglementaires, les facteurs opérationnels et humains, et les avantages potentiels pour la sécurité d'un recours accru aux enregistreurs de bord.

L'étude a permis de repérer certaines pratiques exemplaires, de cerner et d'évaluer des problèmes de mise en œuvre, et de recueillir l'information contextuelle nécessaire pour dresser un plan d'action sur l'utilisation des EAVL. Les intervenants du secteur ferroviaire s'entendent sur la valeur fondamentale de ce type de données. Cependant, un certain nombre d'opinions divergentes persistent sur l'utilisation à bon escient des EAVL. Si ces différentes perspectives pouvaient être conciliées, l'implantation de cette technologie pourrait apporter au secteur ferroviaire des avantages considérables pour la sécurité. L'étude a été publiée en septembre 2016.

1.20 Locomotive VIA 6401

La locomotive VIA 6401 était de modèle F40PH-2D. Elle avait été construite par la General Motors Electro-Motive Division en 1986, et reconditionnée en 2012. Cette locomotive était équipée d'une caméra orientée vers l'avant. VIA avait installé un système prototype afin d'enregistrer les conversations dans la cabine de la locomotive dans le cadre de l'étude lancée par le BST visant les EAVL. Ces enregistrements ont été synchronisés avec l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant.

VIA effectuait les essais du système d'enregistrement prototype sur la locomotive VIA 6401 quand elle n'était pas en service. Le jour de l'accident, le système prototype était demeuré activé, ce qui a permis au BST d'avoir accès aux enregistrements. La qualité du son était médiocre, et un bruit ambiant constant nuisait à la bonne compréhension des conversations.

1.21 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance renferme les enjeux qui font courir les plus grands risques au système de transport du Canada. Le BST la publie pour attirer l'attention de l'industrie et des organismes de réglementation sur les problèmes qui nécessitent une intervention immédiate.

1.21.1 Respect des indications des signaux ferroviaires

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, il existe un risque de collision ou de déraillement grave de trains si les signaux ferroviaires ne sont pas reconnus et respectés de façon uniforme.

La Liste de surveillance de 2016 précise qu'il faut mettre en place des moyens de défense physiques supplémentaires afin de s'assurer que les indications des signaux sont reconnues et respectées de façon uniforme.

1.21.2 Enregistreurs audio-vidéo de locomotive

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, étant donné qu'aucune disposition n'exige la présence d'enregistreurs audio-vidéo à bord des locomotives, des renseignements cruciaux pour améliorer la sécurité ferroviaire pourraient ne pas toujours être disponibles à des fins d'enquête sur les accidents et de gestion proactive de la sécurité.

La Liste de surveillance de 2016 précise que le recours accru aux données des EAVL dans le cadre d'une gestion proactive de la sécurité doit concilier judicieusement les droits et obligations de toutes les parties.

Il convient de résoudre les divergences à propos de l'utilisation à bon escient des enregistreurs et d'adopter les lois nécessaires pour mettre en œuvre la technologie d'EAVL sans plus tarder.

1.22 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a complété les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

Il n'y avait aucun défaut de voie ni défaut de signaux dans la zone de déraillement. Par ailleurs, le train était en bon état au moment de son départ du centre de maintenance, et aucune anomalie n'a été signalée lors du passage du train au système de détection en voie. Par conséquent, l'analyse se concentrera sur les activités du contremaître de la règle 42, la conformité aux signaux, et les enregistreurs à bord de la locomotive.

2.1 L'accident

Lorsque le train s'est engagé dans la liaison 75, il roulait à environ 55 mi/h, alors que la vitesse permise pour ce genre de liaison est de 15 mi/h. Selon les images fixes tirées des caméras orientées vers l'avant des locomotives, en négociant la liaison, le train a oscillé d'un côté à l'autre. Ces oscillations sont dues aux forces dynamiques induites par la vitesse élevée et par le changement de courbure de la liaison. Ces forces tendent à pousser le matériel roulant vers l'extérieur de la courbe et à provoquer une inclinaison et un transfert de poids, qui peut occasionner un soulèvement des roues. Dans l'événement à l'étude, l'angle d'inclinaison avait atteint 17 degrés et, par conséquent, les roues avaient complétement quitté la surface du rail. Les forces dynamiques induites par la vitesse de 55 mi/h du train et par la géométrie de la liaison 75, qui était conçue pour une vitesse de 15 mi/h, ont provoqué un transfert de poids qui a occasionné le soulèvement des roues et le déraillement de la locomotive VIA 6413.

2.2 Non-conformité au signal

Les distances de visibilité des signaux 39C et 74L étaient assez grandes pour permettre à l'équipe de train d'identifier les signaux, d'y réagir et de s'y conformer à temps. Le signal avancé 39C présentait une indication « de vitesse normale à petite vitesse », qui signifiait d'approcher le signal suivant à une vitesse de 15 mi/h. Le manipulateur de vitesse a été avancé au huitième cran, et le train a accéléré, sa vitesse passant de 40 mi/h à 60 mi/h.

Bien que le signal 74L, qui exigeait une vitesse de 15 mi/h, soit devenu visible à une distance de 1600 pieds, les membres de l'équipe ne l'ont pas annoncé à haute voix, et aucune mesure n'a été prise par l'équipe pour ralentir le train. Le train a franchi ce signal à une vitesse de 60 mi/h et s'est donc engagé dans la liaison 75 à une vitesse excessive.

2.3 Modèle mental

La compréhension générale d'une situation est fondée sur plusieurs facteurs, y compris l'expérience, les connaissances et la perception des indices externes, ce qui crée un modèle mental, c'est-à-dire une représentation mentale de la compréhension de la situation. Les modèles mentaux permettent aux personnes de décrire, d'expliquer et de prédire des événements et des situations dans leur environnementNote de bas de page 21. Les mécaniciens de locomotive (ML) maintiennent la connaissance de la situation en se créant continuellement des modèles mentaux. Il est difficile de modifier un modèle mental après sa création. Pour changer la façon de penser d'une personne, il faut remplacer son modèle mental par un autre en fournissant de l'information nouvelle qui soit suffisamment perceptible et convaincante pour induire l'actualisation du modèle mental. La capacité de la mémoire de travail est limitée. Conséquemment, une partie seulement des indices perceptibles sont retenus en mémoire. Il en résulte des modèles mentaux simples et incomplets qui sont créés pour comprendre un environnement de travail dynamique et complexeNote de bas de page 22.

Lors de l'accident à l'étude, le train n'a pas abordé le signal contrôlé de Turcot-Ouest comme si son équipe s'était attendue à rencontrer un signal « de petite vitesse à vitesse normale » obligeant le train à s'engager sur la voie de marchandises à une vitesse de 15 mi/h. Lorsque le signal 39C a été identifié, le train circulait déjà à environ 40 mi/h, alors que le signal suivant se trouvait à environ 1 mille. De plus, le manipulateur de vitesse a été avancé au huitième cran, et le train a continué son accélération jusqu'à une vitesse de 60 mi/h. Comme, aux termes des instructions d'exploitation de VIA, le ML devait commencer à planifier le ralentissement du train pour se conformer à l'indication du signal, la conduite du train laisse supposer un modèle mental selon lequel le train devait demeurer sur la voie nord à Turcot-Ouest.

Même si le train à destination de Jonquière peut, exceptionnellement, être dévié sur la voie de marchandises à Turcot-Ouest, comme c'était arrivé 9 jours avant l'accident, son itinéraire habituel était la voie nord. Le jour de l'accident, le train no 605 de VIA avait reçu l'autorisation du contremaître d'emprunter la voie nord ou la voie sud jusqu'au point milliaire 7,0; il n'y avait aucune mention de la voie de marchandises dans les instructions fournies. Par conséquent, l'itinéraire habituel du train, ainsi que les instructions du contremaître, qui n'incluaient pas la voie de marchandises, menaient les membres de l'équipe de train à anticiper qu'ils allaient demeurer sur la voie nord à Turcot-Ouest et qu'ils pouvaient poursuivre leur trajet sans réduire la vitesse du train.

2.4 Gestion de la règle 42

De par l'ampleur du chantier et le volume de trafic ferroviaire, la zone de travaux de l'échangeur routier Turcot présentait des difficultés particulières pour la mise en place et la gestion de la règle 42 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF). En effet, les contremaîtres en charge de la règle 42 étaient responsables de la protection de plusieurs équipes de travaux réparties sur l'ensemble de la zone de construction et devaient gérer le passage d'une cinquantaine de trains par jour, dont une trentaine de trains de voyageurs. Comme la protection des mouvements de train nécessitait de multiples appels au contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF), aux équipes de trains et aux équipes de travaux, la charge de travail du contremaître ainsi que sa complexité pouvait devenir élevée, particulièrement durant le jour, du fait de la plus grande fréquence des trains de VIA.

Par ailleurs, il a été noté qu'en général, les trains de VIA circulaient sur les voies principales nord et sud et étaient rarement déviés par le CCF vers la voie de marchandises. Par conséquent, certains contremaîtres étaient portés à croire que les trains de VIA n'étaient pas orientés sur la voie de marchandises.

L'itinéraire habituel des trains de VIA portait certains contremaîtres à donner des instructions raccourcies aux trains de VIA pour alléger les procédures d'autorisation pour le passage des trains dans la zone de travaux; ces instructions raccourcies n'incluaient pas la voie de marchandises, comme l'illustre le scénario qui s'est déroulé le matin de l'accident. Le contremaître responsable de la règle 42 avait pris une entente avec le CCF pour l'utilisation exclusive d'une portion de la voie de marchandises. Par conséquent, le CCF avait, comme itinéraires disponibles pour les trains, la voie nord ou la voie sud à partir du point milliaire 2,05 jusqu'à Turcot-Ouest, et toutes les voies à partir de Turcot-Ouest. Quand le contremaître communiquait ces instructions aux trains, celles-ci devaient coïncider avec les itinéraires du CCF. Cependant, lorsque le contremaître a communiqué avec les trains de VIA, il n'a pas inclus la section de la voie de marchandises entre Turcot-Ouest et le point milliaire 7,0, mais l'a incluse pour le train de marchandises. Si les contremaîtres de la voie donnent des instructions relatives à la règle 42 du REF qui ne coïncident pas avec tous les itinéraires possibles des trains, les équipes de train pourraient mal comprendre et mal interpréter les instructions, ce qui augmente les risques d'accident.

2.5 Respect des indications des signaux

En ce qui concerne l'exploitation des trains en territoire signalisé, les chemins de fer et Transports Canada (TC) ont fondé leur philosophie de la sécurité sur le respect rigoureux des règles. On s'attend à ce que les équipes de train réagissent aux indications progressives des signaux en voie.

Dans un système complexe comme celui du transport ferroviaire, même l'ensemble de règles le plus rigoureux ne couvre pas toutes les situations et ne peut prendre en compte les interprétations de chaque personne. En outre, même les employés motivés et expérimentés sont sujets aux bévues, méprises et erreurs normales qui caractérisent le comportement humain. La philosophie de défense en profondeur préconisée par les spécialistes de la sécurité pour les systèmes complexes consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples pour atténuer les risques d'erreur humaine normale.

Le système de commande centralisée de la circulation (CCC) utilise des circuits de voie et des signaux de terrain reliés entre eux pour contrôler la circulation des trains. Les signaux informent les équipes de train de la vitesse à laquelle elles peuvent circuler. Ce moyen de défense est fondé sur le respect de l'indication du signal, la reconnaissance de son intention et la prise de mesures appropriées par l'équipe de train. Afin de renforcer cette ligne de défense, la règle 34 du REF, une mesure administrative additionnelle, exige que tous les signaux soient identifiés et annoncés à l'intérieur de la cabine dans le but de réduire les risques de non-conformité aux signaux.

Cependant, la règle 34 n'est pas suivie de façon uniforme. Lors de l'accident à l'étude, l'équipe de train s'est conformée à cette règle pour l'identification du signal avancé 39C; par contre, le signal 74L n'a pas été communiqué par les membres de l'équipe comme l'exige la règle 34. Le train n'a pas abordé le signal contrôlé 74L de Turcot-Ouest comme il devait le faire selon les indications des signaux, c'est-à-dire à 15 mi/h afin de traverser en toute sécurité la liaison 75. Étant donné que la règle 34 du REF n'est pas suivie de façon uniforme, cette mesure de sécurité additionnelle n'est pas toujours fiable pour réduire les incidences de non-conformité aux signaux.

Même si les compagnies de chemin de fer ont mis en place des mesures de sécurité pour aider à prévenir les accidents, comme le recours à des équipes de 2 personnes, la règle 34 du REF, les Instructions générales d'exploitation et le système de CCC, aucune de ces mesures ne saurait protéger pleinement les trains contre la non–application ou la mauvaise application d'une règle. Ces mesures de sécurité n'assurent pas une protection de tous les instants contre les accidents de train. Il existe d'autres mesures de sécurité qui offrent la possibilité d'alerter l'équipe lorsque celle–ci ne réagit pas correctement à un signal ou à une autre restriction. Certains de ces systèmes, comme le système de commande intégrale des trains (positive train control, ou PTC), peuvent intervenir (en dernier recours) pour commander le serrage des freins et faire ralentir ou arrêter le train.

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a 2 recommandations en suspens demandant la mise en œuvre de moyens de défense additionnels en territoire signalisé pour s'assurer que les membres des équipes reconnaissent bien les indications des signaux et s'y conforment de façon uniforme. Dans l'événement à l'étude, les indications des signaux étaient appropriées, mais n'ont pas été respectées. Cela est vrai aussi pour d'autres accidents sur lesquels le BST a enquêté, et montre que les moyens de défense actuels sont insuffisants pour réduire les risques de collision et de déraillement quand les indications des signaux ne sont pas correctement reconnues ou respectées. Si d'autres moyens de défense physiques pour le contrôle des trains en territoire signalisé ne sont pas mis en place, les risques de collision et de déraillement sont augmentés quand les indications des signaux ne sont pas correctement reconnues ou respectées.

2.6 Enregistreurs audio-vidéo de locomotive

Des données objectives sont précieuses pour aider les enquêteurs à comprendre la séquence des événements qui mènent à un accident et à cerner les problèmes d'exploitation où interviennent des facteurs humains et le rendement des équipes. Des enregistrements audio-visuels permettraient aux enquêteurs du BST de confirmer les communications entre les membres des équipes et d'observer leurs actions et interactions. De ce fait, les enquêteurs pourraient se concentrer sur les facteurs fondamentaux d'un accident et écarter plus rapidement les facteurs qui n'y ont joué aucun rôle.

Bien que l'enregistrement des conversations dans la cabine de la locomotive ait été de piètre qualité, le Laboratoire du BST a pu le restaurer et l'a rendu intelligible. De plus, l'utilité et la pertinence de l'enregistrement ont été améliorées en synchronisant l'audio avec l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant. L'enregistrement des conversations de cabine synchronisé avec l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant a grandement aidé à l'enquête en permettant de confirmer les actions de l'équipe de train et la dynamique du déraillement.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les forces dynamiques induites par la vitesse de 55 mi/h du train et par la géométrie de la liaison 75, qui était conçue pour une vitesse de 15 mi/h, ont provoqué un transfert de poids qui a occasionné le soulèvement des roues et le déraillement de la locomotive VIA 6413.
  2. Bien que le signal 74L, qui exigeait une vitesse de 15 mi/h, soit devenu visible à une distance de 1600 pieds, les membres de l'équipe ne l'ont pas annoncé à haute voix, et aucune mesure n'a été prise par l'équipe pour ralentir le train. Le train a franchi ce signal à une vitesse de 60 mi/h et s'est donc engagé dans la liaison 75 à une vitesse excessive.
  3. L'itinéraire habituel du train, ainsi que les instructions du contremaître, qui n'incluaient pas la voie de marchandises, menaient les membres de l'équipe de train à anticiper qu'ils allaient demeurer sur la voie nord à Turcot-Ouest et qu'ils pouvaient poursuivre leur trajet sans réduire la vitesse du train.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si les contremaîtres de la voie donnent des instructions relatives à la règle 42 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada qui ne coïncident pas avec tous les itinéraires possibles des trains, les équipes de train pourraient mal comprendre et mal interpréter les instructions, ce qui augmente les risques d'accident.
  2. Si d'autres moyens de défense physiques pour le contrôle des trains en territoire signalisé ne sont pas mis en place, les risques de collision et de déraillement sont augmentés quand les indications des signaux ne sont pas correctement reconnues ou respectées.

3.3 Autres faits établis

  1. Étant donné que la règle 34 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada n'est pas suivie de façon uniforme, cette mesure de sécurité additionnelle n'est pas toujours fiable pour réduire les incidences de non-conformité aux signaux.
  2. L'enregistrement des conversations de cabine synchronisé avec l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant a grandement aidé à l'enquête en permettant de confirmer les actions de l'équipe de train et la dynamique du déraillement.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 16 mars 2016, le BST a envoyé l'avis de sécurité ferroviaire 06/16 à Transports Canada (TC) sur les instructions des contremaîtres de la règle 42 à Turcot-Ouest. Le BST a suggéré à TC de revoir la gestion de la règle 42, étant donné que les instructions des contremaîtres de la règle 42 fournies aux équipes de train ne coïncidaient pas avec les options d'itinéraires du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF).

En réponse à l'avis, le bureau régional du Québec de TC a mené une inspection au sein de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) afin de vérifier si le contremaître et le CCF avaient donné différentes autorisations aux trains qui approchaient. Par suite de cette inspection, TC a émis une lettre de non-conformité au CN relativement à la non-conformité à la règle 842(b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), Protection prévue – Règle 42.

4.1.2 VIA Rail Canada Inc.

Le 12 décembre 2015, VIA Rail Canada Inc. (VIA) a émis le bulletin HQ15-22 détaillant les circonstances entourant l'accident et l'importance de maintenir une vigilance en tout temps. VIA a émis un second bulletin contenant des instructions spéciales et demandant au mécanicien responsable (MR) de transmettre un message radio sur les ondes du canal d'attente désigné dans lequel il précise l'indication donnée par le signal avancé du prochain emplacement contrôlé, point contrôlé ou enclenchement quand cette indication affiche une indication autre que celle de vitesse normale.

VIA a étendu son programme de surveillance physique et informatisée pour s'assurer que les équipes de train respectent les limites de vitesse.

4.1.3 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

En collaboration avec TC, le CN a mis en place plusieurs mesures d'atténuation afin de s'assurer que les employés se conforment pleinement à la règle 842(b) du REF, Protection prévue – Règle 42. Ces mesures comprennent ce qui suit :

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Instructions données aux trains

Instructions données au train CN 7275 ouest vers 8 h 2 :

Instructions données au train VIA 6418 est vers 8 h 12 :

Vers 9 h, les instructions du contremaître à la locomotive VIA 6405 ouest (train VIA 33) étaient les suivantes :