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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M23F0012

Accident d’amarrage
Navire auxiliaire d’approvisionnement Asterix
Busan (République de Corée)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Description du navire

L’Asterix (figure 1) a été construit en 2010 en tant que navire porte-conteneurs. En 2018, il a été converti en navire auxiliaire d’approvisionnementNote de bas de page 1, ce qui a compris le remplacement de l’avant-coque et des emménagements du navire, ainsi que l’installation de machines supplémentaires, de grues, d’équipement de transfert de carburant de navire à navire et d’une héliplateforme.

Le navire est équipé pour le transport et le transfert en mer de fournitures et de carburant en vrac aux navires militaires. La passerelle est entièrement fermée et est équipée conformément à la certification du navire.

L’Asterix est propulsé par un moteur diesel MAN 7S60 MC-C Mk8 à 2 temps et à vitesse lente, d’une puissance de 16 660 kW (22 340 hp), qui entraîne une seule hélice à pas fixe. Le navire a une jauge brute (GT) de 23 136, un déplacement en charge approximatif de 26 000 tonnes métriques et une vitesse normale d’environ 15 nœuds.

Figure 1. L’Asterix en route (Source : Federal Fleet Services Inc.)
L’Asterix en route (Source : Federal Fleet Services Inc.)

Les postes d’amarrage avant et arrière sont équipées de treuils d’amarrage électriques munis de cordes en polyéthylène à haute résistance (HMPE). Les amarres n’avaient pas de pantoires d’amarrage. Le poste d’amarrage avant est équipé de 2 guindeaux d’ancre et treuils d’amarrage combinés, 1 de chaque côté de l’axe longitudinal, et d’un treuil d’amarrage indépendant à l’avant et sur l’axe longitudinal. Les 3 treuils sont commandés à partir d’un seul point sur l’axe longitudinal, au centre des 3 treuils. Chaque treuil est équipé d’un tambour d’amarrage divisé et d’un tambour de halage.

Le pont d’amarrage s’étend à l’arrière de chaque côté du rouf, par le travers duquel se trouvent les chaumards destinés aux gardes montantes. La plus grande partie du pont est désignée comme une zone de fouet, marquée par une ligne jaune en haut de l’escalier qui descend vers le pont principal.

Le navire est immatriculé au nom d’Asterix Inc., de Montréal (Québec), est exploité par Federal Fleet Services Inc., d’Ottawa (Ontario) et est affrété à long terme par le gouvernement du Canada pour fournir des services à la Marine royale canadienne. Bien qu’un effectif de personnel militaire soit transporté à bord, le navire est exploité par des officiers et des membres d’équipage civils.

Déroulement du voyage

Le 28 mai 2023 à 8 hNote de bas de page 2, l’Asterix est arrivé à la station d’embarquement des pilotes au large de Busan (République de Corée) et a fait monter à bord un pilote de port en prévision de l’accostage à la base navale de Busan. L’échange entre le capitaine et le pilote s’est achevé à 8 h 09. L’équipage de pont s’est occupé des postes d’amarrage avant et arrière du navire; l’équipe d’amarrage avant était composée du maître d’équipage et de 2 matelots de pont. À 8 h 17, 2 remorqueurs portuaires ont été amarrés : 1 à la proue du navire et 1 à la poupe. L’Asterix est entré dans le port de Busan et a manœuvré le long du quai. À 8 h 43, la première amarre a été envoyée à terre pour servir de garde montante avant. Elle consistait en une corde en HMPE de 30 mm qui passait du tambour du treuil à travers un rouleau de renvoi d'amarre sur support avec un diamètre intérieur horizontal de 420 mm, une profondeur de 60 mm et une ouverture verticale de 220 mm. L’amarre a ensuite été acheminée dans un chaumard à rouleau. Cinq minutes plus tard, le côté tribord du navire était en contact avec les défenses du quai, les amarres avant et arrière étant amarrées à terre.

Vers 8 h 46, le personnel à terre a informé le pilote par radiotéléphone très haute fréquence (VHF) que le navire devait être déplacé vers l’avant d’environ 20 m. Après des discussions entre les membres d’équipage à la passerelle visant à clarifier les renseignements, à 8 h 49, le capitaine a relayé l’instruction aux équipes d’amarrage. Il a alors ordonné à l’équipe d’amarrage avant de donner du mou à l’amarre avant et à l’équipe d’amarrage arrière de reprendre le mou à l’amarre arrière. Aucun ordre n’a été donné aux remorqueurs, qui sont restés attachés au navire.

À 8 h 49 min 55 s, la machine principale a été réglée à « en avant très lentement ». À 8 h 50 min 6 s, la machine a atteint un régime de 40 tr/min, et à 8 h 50 min 19 s, le transmetteur d’ordres a été réglé à « arrêt ». À 8 h 50 min 21 s, la machine s’était arrêtée. À ce moment-là, le navire avançait à une vitesse d’environ 0,3 nœud et a accéléré pour atteindre une vitesse approximative de 0,5 nœud à 8 h 50 min 24 s. L’enquête n’a pas permis de déterminer la cause de l’accélération.

À 8 h 50 min 37 s, l’équipe d’amarrage avant a reçu l’ordre de reprendre la tension sur l’amarre avant, ce qu’elle a fait.

À 8 h 50 min 48 s, alors que le navire avançait toujours à environ 0,5 nœud sur le fond, le transmetteur d’ordres a été réglé à « en arrière très lentement ». Peu après, le matelot de pont relayant les signaux manuels du maître d’équipage a indiqué au matelot de pont actionnant le treuil (l’opérateur du treuil) d’arrêter de filer l’amarre, puis de reprendre l’opération. Vers 8 h 50 min 56 s, l’amarre avant s’est séparée au niveau du rouleau de renvoi d’amarre sur support, est revenue vers le maître d’équipage en claquant, et l’a frappé à la poitrine. Environ une demi-seconde plus tard, la machine a atteint le régime « en arrière très lentement ».

Le maître d’équipage a tenté d’aller chercher de l’aide à l’arrière et est tombé dans l’escalier menant du pont de gaillard d’avant au pont principal. Il a été pris en charge par le personnel médical à bord, puis transféré dans un hôpital local où il a été soigné en raison de blessures survenes à la poitrine, aux poumons et aux poignets.

Opérations d’amarrage à bord de l’Asterix

Les commandes des treuils d’amarrage avant du navire sont situées sur l’axe longitudinal, et le rouf avant du navire est situé juste derrière le treuil d’amarrage avant (figure 2). Les commandes et le rouf peuvent obstruer la vue de l’opérateur du treuil avant sur le côté du navire et sur le chaumard de la garde montante. Pour remédier à cette situation, l’opérateur du treuil avant compte sur un autre matelot de pont pour lui relayer les signaux du maître d’équipage afin de tendre ou de détendre l’amarre selon les besoins.

L’opérateur du treuil filait l’amarre selon les instructions des autres membres de l’équipe d’amarrage avant pendant que le navire avançait. L’enquête n’a pas permis de déterminer si le treuil était arrêté lorsque l’amarre s’est séparée.

Figure 2. Illustration du poste d’amarrage avant de l’Asterix, montrant les positions de l’amarre, de l’opérateur du treuil (OS1), du matelot de pont (OS2) et du maître d’équipage (B), ainsi que l’emplacement du point de rupture au niveau du rouleau de renvoi d’amarre sur support (Source : BST, d’après le dessin du navire, Arrangement mooring, document
no 370-00-433-001 [2018])
Illustration du poste d’amarrage avant de l’Asterix, montrant les positions de l’amarre, de l’opérateur du treuil (OS1), du matelot de pont (OS2) et du maître d’équipage (B), ainsi que l’emplacement du point de rupture au niveau du rouleau de renvoi d’amarre sur support (Source : BST, d’après le dessin du navire, Arrangement mooring, document no 370-00-433-001 [2018])

Système de freinage des treuils électriques

La norme ISO relative aux treuils d’amarrage exige que tous les treuils électriques soient équipés [traduction] :

d’un système de freinage automatique qui fonctionne lorsque le dispositif de commande est mis en position d’arrêt ou de freinage, et également lorsque le treuil n’est pas alimenté en courant. Le frein doit être capable de supporter une charge sur l’aussière qui est égale à 1,5 fois la charge du tambour et d’arrêter la rotation du tambour à partir de sa vitesse maximale sans subir de dommagesNote de bas de page 3.

Cette norme ne précise pas la charge maximale à laquelle un treuil électrique doit relâcher la tension lorsque le système de freinage automatique est actionné. Contrairement aux freins à bande qui sont serrés manuellement, le système de freinage automatique pourrait ne pas permettre au tambour du treuil de relâcher la tension à un point fixe inférieur à la charge de rupture minimale de conception du navire. Si le frein automatique est enclenché (généralement lorsque l’opérateur relâche le levier de commande ou le règle à la position zéro) et que la tension augmente sur l’amarre au-delà de sa charge de rupture, l’amarre pourrait se séparer.

Les treuils d’amarrage à bord de l’Asterix sont équipés d’un système de tension automatique, mais ce système n’était pas utilisé au moment de l’événement, car il est destiné à être utilisé une fois l’opération d’accostage terminée. À la suite de l’événement, le propriétaire du navire a fait examiner le treuil à l’étude par un technicien du fabricant, qui a constaté que la bobine et le revêtement de friction du système de freinage automatique étaient endommagés. Le technicien a recommandé le remplacement complet du frein.

Amarres

Les amarres utilisées dans l’ensemble de l’industrie maritime sont généralement fabriquées à partir de divers types de fibres synthétiques, comme le polypropylène et le polyéthylène. Au cours des 10 à 15 dernières années, les cordes en HMPE, commercialisées sous les noms de Dyneema, Amsteel Blue ou Quantum (entre autres), sont devenues un choix populaire. Les cordes en HMPE ont été mises en valeur comme étant plus sécuritaires et moins susceptibles de créer un effet de fouet que les cordes qui ne sont pas en HMPE, car les fibres ne s’allongent pas sous tension dans la même mesure que d’autres fibres synthétiques. Cette mise en valeur, renforcée par le matériel de formation, a donné l’impression au personnel maritime à l’échelle de l’industrie que ces cordes n’emmagasinent pas d’énergie sous tension et qu’elles ne créeront pas d’effet de fouet si elles se séparent.

L’amarre utilisée dans l’événement à l’étude était une corde en HMPE d’un diamètre de 30 mm, à 12 torons, combinant des fibres Dyneema SK78 et des fibres de polyester, et d’une résistance minimale de 53,5 tonnes métriques, qui avait été installée en janvier 2021. La corde avait été fabriquée par Samson Rope sous le nom de produit de Quantum 12. À la suite de l’événement, Federal Fleet Services Inc. a fait tester la corde par un laboratoire privé; les tests ont permis de confirmer qu’elle était conforme aux spécifications certifiées du fabricant.

L’enquête a révélé qu’à l’instar d’autres membres du personnel maritime dans l’ensemble de l’industrie, certains membres d’équipage de l’Asterix avaient l’impression qu’étant donné que l’amarre à l’étude était fabriquée en HMPE, elle n’emmagasinerait pas d’énergie sous tension et ne créerait pas d’effet de fouet si elle se séparait. Cette impression était encouragée par les documents de mise en valeur du fabricant de fibres et renforcée par la formation informatisée d’un tiers dispensée à bord du navire, qui, dans les deux cas, déclarent que les cordes en HMPE sont plus sécuritaires que les autres fibres en cas de rupture. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas; les cordes en HMPE peuvent libérer une quantité importante d’énergie lorsqu’elles se séparent.

Événements connexes

Le BST a connaissance de 1 autre événement au cours duquel une amarre en HMPE s’est séparée, puis a créé un effet de fouet pendant des opérations d’amarrage, causant des blessures graves à un membre d’équipage.

À la suite d’un événement survenu le 2 mars 2015, la Marine Accident Investigation Branch (Direction des enquêtes sur les accidents maritimes) du Royaume-Uni a publié son rapport d’enquête 13/2017 sur les blessures graves subies par un officier de pont à bord du transporteur de gaz naturel liquéfié (GNL) Zarga après avoir été heurté par une amarre en HMPE qui s’est rompue lors de l’accostage au terminal de GNL de South Hook à Milford Haven (Royaume-Uni). L’enquête a permis de déterminer que l’exploitant du navire et l’équipage avaient sous-estimé le risque de coup de fouet et que les évaluations du risque de coup de fouet du navire ne prenaient pas bien en compte toutes les variables cruciales, comme les caractéristiques de l’amarreNote de bas de page 4.

Mesures de sécurité prises

À la suite de l’événement à l’étude, Federal Fleet Services Inc. a indiqué qu’elle avait modifié ses manuels d’exploitation afin d’interdire à l’équipage d’apporter des changements au plan d’amarrage après que celui-ci avait été convenu avec le pilote. De plus, les navires de la flotte doivent être complètement arrêtés le long d’un quai avant que les amarres ne soient envoyées à terre, et un remorqueur doit être utilisé pour tout mouvement de navire.

Messages de sécurité

Les propriétaires et les exploitants de navires équipés de treuils d’amarrage électriques doivent s’assurer que les membres d’équipage connaissent les paramètres d’exploitation des systèmes de freinage automatique de leurs treuils. Si la tension sur une amarre augmente à mesure que le navire se déplace pendant que le système de freinage automatique est enclenché, l’amarre peut se séparer, ce qui peut entraîner des blessures graves ou mortelles.

Il est important que les propriétaires de navires et les membres d’équipage sachent que toutes les amarres, y compris les cordes en HMPE fabriquées à partir de fibres Dyneema SK78, peuvent créer un effet de fouet si elles se séparent ou sont relâchées soudainement. Cet effet peut entraîner des blessures graves ou mortelles.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .