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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M19A0025

Naufrage et perte de vie
Bateau de travail Captain Jim
Environ 4 NM au sud-est du havre de Halifax (Nouvelle-Écosse)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 29 janvier 2019, le bateau de travail Captain Jim, avec 2 membres d’équipage et 1 passager à bord, a commencé à prendre l’eau et est devenu désemparé à 2,8 milles marins de son port d’attache d’Eastern Passage (Nouvelle-Écosse). Peu après, le bateau a coulé rapidement. Un des membres de l’équipage et le passager ont réussi à monter à bord du radeau de sauvetage du bateau. Ils ont été secourus par un bateau-pilote du havre de Halifax et emmenés à Halifax (Nouvelle-Écosse). Des plongeurs ont retrouvé le corps de l’autre membre de l’équipage dans la timonerie du bateau plus tard dans la journée.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du bateau

Nom Captain Jim
Numéro officiel 328374
Port d’immatriculation Saint John (Nouveau-Brunswick)
Jauge brute 14,78
Type Bateau de travail
Matériaux Plastique renforcé
Longueur réglementaire 11,37 m
Construction 1989
Propulsion 1 moteur diesel produisant 158 kW
Nombre maximal de personnes à bord 14 (au plus 12 passagers, au moins 2 membres d’équipage)
Propriétaire enregistré RMI Marine Limited

1.2 Description du bateau

Le Captain Jim a été acheté par RMI Marine en 2004 pour être utilisé comme bateau de travail polyvalent et il a été exploité principalement comme navire à passagers pour amener des personnes à des sites de travail (figure 1). La timonerie était équipée d’équipement électronique, soit 2 radiotéléphones à très haute fréquence (VHF), 1 radar, 1 traceur de cartes et 1 système de positionnement mondial. Il y avait des projecteurs et 2 radeaux de sauvetage sur le dessus de la timonerie au moment de l’événement.

Figure 1. Le Captain Jim (Source : Mac Mackay à Tugfax)
Le Captain Jim (Source : Mac Mackay à Tugfax)

Il y avait 4 écoutilles et une hiloire surélevée autour du compartiment moteur (figure 2). Comme le Captain Jim était un bateau non ponté, les écoutilles et la hiloire avaient été conçues pour être étanches aux intempéries, mais non à l’eau, et l’eau qui a pénétré dans le bateau s’est accumulée dans la cale.

Figure 2. Vue arrière de la timonerie montrant la hiloire surélevée autour du compartiment moteur et l’un des couvercles des écoutilles (Source : tierce partie, avec permission)
Vue arrière de la timonerie montrant la hiloire surélevée autour du compartiment moteur et l’un des couvercles des écoutilles (Source : tierce partie, avec permission)

Le bateau était équipé de 2 pompes de cale électriques et de 1 pompe entraînée par moteur. L’une des pompes de cale était située à l’avant, dans le compartiment moteur, et était programmée pour s’actionner automatiquement si elle était déclenchée par un interrupteur à flotteur dans la cale. L’autre pompe de cale était située à l’arrière, dans la cambuse, et était actionnée manuellement par un interrupteur dans la timonerie. La pompe entraînée par moteur était située dans le compartiment moteur (annexe A). Elle était conçue pour être utilisée comme pompe à incendie pour offrir un soutien aux autres navires, mais était généralement utilisée comme pompe de lavage pour nettoyer le pont; elle pouvait également être utilisée pour pomper la cale.

Les côtés bâbord et tribord du bateau comportaient chacun 3 sabords de décharge, installés en juillet 2008, avec des battants à charnière en aluminium. Un dispositif de fixation a été installé sur chacun des sabords de décharge à une date ultérieure afin de permettre aux battants en aluminium d’être maintenus fermés (figure 3). Le bateau de travail comportait également 2 dalots juste derrière les sabords de décharge les plus proches de la poupe. Les dalots pouvaient être dotés de bouchons à vis, mais ils étaient normalement laissés ouverts.

Figure 3. Vue depuis la timonerie vers l’arrière, avec photo du sabord de décharge et du dalot tribord arrière en médaillon. À la suite de l’événement, le BST a retiré les couvercles des écoutilles et la hiloire surélevée aux fins d’examen (Source : BST)
Vue depuis la timonerie vers l’arrière, avec photo du sabord de décharge et du dalot tribord arrière en médaillon. À la suite de l’événement, le BST a retiré les couvercles des écoutilles et la hiloire surélevée aux fins d’examen (Source : BST)

1.3 Déroulement du voyage

Vers 21 h 45Note de bas de page 1 le 28 janvier 2019, le Captain Jim a quitté le quai de RMI Marine à Eastern Passage (Nouvelle-Écosse), avec à son bord le capitaine, un matelot de pont et un passager. Tous les 3 portaient un vêtement de flottaison individuel. Le but du voyage était de transporter le passager jusqu’à un pétrolier ancré dans les atterrages du havre de Halifax pour prélever des échantillons de la cargaison, puis de le ramener à Eastern Passage. Le trajet était d’environ 7 milles marins (NM) dans chaque sens.

Vers 22 h 40, le Captain Jim est arrivé à côté du pétrolier. Le matelot de pont avait commencé à aider le passager à monter à bord du pétrolier avec le matériel d’échantillonnage lorsque le matelot a aggravé une blessure au dos préexistante. Pendant que le passager travaillait à bord du pétrolier, le Captain Jim a dérivé à proximité et le capitaine a ordonné au matelot de se reposer sur le canapé de la timonerie.

Vers 1 h 35 le 29 janvier, le passager a terminé son échantillonnage et est remonté à bord du Captain Jim avec l’aide du capitaine. Le Captain Jim est ensuite revenu vers Eastern Passage en faisant route en direction nord. Les vagues atteignaient de 1 à 2 m, avec des vents du nord-est.

Juste avant 1 h 50, l’indicateur visuel de la pompe de cale électrique automatique a commencé à s’allumer par intermittence, indiquant que la pompe de cale se mettait en marche et s’arrêtait. Après environ une minute, l’indicateur visuel s’est allumé et est resté allumé, indiquant que la pompe de cale fonctionnait en continu. Vers 1 h 52, l’alarme de haut niveau d’eau de cale s’est déclenchée. Le capitaine a alors mis en marche la deuxième pompe de cale électrique.

Le capitaine a également allumé les projecteurs du bateau, et le capitaine et le passager ont constaté qu’environ 20 cm d’eau se sont accumulés sur le pont arrière. À ce moment-là, le bateau s’approchait d’eaux plus calmes. Le capitaine a continué à naviguer vers les eaux plus calmes à 10 nœuds pendant quelques minutes avant de vérifier à nouveau le niveau d’eau. Il a alors remarqué par la fenêtre arrière de la timonerie que le dispositif de fixation du sabord de décharge avant tribord n’était pas en place et que l’action des vagues faisait pénétrer de l’eau dans le bateau par le sabord de décharge ouvert.

Le capitaine a poursuivi la navigation jusqu’à 2 h 07, lorsque le moteur du bateau a été envahi par l’eau et s’est arrêté. Le bateau se trouvait juste en dehors des eaux calmes. Le niveau d’eau avait augmenté jusqu’à environ 40 cm à la poupe (figure 4).

Figure 4. Le pont arrière du Captain Jim, inondé d’eau de mer (Source : tierce partie, avec permission)
Le pont arrière du Captain Jim, inondé d’eau de mer (Source : tierce partie, avec permission)

Le radiotéléphone VHF n’était plus opérationnel, car le niveau d’eau était monté au-dessus des batteries du bateau. À 2 h 08, le capitaine a utilisé son téléphone cellulaire pour appeler les Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Halifax et signaler que le bateau avait un problème avec l’un des sabords de décharge, avait pris l’eau et avait perdu ses moteurs. Le capitaine a demandé s’il y avait des navires à proximité dans le secteur. Lorsqu’on lui a demandé s’il courait un danger immédiat, le capitaine a répondu qu’il était possible que le bateau coule et que tout le pont arrière était inondé. À 2 h 13, les SCTM de Halifax ont relayé le message au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (CCCOS) de Halifax. À peu près au même moment, le capitaine a également signalé la situation à la compagnie.

À 2 h 15, les SCTM de Halifax ont émis un message d’urgence demandant de l’aide pour le Captain Jim désemparé, mais n’ont pas reçu de réponse. Les SCTM ont alors communiqué directement par radiotéléphone VHF avec un bateau-pilote et un remorqueur du havre de Halifax et leur ont demandé de se rendre auprès du Captain Jim. À 2 h 16, le CCCOS a communiqué avec le capitaine pour obtenir une mise à jour, mais l’appel a été dirigé vers la messagerie. Le capitaine et le passager ont descendu l’un des radeaux de sauvetage, du haut de la timonerie jusque dans l’eau du côté bâbord du bateau, et l’ont gonflé en vue d’abandonner le bateau si nécessaire. Le capitaine et le passager sont ensuite retournés à la timonerie où le matelot se reposait. Le capitaine a continué à surveiller le niveau d’eau par la fenêtre arrière de la timonerie.

À 2 h 26, le CCCOS a communiqué avec le capitaine du Captain Jim pour l’informer qu’un navire de la Garde côtière canadienne et le bateau-pilote étaient en route pour venir en aide à l’équipage. Le capitaine a informé le CCCOS que le pont arrière du bateau était submergé jusqu’au plat-bord et que toutes les personnes à bord seraient probablement dans le radeau de sauvetage à l’arrivée des secours.

À 2 h 28, les SCTM de Halifax ont émis un message de détresse demandant aux navires à proximité de venir en aide au Captain Jim. Vers 2 h 30, le capitaine a constaté que la poupe du bateau commençait à s’enfoncer. Il a ouvert la porte de la timonerie et a dit au passager et au matelot qu’il était temps de monter à bord du radeau de sauvetage. Le capitaine s’est dirigé sur le pont vers le radeau de sauvetage, et c’est à ce moment que le bateau a coulé rapidement sous lui. Le passager se tenait sur le seuil de la timonerie et le matelot de pont était dans la timonerie. Le capitaine a pu monter dans le radeau de sauvetage, et le passager est entré dans l’eau alors que le Captain Jim coulait. Le passager a nagé jusqu’au radeau de sauvetage et le capitaine l’a aidé à monter à bord. Seul 1,5 m de la proue du bateau est resté hors de l’eau.

À 2 h 32, le CCCOS de Halifax a appelé le téléphone cellulaire du capitaine, et le capitaine a informé le CCCOS de la situation. Dans l’obscurité, le capitaine et le passager ont cherché le matelot dans l’eau sans succès. À 2 h 34, les SCTM de Halifax ont perdu le Captain Jim sur le radar alors que le bateau s’enfonçait sous la surface de l’eau (figure 5). À 3 h 15, le bateau-pilote du havre de Halifax a secouru le capitaine et le passager du radeau de sauvetage et les a transportés à Halifax, où ils ont reçu des soins médicaux. Plus tard ce jour-là, à 11 h 05, des plongeurs sont entrés dans la timonerie du bateau coulé, où ils ont trouvé le corps du matelot et l’ont repêché vers 12 h. Le bateau a été récupéré le 7 février.

Figure 5. Secteur de l’événement (Source : carte no 4237 du Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST)
Secteur de l’événement (Source : carte no 4237 du Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST)

1.4 Conditions environnementales

Au moment de l’événement, la visibilité était bonne et il faisait noir. Lorsque le bateau-pilote est arrivé sur les lieux, la bouée météorologique de Halifax, située à environ 5 NM du lieu de l’événement, signalait des vents du nord-nord-est à 18 nœuds, avec des rafales à 21 nœuds, et des vagues de 1,3 m. La température de l’air était de −7 °C, et celle de l’eau, de 1 °C.

1.5 Avaries au bateau

Le bateau a été déclaré perte réputée totale.

1.6 Certification et inspection du bateau

En tant qu’embarcation commerciale d’une jauge brute d’au plus 15 tonneaux et transportant au plus 12 passagers, le Captain Jim devait être immatriculé auprès de Transports Canada (TC), mais il n’était pas tenu de faire l’objet d’inspections périodiques par TC ni d’avoir un certificat d’inspection pour être exploité. En vertu de l’article 106 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, le représentant autorisé (RA) d’un navire est chargé de veiller à ce que le navire se conforme à tous les règlements applicables.

Le Captain Jim avait fait l’objet d’une inspection de TC en 2004 afin de s’inscrire volontairement au Programme de contrôle et d’inspection des petits bâtiments (PCIPB). Le bateau a été inscrit au PCIPB en 2005. TC a inspecté le bateau en juin 2008, alors qu’il subissait un radoub. Le radoub comprenait une révision du moteur, de nouveaux réservoirs de carburant et l’ajout de sabords de décharge. Pendant cette inspection, TC a relevé des lacunes liées à l’équipement de sauvetage et au tube d’étambot nécessitant une attention particulière. Les inspecteurs de TC sont retournés au bateau en juillet 2008, après l’achèvement du radoub, pour vérifier que les lacunes cernées avaient été corrigées. Les inspecteurs de TC ont constaté que les lacunes avaient été corrigées et ont noté l’ajout des sabords de décharge au bateauNote de bas de page 2.

Le PCIPB a été remplacé par le Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB) en 2011, et RMI Marine a inscrit le Captain Jim au PCPB en 2015.

1.7 Programme de conformité des petits bâtiments

Le PCPB est un programme volontaire de TC qui fournit des outils pour aider les RA (ou les propriétaires) à respecter leurs obligations légales Note de bas de page 3. Dans le cadre du PCPB, les RA sont tenus d’inspecter eux-mêmes leurs navires. Le programme est disponible pour les RA de bâtiments qui ne sont pas des embarcations de plaisance dont la jauge brute ne dépasse pas 15 tonneaux, de bâtiments à passagers d’une jauge brute maximale de 15 tonneaux et transportant 12 passagers ou moins, et de bâtiments de pêche dont la jauge brute ne dépasse pas 15 tonneaux.

Avant qu’un navire ne soit inscrit au PCPB, il doit être immatriculé auprès de TC. Pour amorcer le processus du PCPB, et sur demande, TC fournit au RA un modèle de rapport et une liste de contrôle qui offrent une explication simplifiée des exigences réglementaires applicables, comme les procédures de sécurité, les opérations, l’équipement, l’entretien et la préparation aux situations d’urgence. Ce document est rempli au mieux des connaissances et de la compréhension du RA, bien que le RA puisse demander l’aide de TC ou d’un consultant maritime indépendant.

Une fois que TC a examiné le dossier soumis et conclu que son contenu est satisfaisant, TC inscrit le navire au PCPB et envoie une lettre de confirmation au RA. TC émet également une vignette pour indiquer la conformité; le RA doit l’afficher visiblement sur le navire inscrit. TC n’effectue pas d’inspections systématiquement lorsqu’un navire est inscrit au PCPB.

L’inscription est valide pour une période de 5 ans, au cours de laquelle le RA remplit un rapport annuel pour démontrer la conformité du navire aux exigences réglementaires. Tous les 5 ans, le RA doit soumettre un rapport de conformité détaillé.

Les statistiques fournies par TC au BST le 9 septembre 2020 indiquent qu’un total de 28 728 navires commerciaux immatriculés d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux sont exploités au Canada. De ces 28 728 navires, 12 742 sont des navires à passagers et des bateaux de travail, et de ce nombre, 2047 navires (environ 16 %) sont inscrits au PCPB.

1.8 Certification et expérience du personnel

Le capitaine était titulaire d’une carte de conducteur d’embarcation de plaisance, d’un certificat de fonctions d’urgence en mer (FUM) A2 pour les petits bâtiments à passagers, et d’un certificat restreint d’opérateur (maritime). Il possédait plus de 25 ans d’expérience en mer, principalement à bord de remorqueurs et de petits navires commerciaux exploités dans les environs de Halifax. Au cours de cette période, il a surtout travaillé comme matelot de pont et, à l’occasion, comme capitaine. Il avait également travaillé comme scaphandrier à des fins commerciales dans des opérations de sauvetage, qui consistaient à récupérer des navires qui avaient partiellement ou complètement coulé. Il n’était pas le capitaine régulier du bateau, bien qu’il ait travaillé pour RMI Marine pendant plusieurs années et qu’il ait été capitaine du Captain Jim à l’occasion.

En vertu du Règlement sur le personnel maritimeNote de bas de page 4, le capitaine d’un navire tel que le Captain Jim doit être titulaire d’un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60Note de bas de page 5. Le capitaine ne possédait pas ce certificat de compétence. La compagnie s’est fiée à son expérience au lieu de ce certificat lorsqu’il exploitait le bateau.

Le matelot de pont était titulaire d’un certificat de secourisme général et d’un certificat d’aptitude physique et mentale délivré par le Conseil de certification des plongeurs du Canada. Le matelot de pont n’avait pas suivi de formation FUM, bien que cette formation soit exigée par le règlementNote de bas de page 6.

1.9 Stabilité et flottabilité des bateaux pontés et non pontés

Un bateau ponté est doté d’un pont étanche fixe recouvrant la totalité de la coque au-dessus de la ligne de flottaison maximale d’exploitation et de sabords de décharge d’une superficie correspondant à au plus 4 % de celle du pavois. La flottabilité et la stabilité de ces bateaux sont assurées principalement par le volume de la coque se trouvant sous le pont, qui est conçu et entretenu pour être étanche. Lorsque le pont est entouré d’un pavois, le nombre de sabords de décharge dans le pavois ainsi que leur taille et leur emplacement doivent suffire à évacuer l’eau librement et rapidement par-dessus bord, afin d’éviter une diminution de la stabilité attribuable à l’effet de carène liquide.

Un bateau non ponté n’est pas doté d’un pont étanche et dépend de la présence de pompes de cale installées sous le pont pour évacuer toute eau qui pénètre dans le bateau. La flottabilité et la stabilité sont assurées par la coque étanche, qui s’étend jusqu’au haut du plat‑bord. Ces bateaux sont susceptibles d’être envahis si l’eau passe par-dessus les bords. Ce risque peut toutefois être atténué en exploitant le bateau dans des eaux relativement calmes, en incorporant des dispositifs de flottabilité intégrés pour améliorer la surviabilité et en prévoyant des moyens pour évacuer efficacement l’eau. Si la flottabilité inhérente d’un bateau est suffisanteNote de bas de page 7, il peut être envahi sans couler.

Le Captain Jim était un bateau non ponté et n’avait pas incorporé de flottabilité inhérente.

1.9.1 Modifications apportées aux bateaux non pontés

En mai 2007, après une consultation avec TC, le RA du Captain Jim a installé des sabords de décharge sur un autre bateau appartenant à RMI Marine, le Lady Shirleen, dans le cadre d’autres modifications pour faire passer le Lady Shirleen d’un bateau non ponté à un bateau ponté.

RMI Marine avait planifié d’installer des sabords de décharge similaires sur le Captain Jim lorsqu’il a fait l’objet d’un radoub en 2008Note de bas de page 8. RMI Marine avait trouvé qu’il arrivait parfois que le Captain Jim prenne l’eau par-dessus les bords lorsqu’il était utilisé par mauvais temps et que cette eau crée un effet de carène liquide avant de pénétrer dans la cale. Les sabords de décharge étaient installés pour permettre d’évacuer l’eau par-dessus bord. Contrairement au Lady Shirleen, le Captain Jim est toutefois demeuré un bateau non ponté.

Avant d’installer les sabords de décharge, le RA a fourni à TC une liste des articles compris dans le radoub du Captain Jim. L’un des articles indiquait que RMI Marine prévoyait d’installer des sabords de décharge sur le Captain Jim qui étaient similaires à ceux installés sur le Lady Shirleen. Le RA a ensuite installé 3 sabords de décharge de chaque côté du bateau qui répondaient aux exigences de taille fournies par TC pour le Lady Shirleen.

Après l’installation des sabords de décharge sur le Captain Jim, chacun des sabords a été équipé d’un dispositif de fixation lui permettant d’être maintenu fermé. La pratique courante était d’ouvrir les sabords de décharge par mauvais temps pour permettre à l’eau de s’écouler par-dessus bord, et de les refermer lorsque le bateau se trouvait en eaux calmes.

La réserve de flottabilité et de stabilité est calculée en fonction du franc-bord mesuré à la position du point d’envahissement le plus bas. Par conséquent, la réduction du franc-bord ou du point d’envahissement a pour effet de réduire la réserve de flottabilité et de stabilité. Le Captain Jim a été conçu avec une coque étanche fournissant un franc-bord arrière moyen de 0,9 m. Toutefois, lorsque le Captain Jim était utilisé avec ses sabords de décharge ouverts, le franc‑bord arrière moyen était de 0,1 m. La stabilité du Captain Jim n’a pas été réévaluée après sa modification.

1.10 Examen effectué après l’événement

Lorsque le Captain Jim a été renfloué, la coque du bateau a été examinée et il a été déterminé que la structure était intacte. Les battants en aluminium de tous les sabords de décharge étaient toujours maintenus en place par les dispositifs de fixation, à l’exception du sabord tribord avant. Les dalots étaient ouverts. Aucune autre zone pouvant permettre l’infiltration imprévue d’eau n’a été découverte.

Les 3 pompes à bord ont été examinées et les 2 pompes de cale électriques ont été retirées du bateau et envoyées au Laboratoire d’ingénierie du BST à des fins d’essai.

1.10.1 Pompes de cale électriques

Les essais ont indiqué que les 2 pompes étaient en état de fonctionnement au moment de l’événement et qu’elles respectaient les exigences de débit des Normes de construction pour les petits bâtiments Note de bas de page 9 lorsque le moteur était en marche. La pompe arrière avait un débit de 4509 L/h et la pompe avant avait un débit de 4180 L/h.

1.10.2 Pompe entraînée par moteur

Même si elle avait été conçue pour être une pompe à incendie et qu’elle était utilisée comme pompe de lavage, la pompe entraînée par moteur pouvait être configurée pour être utilisée comme pompe de cale. Pour ce faire, l’équipage devait manuellement inverser l’aspiration au moyen d’une valve de dérivation dans le compartiment moteur. De plus, le couvercle d’écoutille et la hiloire du compartiment moteur devaient être retirés et un tuyau devait être fixé au raccord de 1,5 pouce sur la pompe afin d’évacuer l’eau par-dessus bord. Le débit nominal de la pompe était de 27 085 L/h à 2000 tr/min.

RMI Marine considérait que 2 personnes étaient nécessaires afin de modifier la pompe entraînée par moteur pour qu’elle soit utilisée comme pompe de cale. L’équipage ne disposait d’aucune directive officielle sur la façon de configurer la pompe entraînée par moteur pour être utilisée comme pompe de cale.

1.11 Gestion des urgences

Le capitaine et l’équipage d’un navire doivent être prêts à réagir aux situations d’urgence qui pourraient survenir. Pour les petits bâtiments commerciaux, TC a élaboré un guide Note de bas de page 10 qui, entre autres, conseille aux exploitants de navires à passagers de prendre les mesures suivantes avant le départ afin de maximiser la sécurité à bord de leur navire :

1.12 Système de gestion de la sécurité

Le principal objectif d’un système de gestion de la sécurité (SGS) est l’exploitation sécuritaire d’un navire pour assurer la sécurité de l’équipage et des passagers et éviter les dommages aux biens et à l’environnement. Un SGS mobilise les personnes à tous les niveaux d’un organisme et favorise une approche logique de la reconnaissance des dangers, de l’évaluation des risques et de leur atténuation. Il comprend un ensemble de documents, préparé par le propriétaire de navire ou son RA avec le concours de ses capitaines et équipages, pour établir des procédures, des plans et des instructions, incluant des listes de contrôle au besoin.

Le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM) établit une norme internationale sur l’exploitation sécuritaire des navires et la prévention de la pollution. Le chapitre IX de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, 1974 oblige certains exploitants de navires à adopter un SGS qui est conforme au Code ISM.

En vertu du Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments du Canada, 3 types de navires canadiens effectuant des voyages internationaux doivent adopter un SGS Note de bas de page 11 qui est conforme au Code ISM :

TC modifie actuellement le Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments. Les modifications proposées harmoniseront les exigences relatives aux grands navires et aux navires que TC considère comme présentant un risque élevé avec le Code ISM. Ces navires seront soumis à une inspection et à une approbation annuelles par un organisme reconnu. Les petits navires d’une jauge brute de 15 et moins, comme le Captain Jim, devront mettre en place un SGS national adapté et seront soumis au régime de surveillance standard de TC fondé sur le risque.

Le Captain Jim n’était pas exploité en vertu d’un SGS, et il n’était pas tenu de l’être conformément à la réglementation actuelle. Toutefois, le Captain Jim était assujetti à l’article 106 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, qui exige que le RA veille à ce que des procédures soient élaborées pour l’exploitation sécuritaire du navire et pour faire face aux urgences, et qu’il s’assure que les passagers et l’équipage reçoivent une formation en matière de sécurité.

Pour gérer la sécurité, RMI Marine avait élaboré un manuel de la compagnie sur la sécurité au travail et un plan de sécurité du bateau.

1.12.1 Manuel de la compagnie sur la sécurité au travail

Le manuel sur la sécurité au travail traitait de la politique de sécurité de la compagnie, des responsabilités, des évaluations des risques et des politiques de sécurité au travail. Ce manuel comprenait également une liste de contrôle préalable au départ et un formulaire d’inspection du navire.
La liste de contrôle préalable au départ fournie à l’équipage du Captain Jim demandait de mettre à l’essai les pompes de cale et de vérifier les éléments suivants :

Le formulaire d’inspection du navire devait être utilisé toutes les deux semaines pour une inspection d’entretien de routine.

Avant l’événement, les capitaines du Captain Jim remplissaient la liste de contrôle préalable au départ de façon intermittente, choisissant parfois d’effectuer une révision mentale informelle de la liste de contrôle plutôt que de la remplir. L’équipage n’a pas rempli la liste de contrôle préalable au départ avant que le bateau n’entreprenne le voyage à l’étude. L’équipage n’a pas non plus mis à l’essai les pompes de cale électriques ni la pompe entraînée par moteur.

Normalement, les listes de contrôle préalable au départ et les formulaires d’inspection du navire dûment remplis étaient conservés à bord. La compagnie n’a pas effectué de vérification pour s’assurer que ces formulaires étaient remplis.

1.12.1.1 Plan de sécurité du bateau

Le plan de sécurité pour le Captain Jim comprenait la liste de contrôle préalable au départ mentionnée ci-dessus et des directives pour familiariser l’équipage et les passagers à bord avec les dispositifs de sécurité du bateau, comme le radeau de sauvetage, les extincteurs et la pompe à incendie/de lavage entraînée par moteur. Le plan de sécurité du bateau fournissait des directives à l’équipage pour des urgences spécifiques telles que l’incendie, le naufrage, une personne tombée à la mer, la perte de la capacité de gouverne et la pollution. Les directives en cas de naufrage étaient les suivantes [traduction] :

  1. demander à tous les passagers de se rendre au point de rassemblement et d’enfiler les gilets de sauvetage;
  2. relayer l’alerte de détresse sur le radiotéléphone VHF;
  3. préparer les radeaux de sauvetage pour le déploiement;
  4. se préparer à utiliser les dispositifs pyrotechniques;
  5. si la situation ne peut être contrôlée, abandonner le bateauNote de bas de page 12.

Le plan de sécurité du bateau était affiché dans la timonerie.

1.13 Prise de décisions

La conscience situationnelle et les biais en matière de performance sont des facteurs qui peuvent influer sur la prise de décisions et l’efficacité en cas d’urgence.

1.13.1 Conscience situationnelle

Les personnes travaillant dans des environnements opérationnels prennent des décisions en construisant un modèle mental de leur environnement opérationnel. Ce modèle mental est soutenu par la conscience situationnelle d’une personne, qui désigne [traduction] « la perception des éléments de l’environnement dans un volume de temps et d’espace, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans un avenir procheNote de bas de page 13 ». La conscience situationnelle est une composante essentielle de la prise de décisions et comprend des étapes de traitement de l’information. Les lacunes qui peuvent survenir au cours de ces étapes peuvent se traduire par une perception incomplète ou inadéquate de la situation. Les connaissances, l’expérience, la formation et l’aptitude au travail d’une personne peuvent également influencer la conscience situationnelle.

Un capitaine perçoit constamment divers facteurs à mesure qu’un voyage se déroule, et il en comprend la signification et prédit les effets que ces facteurs auront sur l’issue du voyage. Ces processus dépendent des informations dont dispose le capitaine, mais aussi du contexte, des objectifs, de l’environnement, des procédures, de la formation, de l’expérience, des connaissances, de la technique, du niveau de stress, du niveau de fatigue et du temps disponible. Ces processus créent un modèle mental d’une situation en cours.

1.13.2 Tendance à s’en tenir au plan

La tendance à s’en tenir au plan est un biais en matière de performance humaine qui peut se produire lorsqu’une situation est considérée comme ayant une bonne correspondance de probabilité et que le diagnostic est assumé, parfois au détriment d’un examen équilibré d’un autre diagnostic possible. Le fait de s’en tenir au plan peut amener un exploitant à tenter de résoudre une situation anormale ou une urgence en s’en tenant à un plan d’action choisi, malgré les indications qu’une autre approche est en fait nécessaire. Le biais est façonné par le contexte dans lequel l’équipage opère, les ressources disponibles et ses objectifs opérationnels.

Le biais peut être créé et renforcé par la présence initiale d’indices forts et persuasifs qui sont perçus comme soutenant le plan d’action choisi. L’effet de ce biais n’est pas facilement reconnaissable par l’exploitant, en partie parce que les événements anormaux entourant une urgence peuvent se développer lentement et de manière ambiguë. Le biais peut amener l’exploitant à croire que les mesures prises pour faire face à une urgence sont efficaces et que la situation est sous contrôle, même en présence d’indices laissant croire le contraire. La recherche sur les facteurs humains a indiqué que [traduction] « les facteurs contextuels au moment de la prise de décisions sont encore plus importants que les processus cognitifs qui s’inscrivent dans cette prise de décisions Note de bas de page 14 ».

Des indices ambigus indiquant que d’autres mesures devraient être prises ne sont peut-être pas convaincants pour l’exploitant au milieu d’une urgence. À mesure que le temps passe dans un environnement complexe, d’autres tâches critiques s’ajoutent à la charge de travail cognitive de l’exploitant, ce qui peut réduire sa capacité à détecter des indices importants indiquant que le plan actuel est inefficace ou risqué. Le rétrécissement de l’attention dans une situation de stress peut encourager le fait de s’en tenir au plan, car une charge de travail élevée et les contraintes de temps ne sont pas propices à une pause pour envisager d’autres solutions.

1.14 Recommandations antérieures

1.14.1 Systèmes de gestion de la sécurité

À la suite d’un événement survenu le 23 juin 2002 au cours duquel le véhicule amphibie à passagers Lady Duck a pris l’eau et a coulé dans la rivière des Outaouais, causant la mort de 4 passagers Note de bas de page 15, le Bureau a recommandé que

le ministère des Transports prenne des mesures pour assurer que les entreprises exploitant des petits navires à passagers aient un système de gestion de la sécurité en place.
Recommandation M04-01 du BST

Dans sa dernière réponse à cette recommandation en février 2021, TC a indiqué que les modifications proposées au Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments élargiront les exigences en matière de SGS et de surveillance à tous les navires à passagers canadiens. Par conséquent, en mars 2021, la réévaluation de la réponse de TC à cette recommandation a été jugée comme dénotant une intention satisfaisante. La dernière réévaluation du BST de cette réponse, ainsi que les réponses et les évaluations précédentes, sont disponibles sur le site Web du BST Note de bas de page 16.

1.14.2 Évacuation des passagers et de l’équipage

À la suite de l’événement mettant en cause le Lady Duck, le Bureau a également recommandé que 

[l]e ministère des Transports prenne des mesures pour assurer que les petits navires à passagers comportent une réserve de flottabilité suffisante ou d'autres éléments de conception qui permettent l'évacuation en toute sécurité, rapide et facile des passagers et des membres d'équipage en cas d'urgence.
Recommandation M04-03 du BST

En réponse à la recommandation M04-03, TC a exigé que les navires de 6 m ou moins prennent des mesures pour s’assurer qu’ils restent à flot s’ils sont inondés. Pour les navires existants non inspectés d’une longueur de plus de 6 m et d’une jauge brute de 15 ou moins, comme le Captain Jim, TC n’a mis en place aucune nouvelle exigence, mais a souligné que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada exige que les propriétaires et les capitaines utilisent tous les moyens raisonnables pour s’assurer que leurs navires sont en état de navigabilité. À l’époque, on considérait que la réponse de TC réduisait considérablement la lacune de sécurité. Par conséquent, en novembre 2006, le Bureau a estimé que la réponse à cette recommandation dénotait une attention entièrement satisfaisante.

La dernière réévaluation du BST de cette réponse, ainsi que les réponses et les évaluations précédentes, sont disponibles sur le site Web du BST Note de bas de page 17.

Le BST note que, même lorsqu’une recommandation est jugée entièrement satisfaisante, un risque résiduel peut persister. Dans le cas présent, un risque subsiste pour les navires existants non inspectés d’une longueur de plus de 6 m et d’une jauge brute de 15 ou moins qui n’ont pas une flottabilité inhérente suffisante et/ou d’autres caractéristiques de conception pour permettre une évacuation sécuritaire, rapide et sans entrave des passagers et de l’équipage en cas d’urgence.

1.15 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

1.16 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La gestion de la sécurité et la surveillance réglementaire figurent sur la Liste de surveillance 2020. TC n’exige pas que la plupart des exploitants commerciaux aient un SGS officiel. Comme l’illustre cet événement, les exploitants de navires qui ne sont pas tenus d’avoir un SGS officiel pourraient ne pas gérer tous les risques efficacement.

MESURES À PRENDRE

La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que :

  • TC mette en œuvre de la réglementation obligeant tous les exploitants commerciaux à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité;
  • les transporteurs qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.

De plus, la surveillance réglementaire effectuée par TC n’a pas relevé le fait que le bateau avait été modifié d’une manière qui a eu une incidence sur sa stabilité et son étanchéité.

MESURES À PRENDRE

La surveillance réglementaire restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que TC assure une plus grande surveillance des processus d’inspection des navires commerciaux en démontrant que sa supervision et sa surveillance sont efficaces pour veiller à ce que les RA et les organismes reconnus respectent les exigences réglementaires.

2.0 Analyse

L’enquête a déterminé que de l’eau de mer s’est infiltrée par des ouvertures dans la coque du Captain Jim, ce qui a fini par faire couler le bateau. L’analyse a porté sur les modifications qui ont influé sur la stabilité du bateau, les facteurs qui ont influencé la prise de décisions et la gestion de la sécurité par la compagnie.

2.1 Modifications qui influent sur la stabilité d’un navire

Certaines modifications apportées à un navire, comme l’ajout de sabords de décharge, peuvent avoir des répercussions importantes sur l’étanchéité et la stabilité. Une gestion efficace de la sécurité exige une évaluation de toute modification du navire.

Les sabords de décharge du Captain Jim ont été ajoutés lors d’un radoub du bateau en 2008 et ont été conçus sur le modèle des sabords de décharge qui avaient été approuvés pour le radoub du Lady Shirleen. Cependant, lors du radoub du Lady Shirleen, celui-ci est passé d’un bateau non ponté à un bateau ponté. Cela signifie que la flottabilité du Lady Shirleen était assurée par le volume de la coque étanche sous le pont étanche; l’ajout de sabords de décharge au-dessus du pont étanche n’a pas eu une incidence sur son étanchéité.

En revanche, en tant que bateau non ponté, le Captain Jim dépendait du franc-bord fourni par sa coque étanche pour sa flottabilité et sa stabilité. Sans les sabords de décharge, le franc-bord du Captain Jim s’étendait jusqu’au haut du plat-bord. Cependant, lorsque les sabords de décharge ont été ajoutés, le franc-bord arrière moyen du bateau a été réduit pour passer de 0,9 m à environ 0,1 m. L’ajout de sabords de décharge à la coque du Captain Jim a réduit le franc-bord du bateau et l’a rendu vulnérable à l’infiltration d’eau. Le Captain Jim étant un bateau non ponté, l’eau qui est entrée par les sabords de décharge s’est accumulée sur le pont, est passée par les écoutilles non étanches dans le pont, et est entrée dans la cale du bateau.

À un moment donné pendant le voyage de retour vers Eastern Passage, à l’insu de l’équipage, de l’eau de mer a commencé à pénétrer dans le bateau par un sabord de décharge ouvert.

La quantité d’eau qui est entrée dans la coque a dépassé la capacité des pompes de cale et a inondé la zone située sous le pont.

Bien que RMI Marine ait installé les sabords de décharge sur le Captain Jim et qu’elle ait indiqué à Transports Canada (TC) qu’elle prévoyait de le faire, aucune des parties n’a évalué les conséquences possibles sur la sécurité de l’embarcation d’une quantité d’eau sur le pont supérieure à celle que les pompes de cale étaient capables d’évacuer. Cela signifie que RMI Marine n’était pas au courant des effets négatifs que les sabords de décharge avaient sur la stabilité du Captain Jim. Si les modifications apportées à un navire ne sont pas évaluées de façon adéquate quant à leurs répercussions sur la sécurité, il y a un risque que ces modifications compromettent sans le savoir la stabilité du navire, ce qui entraîne des répercussions sur la sécurité de l’équipage et des passagers du navire.

2.2 Prise de décisions

La conscience situationnelle et les biais en matière de performance sont des facteurs qui influencent les processus de prise de décisions. Les connaissances, l’expérience, la formation et l’aptitude au travail d’une personne peuvent également influencer la conscience situationnelle et la prise de décisions.

Peu après que l’alarme de haut niveau d’eau de cale s’est déclenchée et que l’on a observé une accumulation d’eau sur le pont, le capitaine a poursuivi le voyage puisque le bateau se trouvait à proximité d’eaux calmes en route vers le havre et que les 2 pompes de cale électriques fonctionnaient.

Peu après, le capitaine a constaté que le dispositif de fixation du sabord de décharge avant tribord n’était pas en place et que l’action des vagues faisait entrer de l’eau dans le bateau par le sabord de décharge ouvert, ce qui augmentait la quantité d’eau sur le pont. Le capitaine a décidé de poursuivre le voyage vers des eaux peu profondes. Cette décision a été influencée par un certain nombre de facteurs. Le fait d’atteindre des eaux peu profondes offrait la possibilité d’échouer intentionnellement le bateau si nécessaire. Le bateau avait la proue relevée, restait manœuvrable, maintenait une vitesse d’environ 10 nœuds et ne donnait pas de la gîte. Le capitaine avait une expérience antérieure dans des opérations de sauvetage dans le cadre desquelles des navires avaient embarqué de grandes quantités d’eau sans couler, et le capitaine a possiblement appliqué ces expériences au Captain Jim. De plus, le matelot de pont étant blessé, le capitaine n’avait pas de membre d’équipage pour l’aider à résoudre le problème d’infiltration d’eau ou à boucher les dalots arrière. Par ailleurs, le capitaine a jugé qu’il n’était pas sécuritaire de confier au passager des tâches de navigation.

Dans l’événement à l’étude, la décision du capitaine de tenter de regagner des eaux plus calmes a été influencée par ses nombreuses années d’expérience en mer. Toutefois, cette expérience ne lui a pas permis d’acquérir les compétences techniques nécessaires pour comprendre pleinement les conséquences de l’infiltration d’eau sur la stabilité et, par conséquent, pour reconnaître l’urgence de la situation.

L’accent mis par le capitaine sur la poursuite du voyage était conforme à la tendance à s’en tenir au plan. À mesure que le voyage se poursuivait, l’infiltration d’eau non atténuée a fait en sorte que le moteur et les batteries du bateau ont été envahis par l’eau, ce qui a entraîné l’arrêt des pompes de cale. Sans pompes opérationnelles et sans flottabilité inhérente, et avec les dalots arrière ouverts, le bateau a continué à prendre l’eau et à couler progressivement par l’arrière jusqu’à ce que le poids de l’eau dépasse la flottabilité du bateau, et le bateau a coulé rapidement.

Bien que le radeau de sauvetage ait été gonflé et placé le long du bateau, l’équipage s’était réfugié dans la timonerie pour réduire son exposition aux éléments. Étant donné que le bateau a coulé rapidement et que l’équipage se trouvait dans la timonerie, il n’y avait pas assez de temps pour permettre à tous d’embarquer dans le radeau de sauvetage; par conséquent, le passager est entré dans l’eau et le matelot de pont blessé s’est noyé.

2.3 Gestion de la sécurité

Un système de gestion de la sécurité (SGS) fournit une approche officielle, documentée et systématique pour aider les exploitants de navires à gérer les risques. La gestion des risques dans le cadre d’un SGS est un processus continu d’identification des dangers et d’analyse, d’atténuation et de suivi des risques existants et potentiels. Elle doit mobiliser les personnes à tous les niveaux d’un organisme. Un SGS peut être adapté aux besoins de l’exploitation, et même les petites entreprises ont intérêt à mettre en place des processus de sécurité pour gérer les risques. Il est important que les directives du SGS soient respectées en tout temps. Une compagnie peut s’assurer que les directives de son SGS sont suivies grâce à des vérifications régulières.

Bien que les petits navires à passagers, comme le Captain Jim, ne soient pas tenus d’avoir un SGS officiel, la réglementation de TC exige que les représentants autorisés élaborent des procédures pour l’exploitation sécuritaire du navire et pour faire face aux urgences, et qu’ils veillent à ce que les passagers et l’équipage reçoivent une formation en matière de sécurité. Cependant, il n’y a pas d’exigence réglementaire concernant les processus continus de détermination des dangers ainsi que d’évaluation et d’atténuation des risques. Par conséquent, la réglementation de TC ne définit pas un cadre de gestion de la sécurité équivalent à celui d’un SGS efficace.

En l’absence d’une exigence relative à un SGS officiel, RMI Marine, comme de nombreux autres exploitants de petits navires, a tenté de gérer les risques au moyen de lignes directrices, de politiques, de plans et de listes de contrôle. Toutefois, l’enquête a permis de déceler des lacunes qui ont eu des conséquences dans l’événement à l’étude. Par exemple, il n’y avait pas de directives à l’intention de l’équipage pour qu’il s’assure que tous les points d’infiltration d’eau potentiels étaient identifiés et atténués avant le départ et pour qu’il connaisse tous les moyens disponibles pour assécher le navire.

L’enquête a également permis de constater que la compagnie ne disposait pas de méthode pour s’assurer que les modifications apportées aux navires susceptibles d’influer sur la stabilité étaient évaluées, que les exploitants et les équipages connaissaient les principes de stabilité applicables aux navires de la compagnie et que tous les exploitants étaient titulaires des certificats nécessaires. Enfin, RMI Marine n’a pas vérifié ses processus de gestion de la sécurité et n’avait pas de méthode pour s’assurer que la liste de contrôle préalable au départ et le formulaire d’inspection du bateau étaient utilisés.

Si les processus de gestion de la sécurité d’une compagnie manquent d’éléments clés et qu’il n’y a pas d’exigence relative à un SGS officiel vérifié, il y a un risque que les navires soient exploités d’une manière qui compromet la sécurité des personnes à bord de façon involontaire.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. L’ajout de sabords de décharge à la coque du Captain Jim a réduit le franc-bord du bateau et l’a rendu vulnérable à l’infiltration d’eau.
  2. À un moment donné pendant le voyage de retour vers Eastern Passage, à l’insu de l’équipage, de l’eau de mer a commencé à pénétrer dans le bateau par un sabord de décharge ouvert. La quantité d’eau qui est entrée dans la coque a dépassé la capacité des pompes de cale et a inondé la zone située sous le pont.
  3. Le matelot de pont étant blessé, le capitaine n’avait pas de membre d’équipage pour l’aider à résoudre le problème d’infiltration d’eau ou à boucher les dalots arrière.
  4. La décision du capitaine de tenter de regagner des eaux plus calmes a été influencée par ses nombreuses années d’expérience en mer. Toutefois, cette expérience ne lui a pas permis d’acquérir les compétences techniques nécessaires pour comprendre pleinement les conséquences de l’infiltration d’eau sur la stabilité et, par conséquent, pour reconnaître l’urgence de la situation.
  5. À mesure que le voyage se poursuivait, l’infiltration d’eau non atténuée a fait en sorte que le moteur et les batteries du bateau ont été envahis par l’eau, ce qui a entraîné l’arrêt des pompes de cale.
  6. Sans pompes opérationnelles et sans flottabilité inhérente, et avec les dalots arrière ouverts, le bateau a continué à prendre l’eau et à couler progressivement par l’arrière jusqu’à ce que le poids de l’eau dépasse la flottabilité du bateau, et le bateau a coulé rapidement.
  7. Étant donné que le bateau a coulé rapidement et que l’équipage se trouvait dans la timonerie, il n’y avait pas assez de temps pour permettre à tous d’embarquer dans le radeau de sauvetage; par conséquent, le passager est entré dans l’eau et que le matelot de pont blessé s’est noyé.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si les modifications apportées à un navire ne sont pas évaluées de façon adéquate quant à leurs répercussions sur la sécurité, il y a un risque que ces modifications compromettent sans le savoir la stabilité du navire, ce qui entraîne des répercussions sur la sécurité de l’équipage et des passagers du navire.
  2. Si les processus de gestion de la sécurité d’une compagnie manquent d’éléments clés et qu’il n’y a pas d’exigence relative à un système de gestion de la sécurité officiel vérifié, il y a un risque que les navires soient exploités d’une manière qui compromet la sécurité des personnes à bord de façon involontaire.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

À la suite de l’événement, RMI Marine a pris des mesures pour s’assurer que seul du personnel certifié par Transports Canada exploite ses navires et que ses navires sont inspectés et assujettis à une mise à l’essai du fonctionnement par le personnel de la compagnie chaque trimestre. RMI Marine a également mis en place une nouvelle application mobile afin que les dossiers et les formulaires remplis soient automatiquement transmis au bureau. Enfin, RMI Marine a établi une formation régulière sur la procédure de configuration de la pompe entraînée par moteur pour être utilisée comme pompe de cale.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié en premier lieu le .

Correction

Après la publication du présent rapport, le BST a obtenu de l’information selon laquelle les inspecteurs de Transports Canada étaient retournés au Captain Jim en juillet 2008 après l’achèvement du radoub. La section intitulée « Certification et inspection du bateau » a été modifiée pour tenir compte de cette information, et la section intitulée « Liste de surveillance du BST » a été modifiée pour indiquer que la surveillance réglementaire effectuée par TC n’a pas relevé le fait que le bateau avait été modifié d’une manière qui a eu une incidence sur sa stabilité et son étanchéité.

Le Bureau a autorisé la présente correction le 2 février 2022 et la version corrigée du rapport a été publiée le 7 février 2022.

Annexes

Annexe A – Configuration du Captain Jim

Annexe A – Configuration du Captain Jim
Configuration du Captain Jim

Source : BST