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Rapport d'enquête maritime M93M0008

Échouement
du petit homardier «STUMP JUMPER»
Long Island (Nouvelle-Écosse)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

En rentrant à Westport (Nouvelle-Écosse) par beau temps et mer calme, le deuxième jour de la saison de pêche au homard de 1993, le «STUMP JUMPER» s'est échoué sur une chaîne de rochers dans le chenal d'approche. L'accident a entraîné la perte totale du navire. Trois des quatre membres de l'équipage ont été repêchés par deux autres bateaux de pêche, mais le patron a perdu la vie.

Le Bureau a déterminé que le «STUMP JUMPER» s'est échoué à cause d'une erreur de navigation alors qu'il approchait du port, en partie parce que le rendement du patron a été diminué par son mauvais état de santé ainsi que par la fatigue attribuable à un excès de travail. Le fait que le patron, qui ne savait pas nager, ne portait pas de vêtement de flottaison, a contribué à sa mort.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

«STUMP JUMPER»
Numéro officiel 347702
Port d'immatriculation Digby (N.-É.) Note de bas de page 1
Pavillon Canadien
Type Petit bateau de pêche (homardier)
Jauge brute 12,2 tonneaux Note de bas de page 2
Longueur 11,88 m
Cargaison (prise) environ 1 360 kg de homards
Construction 1973
Groupe propulseur Moteur diesel de 92 kW, permettant d'atteindre une vitesse de 10 noeuds
Propriétaire-patron Clifton L. Prime Central Grove (N.-É.)

1.1.1 Renseignements sur le navire

Le «STUMP JUMPER» était un navire non ponté en bois, de type «Cape Island», gréé pour la pêche au homard (voir l'annexe A). La coque, revêtue de plastique renforcé à la fibre de verre, était divisée par trois cloisons transversales sous le pont principal. La timonerie/poste de navigation se trouvait dans la partie avant du navire, et l'aire de travail, située sur le pont arrière découvert, était entourée d'un pavois d'environ 80 cm de hauteur.

1.2 Déroulement du voyage

Le navire a appareillé de Westport (N. É.) à 5 h 30 Note de bas de page 3 le 30 novembre 1993, pour un voyage de jour ne présentant pas de difficultés particulières. L'équipage de quatre personnes était constitué du propriétaire-patron et de trois matelots. Le navire a pêché sur plusieurs bancs de pêche au homard, tous situés dans un rayon de cinq milles du port (voir l'annexe B).

La pêche a pris fin à 17 h 30 et la prise, constituée de quelque 1 360 kg de homards vivants, a été placée dans des contenants sur le pont. Le navire a ensuite mis le cap sur l'entrée du Grand Passage pour rentrer au port où il était censé arriver vers 19 h.

Pour l'entrée dans le port, le patron gouvernait manuellement le navire. Tout en dirigeant la navigation de la timonerie, il devait aussi tenir la barre, assurer une veille visuelle et contrôler la vitesse. Les trois autres membres de l'équipage se reposaient; ils ne participaient pas à la navigation. Il y en avait un dans les emménagements, un autre dans la timonerie et le troisième, sur le pont arrière.

Après être passé entre la bouée HA2 et la pointe Dartmouth et alors qu'il filait environ 10 noeuds dans l'obsécuritéé mais par bonne visibilité, le navire s'est échoué inopinément sur la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth à 18 h 15 (voir l'annexe B). Le navire est monté sur la lisière de la chaîne de rochers, offrant son flanc bâbord à une houle du sud-ouest qui l'a fait durement travailler contre les rochers.

Les membres de l'équipage, violemment secoués et effrayés, se sont réunis dans la timonerie pour évaluer la situation. Ils ont entendu le patron prononcer les paroles suivantes : «What happened? How did we get here?» (Qu'est-ce qui s'est passé? Comment sommes-nous arrivés ici?). Personne n'a été blessé et personne n'a pu déterminer la cause de l'échouement. Ils ont constaté que le navire s'était échoué sur la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth et ont vu que le navire risquait de chavirer ou de se disloquer sous l'impact des vagues. Ils ont demandé assistance sur le radiotéléphone très haute fréquence (VHF) du «STUMP JUMPER»; d'autres bateaux de pêche ainsi que des unités de recherches et sauvetage (SAR) spécialisées ont répondu aux appels. Trois des quatre membres de l'équipage ont pu être secourus.

1.3 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Tués 1 - - 1
Disparus - - - -
Blessés graves - - - -
Blessés légers/Indemnes 3 - - 3
Total 4 - - 4

Le médecin a attribué la cause de la mort du patron à la noyade dans l'eau de mer. Il n'a pas découvert de lésions graves sur le corps.

1.4 Avaries et dommages

1.4.1 Avaries au navire

Le «STUMP JUMPER» a subi des avaries importantes à la coque; il a été possible de récupérer certains équipements avant que le navire ne finisse par se disloquer.

1.4.2 Dommages à l'environnement

Le gasole qui s'est échappé de l'épave a été rapidement dispersé par le vent et la mer. La pollution a été négligeable.

1.4.3 Autres avaries

Un autre bateau de pêche a subi des avaries mineures à la coque au cours de l'opération de sauvetage.

1.5 Certificats et brevets

1.5.1 Certificats du navire

Ayant moins de 15 tonneaux de jauge brute (tjb), le «STUMP JUMPER» n'était pas assujetti à des inspections réglementaires par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne (GCC), et il n'avait pas subi de telles inspections. Les dossiers des assureurs indiquent que le navire était bien entretenu et que son état général était satisfaisant.

1.5.2 Brevets et antécédents du personnel

La présence de personnel breveté n'est pas nécessaire à bord d'un navire de cette taille et de ce type. Toutefois, les membres de l'équipage qui se servaient du poste radio étaient tenus d'être titulaires des certificats appropriés.

1.5.2.1 Propriétaire-patron

Le propriétaire-patron avait une quarantaine d'années d'expérience de la pêche dans le même secteur à bord de petits bateaux de pêche non pontés semblables au «STUMP JUMPER», et il exploitait ce dernier depuis 1973. Il ne possédait pas de qualifications maritimes en bonne et due forme pour exploiter le navire ou le radiotéléphone VHF. Il ne savait apparemment pas nager.

1.5.2.2 Matelots

Deux des trois matelots possédaient une expérience considérable de la pêche au homard; ils pêchaient depuis quelque 16 et 10 ans, respectivement, avec le patron à bord du «STUMP JUMPER». Le troisième matelot en était à son premier voyage de pêche. Deux des trois matelots ne savaient pas nager.

Un des matelots possédait un brevet de capitaine de pêche de classe IV, obtenu en 1982; ce brevet s'accompagne nécessairement d'un certificat de fonctions d'urgence en mer. Ce matelot possédait aussi un permis d'opérateur radio.

1.5.3 État de santé de l'équipage et examen médical

Après l'échouement, le patron était étendu sur le pont découvert, inerte. Avant d'être entraîné par-dessus bord, il était apparemment vivant mais incapable de répondre aux questions.

Rien dans les règlements n'oblige les pêcheurs à passer un examen médical pour être employés à bord de navires. Dans le cas à l'étude, le patron était obèse et son dossier médical indique qu'il était traité pour du diabète (non insulino-dépendant). Son taux de sucre dans le sang était parfois élevé parce qu'il ne prenait pas toujours ses médicaments. On ne sait pas si le patron avait pris ses médicaments le jour de l'événement et on ne peut dire quand il les avait pris pour la dernière fois. (Voir les sections 1.6.4 et 2.3 qui traitent en détails de l'état de santé du patron.)

1.6 Facteurs influant sur le rendement des membres de l'équipage

1.6.1 La saison du homard et les méthodes de pêche

Dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, la saison commence chaque année à la fin novembre pour se terminer en mai de l'année suivante.

Dans les Maritimes, les homards sont capturés à l'aide de casiers (cages) mouillés au fond de la mer soit individuellement soit en train qui peuvent compter jusqu'à huit casiers en ligne. Les dimensions et le modèle des casiers ne sont pas toujours les mêmes, mais ceux-ci pèsent souvent plus de 40 kg. On mouille les casiers le jour de l'ouverture (premier jour) de la saison. Dès le lendemain, on commence à relever les casiers au moyen de treuils à moteur; on les vide, on les réappâte et on les affale à nouveau jusqu'au fond de la mer. Les homards capturés sont transportés vivants jusqu'au port où, en l'occurrence, ils devaient être conservés dans des cageots en bois laissant pénétrer l'eau de mer, jusqu'à ce qu'ils soient vendus.

1.6.2 Organisation du travail

Le patron gouvernait manuellement le navire à l'entrée et à la sortie du port. Il conduisait aussi le navire jusqu'aux positions où les casiers étaient mouillés, et il dirigeait les manoeuvres entre ceux-ci. Les trois autres membres de l'équipage étaient chargés de la prise et, à l'occasion, l'un d'entre eux relevait le patron pendant que celui-ci s'occupait de la prise.

1.6.3 Horaire des repas et des périodes de repos

Il n'y avait pas d'horaire fixe pour les repas et les périodes de repos. Il y avait à bord des aliments gardés au froid ainsi que du café chaud, que les membres de l'équipage ingéraient au cours des brèves périodes libres pendant le travail sur les casiers ainsi qu'au cours du trajet en provenance et à destination du port.

1.6.4 Milieu de travail et fatigue

La fatigue est généralement reliée au nombre d'heures de travail, ou causée par l'incapacité de profiter de périodes de sommeil régulier et ininterrompu, par l'exposition à des situations stressantes et par une lourde charge de travail (Pollard, Sussman, et Stearns, 1990). En outre, le milieu et les conditions de travail en mer (p. ex. bruit, vibrations et températures extrêmes) sont notoirement générateurs de stress (Pollard et al., 1990). De plus, des chercheurs de l'Institut militaire et civil de médecine environnementale ont conclu qu'on pouvait s'attendre à une détérioration de 30 p. 100 dans l'exécution de tâches cognitives après avoir passé 18 heures sans dormir (Angus, Pigeau et Heslegrave, 1988).

L'état de santé peut aussi nuire au rendement, surtout chez les personnes qui souffrent d'un état pathologique comme le diabète. Cette maladie peut s'accompagner d'étourdissements, comme de la confusion mentale, et d'un voile noir partiel.

Dans le cas à l'étude, les membres de l'équipage s'étaient levés vers 4 h 30 le 30 novembre, et avaient commencé à pêcher vers 6 h 30; le navire s'est échoué à 18 h 15. Certains des 375 casiers mouillés la veille avaient été rentrés, réappâtés et affalés de nouveau par le patron en 11 heures environ. Ce dernier était traité pour du diabète.

1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques

Les prévisions météorologiques émises par Environnement Canada à 5 h 30 le 30 novembre 1993 faisaient état de vents du nord-ouest de 10 à 15 noeuds augmentant à 15 à 20 noeuds en soirée, et d'une bonne visibilité constante.

Les conditions météorologiques au moment de l'échouement étaient les suivantes : vents du nord-ouest de 20 à 30 noeuds, mer de peu agitée à agitée à l'abri de la terre, bonne visibilité et forte houle du sud-ouest due à des tempêtes récentes.

1.7.1 Renseignements sur la marée

Selon les prévisions, la marée basse à Westport non loin du lieu de l'événement devait survenir vers 18 h le 30 novembre, précédée d'une vingtaine de minutes par l'étale de basse mer. La direction et la vélocité du courant de marée dans le secteur peuvent varier selon la vitesse, la durée et la direction du vent. L'échouement est survenu à environ un mille au sud-ouest de Westport et, selon le témoignage de personnes connaissant les lieux, la marée devait tout juste commencer à monter.

1.8 Aides à la navigation

Les instruments de navigation à bord du navire comprenaient un compas magnétique, un sondeur, un Loran C, un radar et un radiotéléphone VHF. Tout cet équipement était utilisé et fonctionnait apparemment de façon satisfaisante.

Les aides fixes à la navigation dans le secteur étaient aux positions indiquées sur une carte locale. Le feu de l'île Peters, de même que ceux placés aux extrémités des trois quais de Westport et Freeport, étaient bien visibles.

Après l'échouement, on a vérifié la position de la bouée lumineuse à cloche HA2; on a constaté que celle-ci était à 5,5 encablures au sud de sa position sur la carte. La bouée, surmontée d'un feu à éclats rouge, devait être laissée sur tribord par les navires. Apparemment, il n'est pas rare que des patrons de homardiers locaux ne laissent pas la bouée sur tribord tel que prévu, mais préfèrent passer entre celle-ci et la pointe Dartmouth pour s'engager dans l'entrée du chenal. Environ deux encablures séparent la courbe de niveau de 10 m au large de la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth de la position de la bouée HA2 indiquée sur la carte.

1.8.1 Navigation du «STUMP JUMPER»

Il n'est pas courant pour les bateaux de pêche du type et de la taille du «STUMP JUMPER» de préparer un plan de navigation détaillé avant d'entrer ou de sortir d'un port, ou encore de se servir d'une carte. On a plutôt tendance à naviguer en se fiant à ses habiletés et à sa connaissance des lieux. Le patron du «STUMP JUMPER» ne faisait pas exception; il avait l'intention de se rendre d'abord à Westport pour faire le plein de carburant, puis de traverser le Grand Passage vers Freeport pour y décharger la prise aux cageots.

C'était la première fois que le patron vendait sa prise à un acheteur (le propriétaire des cageots). Peu avant l'échouement, le patron a été averti par radiotéléphone VHF que l'acheteur attendait aux cageots pour recevoir la prise. C'est pourquoi il a mis le cap vers Freeport. Les cageots se trouvaient du côté est du chenal; Westport est sur le côté ouest.

1.9 Communications radio

1.9.1 Voies des radiotéléphones très haute fréquence

Le «STUMP JUMPER», le NGCC «WESTPORT», le Centre de coordination du sauvetage (CCS) de Halifax et l'hélicoptère SAR du ministère de la Défense nationale (MDN) étaient tous équipés de radiotéléphones VHF pouvant transmettre et recevoir des communications sur diverses fréquences, dont la voie 16 et la voie 6. La station radio de la Garde côtière (SRGC) de Yarmouth est équipée pour enregistrer les communications de la voie 16, mais non celles de la voie 6. Toutes les stations, à l'exception du CCS de Halifax, se trouvaient à l'intérieur de la portée utile des moyens de communication VHF. Les communications entre le CCS et la SRGC étaient assurées par téléphone mobile et à fil.

Les homardiers du secteur utilisent la voie 6 comme fréquence de travail pour communiquer entre eux.

1.9.2 Procédure de la station radio de la Garde côtière pour les communications de détresse

La SRGC assure une écoute permanente sur la voie 16, fréquence internationale de détresse et d'appel. Lorsqu'elle capte un appel «Mayday», la station demande au navire en détresse de continuer d'utiliser la voie 16 pour ses communications. Il est interdit à tout autre navire d'entraver les communications de détresse ou d'émettre sur la fréquence de détresse. Lorsque les communications de détresse sont bien établies et après la diffusion de la SRGC, il est permis de reprendre les transmissions et le travail normal.

1.9.3 Communications de détresse

Peu après l'échouement, la première demande d'aide a été faite par le patron du «STUMP JUMPER» sur la voie 11 du radiotéléphone VHF, mais cette communication n'a été captée par aucune station. À 18 h 17, un appel subséquent a été fait au «WESTPORT» par un des matelots sur la voie 16. Voici le texte de ce message : «Coast Guard «WESTPORT», are you on this one?» (Garde-côte «WESTPORT», êtes-vous à l'écoute sur cette voie?). Ce message n'était pas précédé du préfixe «Mayday». Néanmoins, la SRGC de Yarmouth, sachant que les membres de l'équipage du «WESTPORT» n'étaient pas de service, a intercepté le message pour obtenir des renseignements relatifs à la situation de détresse et voir si le «STUMP JUMPER» avait besoin d'aide.

Avant que tous les renseignements utiles aient pu être obtenus, le radiotéléphone VHF du «STUMP JUMPER» est passé de la voie 16 à la voie 6 afin d'informer les autres navires se trouvant dans le secteur que le «STUMP JUMPER» avait besoin d'aide. Plusieurs bateaux de pêche ont répondu à l'appel. Entre-temps, la SRGC de Yarmouth a alerté le CCS de Halifax et le «WESTPORT» a été dépêché pour porter assistance.

Sur instructions de la SRGC de Yarmouth, le «WESTPORT» a demandé aux homardiers de passer sur la voie 16 et d'y rester à l'écoute en permanence. Au lieu de cela, ceux-ci ont préféré demeurer sur la voie 6. Seulement un autre navire a brièvement communiqué avec la SRGC de Yarmouth sur la voie 16, mais il était incapable d'apporter des précisions au sujet de l'événement.

Voici le déroulement des communications entre la SRGC de Yarmouth et le «STUMP JUMPER» :

«STUMP JUMPER»Sommes au large de Westport et avons besoin d'aide rapidement ici, nous allons chavirer.

SRGC Quel est le nom de votre navire et pourrais-je avoir votre position s'il- vous-plaît, à vous.

«STUMP JUMPER»Ici le «STUMP JUMPER», nous sommes juste ici ... à l'entrée du passage près de l'île Peters. Nous sommes échoués sur la chaîne de rochers, le bateau va chavirer si on n'a pas de l'aide rapidement. Juste à l'entrée de Westport Passage.

SRGC Roger sir, roger combien de personnes à bord, à vous.

«STUMP JUMPER»Il y a quatre personnes à bord, nous n'avons pas le temps de parler, il faut faire quelque chose.

Cette série de communications s'est terminée à 18 h 18 (environ 60 secondes après avoir débuté).

1.10 Opération de recherches et sauvetage

1.10.1 Tentatives de sauvetage par les bateaux de pêche

Avant l'arrivée d'autres navires sur les lieux, un des matelots s'est attaché une bouée de casier à homards au bras et a laissé une des lames l'entraîner par-dessus bord. Les deux premiers bateaux de pêche sont arrivés sur les lieux environ cinq minutes après l'échouement, et ils ont été rapidement suivis de plusieurs autres. Tous étaient munis de projecteurs et s'en sont servis pour éclairer la scène pendant qu'on évaluait la situation. Constatant que le «STUMP JUMPER» n'était pas stable sur les rochers, on a jugé qu'il serait dangereux de s'en approcher trop près. Trois personnes se trouvaient sur le pont; deux étaient alertes, se tenaient debout et s'agrippaient au navire, tandis que l'autre (le patron), était étendu sur le pont, inerte. Peu après, le patron a été entraîné par-dessus bord, mais les deux matelots ont réussi à le hisser sur le pont, avant qu'il ne soit entraîné une nouvelle fois à la mer et perdu de vue. Dans l'intervalle, l'équipage d'un des navires venus prêter assistance a aperçu le troisième matelot dans l'eau et l'a repêché. Au bout d'une vingtaine de minutes, le «STUMP JUMPER» a pivoté sur la chaîne de rochers et son arrière s'est retrouvé en eau plus profonde. L'un des bateaux de pêche a profité de l'occasion pour se ranger contre le «STUMP JUMPER» afin de secourir les deux membres d'équipage restants. Le corps du patron a été repêché dans la mer environ une heure plus tard par un bateau de pêche. Les tentatives de réanimation se sont avérées vaines et le patron a été transporté sur la terre ferme où on a constaté le décès.

1.10.2 Tentatives de sauvetage par le «WESTPORT»

Le «WESTPORT» est un navire en acier à deux hélices conçu pour les opérations de sauvetage côtières. Long de 13,4 m, il a un tirant d'eau de 1,09 m et un équipage de trois personnes qui se compose d'un capitaine et de deux matelots. Le «WESTPORT» est muni d'un pneumatique à coque rigide surtout destiné à servir d'embarcation de sauvetage. Pendant les opérations SAR, il faut au moins deux personnes pour manoeuvrer le pneumatique; celui-ci n'a pas été utilisé dans le cas à l'étude.

Après la première communication du «STUMP JUMPER», à 18 h 17, le CCS a appelé les membres de l'équipage du «WESTPORT» à 18 h 18 sur leur téléavertisseur (ces derniers n'étaient pas de service) pour les prévenir que leur navire était envoyé en mission de sauvetage. Le «WESTPORT» a appareillé de son poste à quai à 18 h 23, cinq minutes plus tard, et est arrivé sur les lieux vers 18 h 29. Après avoir évalué la situation, le «WESTPORT» a prévenu le CCS à 18 h 36 qu'il avait immédiatement besoin d'un hélicoptère.

De nombreux bateaux de pêche se trouvaient dans les parages immédiats en train de tenter des manoeuvres de sauvetage. Par conséquent, l'espace de manoeuvre était limité, ce qui empêchait le «WESTPORT» d'intervenir directement sans danger. Comme le «WESTPORT» était momentanément dans l'impossibilité de participer activement au sauvetage, ses deux matelots, qui se trouvaient à l'extérieur de la timonerie, ont entrepris de scruter la mer en quête de survivants, tandis que le capitaine éclairait le secteur avec un projecteur tout en tenant le CCS au courant. Après que les trois survivants ont été secourus, le «WESTPORT» a pu se joindre aux recherches pour retrouver le patron, en restant en communication avec tous les participants.

1.10.3 Tentatives de sauvetage par l'hélicoptère

Les membres de l'équipage de l'hélicoptère n'étaient pas de service lorsqu'ils ont été mobilisés à 18 h 42. L'hélicoptère a décollé à 19 h 24 et est arrivé sur les lieux à 19 h 49. On n'avait toujours pas localisé le disparu et, après avoir évalué la situation, on a élingué un technicien SAR sur le pont du «STUMP JUMPER». Alors qu'il fouillait le navire et les parages immédiats, celui-ci a aperçu deux ou trois gilets de sauvetage qui flottaient dans le rouf inondé, mais il n'a trouvé aucune trace du patron. Il a plus tard été informé que celui-ci avait été repêché et amené à terre, avec les trois survivants. Les techniciens SAR ont alors été transportés sur la terre ferme où on avait besoin de leurs connaissances médicales. Pendant qu'ils tentaient de réanimer le patron, le médecin de l'endroit est arrivé et il a constaté le décès.

1.10.4 Déploiement et intervention des ressources de recherches et sauvetage

Le navire SAR spécialisé «WESTPORT» a son port d'attache à Westport. Le navire est prêt à intervenir immédiatement de 8 h à 16 h et prêt à intervenir à 30 minutes d'avis en dehors de ces heures. Après 16 h, on rejoint l'équipage grâce à un système de téléavertisseurs.

Au plus fort de la saison de pêche, lorsque le besoin des ressources SAR est le plus grand, des aéronefs SAR sont basés à des endroits stratégiques afin de réduire le temps d'intervention. Conformément à la procédure établie, l'hélicoptère devait être prêt à intervenir à 30 minutes d'avis de 7 h à 16 h, lorsqu'il n'était pas en train de faire une patrouille SAR, et prêt à intervenir à 2 heures d'avis après 16 h.

1.10.5 Inefficacité perçue des services de recherches et sauvetage

Au cours de l'enquête, des résidants ont fait connaître leurs préoccupations au sujet du NGCC «WESTPORT», de la SRGC de Yarmouth et de l'hélicoptère du MDN, à savoir :

  1. La SRGC a cherché à obtenir trop de détails futiles, comme la couleur du navire, ce qui a fait perdre un temps précieux malgré l'urgence de la situation.
  2. Le «WESTPORT» a joué un rôle passif dans l'opération de sauvetage, laissant les bateaux de pêche faire le gros du travail.
  3. Le «WESTPORT» n'a pas lancé de fusées éclairantes pour illuminer le secteur.
  4. Le «WESTPORT» n'a pas mis à l'eau son pneumatique à coque rigide.
  5. L'hélicoptère est arrivé trop tard sur les lieux et aurait dû être disponible immédiatement.

1.11 Équipement de sauvetage

L'équipement de sauvetage qui se trouvait à bord du «STUMP JUMPER» comprenait un radeau pneumatique, arrimé sur le toit de la timonerie, quatre gilets de sauvetage approuvés, arrimés dans le rouf, et une bouée de sauvetage approuvée avec filin, accrochée sur le côté de la timonerie.

Après l'échouement, l'envahissement du navire et la panne d'éclairage dans le rouf ont empêché l'équipage d'atteindre les gilets de sauvetage, et les mouvements violents du navire sur les rochers n'ont permis d'utiliser ni le radeau pneumatique ni la bouée de sauvetage. Aucun des membres de l'équipage ne portait de vêtement de flottaison individuel (VFI).

Aucune disposition des règlements n'oblige les équipages des navires de cette taille et de ce type à porter des combinaisons de travail isothermes, et il n'est même pas nécessaire qu'il y en ait à bord. Les combinaisons de travail sont conçues pour permettre à celui qui les porte de flotter tout en le protégeant contre le froid, sans nuire à l'exécution de ses tâches normales. Certains pêcheurs considèrent que les combinaisons sont trop chaudes pour être portées pour la pêche et ne les acceptent donc qu'avec réticence.

1.11.1 Utilisation de l'équipement de sauvetage pendant les opérations de pêche

Les gilets de sauvetage et les combinaisons d'immersion sont surtout conçus pour servir dans des situations d'urgence qui peuvent mener à l'abandon du navire. Ces deux dispositifs sont censés permettre à celui qui les porte de flotter en lui maintenant le visage hors de l'eau, mais la combinaison d'immersion est aussi conçue pour fournir une protection contre le froid. Ils sont tous deux assez encombrants et peuvent nuire à l'exécution des tâches normales dans des situations quotidiennes. Afin de corriger cette lacune, la GCC a élaboré des normes touchant les combinaisons de travail isothermes destinées aux pêcheurs. Plusieurs marques différentes sont désormais vendues. Un sondage effectué par la GCC en 1993 a montré que 62 p. 100 des répondants trouvaient la combinaison de travail trop chaude pour être portée en été. Cependant, 90 p. 100 des répondants ont affirmé qu'ils porteraient la combinaison de travail par temps froid ou par mauvais temps.

2.0 Analyse

2.1 Chronologie des événements qui ont mené à l'échouement

À cause de l'absence de témoins oculaires, il a été impossible de reconstituer avec précision les événements ayant mené à l'échouement, ou de déterminer si l'état de santé du patron a contribué à l'échouement. Toutefois, il existe des facteurs contraignants qui peuvent expliquer le rendement du patron.

2.2 Facteurs ayant pu jouer un rôle dans l'échouement

2.2.1 Courant, dérive et chargement

Ni le chargement ni les conditions météorologiques ne sont considérés comme ayant pu nuire à la navigation du navire. L'entrée sud du Grand Passage est sujette à un phénomène d'entonnoir Note de bas de page 4 et la marée venait tout juste de commencer à monter; par conséquent, le vent aurait eu pour effet de retarder la progression du navire.

2.2.2 Approche et position de la bouée

Comme les bateaux de pêche locaux, y compris le «STUMP JUMPER», travaillent souvent près des côtes et de la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth, ils ne se guident ordinairement pas sur la bouée HA2. Les sondages ne sont pas d'une grande utilité à proximité de cette chaîne de rochers très escarpée. Par conséquent, il faut être très prudent lorsqu'on navigue à proximité de la chaîne de rochers. La bouée n'était pas à sa place, mais on ne s'en est pas servi pour se guider.

2.2.3 Déploiement du personnel

Comme le navire serrait la côte à proximité de la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth, le patron devait être alerte et avoir la situation bien en main. Cependant, le patron ne connaissait pas la position du navire au moment de l'échouement. Cela laisse supposer qu'il ne surveillait pas attentivement l'écran radar.

Un des matelots connaissait les méthodes et pratiques de navigation, mais le patron, en dépit de sa mauvaise santé et de son horaire de travail exigeant, n'a pas demandé l'aide de celui-ci pour rentrer au port.

2.3 État de santé du patron

Dans le cas à l'étude, les mouvements du navire, le travail sur le pont, le nombre d'heures travaillées, les conditions ambiantes comme la température, le bruit, les vibrations et l'ingestion de nourriture, entre autres, ont eu un effet sur le rendement du personnel du navire.

Pendant les deux premiers jours de la saison de pêche au homard, l'équipage a beaucoup de travail et fait des journées de plus de 12 heures. Le jour de l'événement, les quatre membres de l'équipage ont manutentionné 375 casiers, chacun pesant plus de 40 kg, en 11 heures environ, ce qui représente en moyenne un casier toutes les deux minutes. Et cela ne tient pas compte des intervalles entre le relèvement de chaque train de casiers ni du temps mis à se rendre d'un train de casiers à l'autre.

Les petits bâtiments comme le «STUMP JUMPER» tanguent et roulent même sur une mer très maniable, ce qui est très exigeant tant physiquement que mentalement pour l'équipage. Le rendement du patron était peut-être également diminué par la fatigue résultant de journées de travail de 12 heures entrecoupées de très courtes périodes de repos, surtout s'il n'avait pas pris ses médicaments et suivi son régime, ce qui aurait aggravé son diabète.

Comme l'examen du dossier médical du patron montre que son taux de sucre dans le sang était parfois élevé, cela semble indiquer que celui-ci ne suivait pas rigoureusement son régime ou ne prenait pas toujours ses médicaments, ou les deux. Toutefois, comme on ne dispose d'aucune information concernant les aliments et les médicaments ingérés pendant la période précédant l'événement, il est impossible de savoir dans quelle mesure le rendement du patron a pu être diminué en raison de ces facteurs.

Quelques minutes après l'échouement, le patron était étendu sur le pont, incapable de se relever ou même de répondre aux questions. Cela donne à penser que son état était sérieux. On n'a effectué ni autopsie ni analyse pour déterminer l'existence d'états pathologiques préalables qui auraient pu contribué à la mort du patron. Néanmoins, compte tenu de l'obésité de celui-ci, des effets possibles de taux de sucre élevés dans le sang conjugués aux longues heures de travail, on ne peut écarter la possibilité que le patron ait subi des changements métaboliques graves et finalement débilitants, un accident cardio-vasculaire, ou même une attaque d'apoplexie.

Le patron a été entraîné par-dessus bord dans les minutes qui ont suivi l'échouement; il ne portait pas de VFI, ne savait pas nager et était en mauvaise santé. Il s'agit là d'un ensemble de facteurs qui ont contribué à sa mort. L'incapacité du patron de rester à flot, sa mauvaise santé et une perte de conscience possible ont sérieusement compromis ses chances de survie.

2.4 Facteurs influant sur l'opération de recherches et sauvetage

La voie 16 est la fréquence internationale de détresse et d'appel désignée tandis que la voie 6 est une fréquence désignée pour les communications de navire à navire. La SRGC de Yarmouth ne possède pas la voie 6 du VHF; comme le «STUMP JUMPER» a communiqué avec les bateaux de pêche participant à l'opération de sauvetage sur la voie 6, voie que la SRGC de Yarmouth ne possède pas, on n'a pas d'enregistrement des communications SAR et il est impossible d'évaluer l'efficacité de l'opération SAR menée par les bateaux de pêche et de porter un jugement éclairé sur le rôle joué par le «WESTPORT».

2.4.1 Communications et déploiement des ressources de recherches et sauvetage

L'examen de la transcription des communications enregistrées par la SRGC a révélé que l'information demandée était conforme aux directives internationales concernant la transmission de messages de détresse et qu'elle était nécessaire pour obtenir des renseignements essentiels que n'avait pas fournis le «STUMP JUMPER».

Même si les messages transmis par le «STUMP JUMPER» n'étaient pas précédés du préfixe «Mayday» ou PAN, la SRGC de Yarmouth a promptement informé de la situation le CCS de Halifax ainsi que le «WESTPORT». Cela explique que le «WESTPORT» soit arrivé très rapidement sur les lieux, en 11 minutes environ. Comme l'information fournie par le navire en détresse n'était pas complète et que le «STUMP JUMPER» a unilatéralement décidé de quitter la voie 16 pour passer sur la voie 6 (à laquelle la SRGC n'avait pas accès), la SRGC a été incapable de suivre directement l'évolution de la situation. Elle devait donc se fier à l'information reçue du «WESTPORT». Ce n'est que lorsque le «WESTPORT» est arrivé sur les lieux et a évalué la situation que l'intervention d'un hélicoptère a été jugée nécessaire, et la demande a été faite immédiatement. Malgré tout, la demande a été faite rapidement, soit environ 19 minutes après la première communication entre le navire en détresse et la SRGC.

Étant donné que le patron a été entraîné par-dessus bord peu après l'échouement et qu'il avait peu de chances de survivre, l'issue n'aurait pas été différente même si l'hélicoptère était intervenu aussi rapidement que lors d'une opération SAR de jour. L'aéronef devait être prêt à intervenir à deux heures d'avis, mais l'équipage a tout de même réagi très rapidement, ce qui a permis à l'hélicoptère de décoller 42 minutes après avoir été mobilisé et d'arriver sur les lieux en 1 heure 7 minutes.

2.4.2 Abandon prématuré - Évaluation par le technicien SAR

L'expérience passée montre que l'abandon prématuré d'un navire échoué par mauvais temps peut être fatal et qu'il est arrivé que le navire soit demeuré intact et aurait pu servir de refuge. Le matelot qui s'est laissé entraîné par-dessus bord et a abandonné le navire avant l'arrivée des autres bateaux de pêche a eu de la chance d'être aperçu et repêché.

Selon l'évaluation de la situation faite par les techniciens SAR, les personnes se trouvant à bord du «STUMP JUMPER» auraient pu être évacuées en toute sécurité. Le matelot qui a abandonné prématurément le navire s'exposait à des risques supplémentaires. Le patron n'a pas abandonné le navire de son plein gré, il a été entraîné par-dessus bord par une lame.

2.4.3 Déploiement efficace de l'équipe de sauveteurs du «WESTPORT »

C'est au capitaine du «WESTPORT» qu'il incombe de voir au déploiement efficace de son équipage selon les circonstances de chaque intervention. L'équipage, qui compte seulement trois personnes, doit être déployé de façon à permettre au capitaine de suivre attentivement l'opération SAR sur place tout en tenant le CCS au courant de l'évolution de la situation. Comme une veille visuelle attentive est essentielle au succès d'une opération SAR, le capitaine a placé deux vigies à l'avant malgré le fait qu'il éprouvait des difficultés à bien diriger le projecteur.

Le «WESTPORT» roulait et tanguait; par conséquent, les vigies postées à l'avant devaient se tenir à la rambarde. Il n'y avait pas, à bord du «WESTPORT», de moyens de communication interne mains-libres et les communications ont été difficiles entre les vigies et le capitaine. En outre, comme les commandes du projecteur étaient situées dans la timonerie, on a aussi éprouvé des difficultés à bien diriger le faisceau lumineux.

Comme les membres de l'équipage étaient postés à l'avant, le capitaine restait seul dans la timonerie; il devait s'occuper des communications, coordonner les recherches et manoeuvrer son navire au milieu des bateaux de pêche tout en essayant de diriger le projecteur. S'il avait gardé l'un des matelots dans la timonerie, celui-ci aurait pu s'occuper du projecteur, ce qui aurait permis au capitaine de se concentrer sur ses autres tâches importantes.

2.5 Perception des services de recherches et sauvetage et de l'efficacité de l'intervention

De nombreux pêcheurs et résidants de Freeport ont sous-estimé la qualité des services SAR et l'efficacité de l'intervention. Ils n'étaient pas bien conscients de l'importance de renseignements détaillés et exacts concernant le navire, sa position, la nature de la situation de détresse et l'équipement de sauvetage, renseignements qui sont essentiels à l'exécution rapide d'une opération SAR réussie. En outre, la majorité des interventions SAR du «WESTPORT» au fil des ans, qui comprenaient le remorquage au port de bateaux de pêche en panne, avaient été menées rondement. Cela explique que tous s'attendaient à une intervention aussi rapide dans toutes les situations SAR. L'équipage du «WESTPORT» est monté à bord en seulement cinq minutes, bien en deçà du délai d'intervention de 30 minutes prescrit, et le navire est arrivé sur les lieux 11 minutes après avoir été dépêché.

Si on avait mis à l'eau le pneumatique à coque rigide avec les deux membres d'équipage requis, le capitaine serait resté seul à bord du «WESTPORT» pour diriger et coordonner l'opération SAR, manoeuvrer son navire, voir à la sécurité du pneumatique àcoque rigide et de son équipage, et veiller à la sécurité générale de tous ceux qui participaient à l'intervention SAR. C'est pour cette raison, et à cause des conditions météorologiques, qu'on a décidé de ne pas utiliser le pneumatique à coque rigide, de peur de compromettre la sécurité du «WESTPORT» ainsi que celle des autres navires qui participaient à l'opération SAR.

Cependant, les bateaux de pêche qui participaient au sauvetage s'attendaient à ce que le «WESTPORT» prenne le relais dès son arrivée et mène à bien l'intervention. Ils ont donc eu l'impression que celui-ci s'était contenté de surveiller la situation, les laissant effectuer le sauvetage. Comme les bateaux de pêche qui tentaient de venir au secours des survivants étaient très près les uns des autres, le «WESTPORT» a jugé prudent de laisser les deux bateaux de pêche poursuivre leurs tentatives, d'autant plus qu'il était impossible de mettre à l'eau le pneumatique à coque rigide. Cette décision a permis à l'opération de se poursuivre sans interruption et d'épargner un temps précieux. Même si tous les navires de secours étaient en communication avec le «WESTPORT», aucun d'entre eux n'a fait part de son mécontentement au «WESTPORT».

Les membres de l'équipage du «WESTPORT» avaient participé à un certain nombre d'exercices SAR mixtes mettant en oeuvre des ressources SAR maritimes et aériennes désignées, et ils connaissaient bien les procédures et les méthodes établies. D'autre part, à l'exception de quelques bateaux de pêche de la région de Westport qui font partie du Service auxiliaire canadien de sauvetage maritime (SACSM), les pêcheurs locaux sont rarement appelés à participer à des exercices visant à protéger leurs propres intérêts et ceux de la collectivité.

En outre, les résidants avaient assisté à des exercices réunissant le «WESTPORT» et un aéronef à voilure fixe du MDN, exercices au cours desquels des fusées éclairantes au magnésium avaient été larguées par l'avion pour éclairer la zone des recherches; par conséquent, ils ont eu à tort l'impression que le «WESTPORT» aurait aussi été capable d'utiliser de tels moyens.

2.6 Obligations des patrons de bateaux de pêche concernant les recherches et le sauvetage

La présence d'un hélicoptère à l'ouverture de la saison de pêche au homard est destinée à raccourcir le temps de déplacement et à permettre une intervention rapide dans des situations d'urgence. Toutefois, dans l'intérêt de la sécurité, les pêcheurs doivent prendre les précautions qui s'imposent, compte tenu des délais d'intervention et des temps de déplacement pour les missions SAR, afin d'exploiter leurs navires de la façon la plus sûre possible.

2.7 Inaccessibilité de l'équipement de sauvetage en cas d'urgence

En raison de l'espace restreint à bord de petits bateaux de pêche comme le «STUMP JUMPER», les gilets de sauvetage arrimés dans les emménagements et dans la timonerie sont souvent impossibles à atteindre dans une situation d'urgence. Comme des moyens de protection contre le froid sont essentiels à la survie dans les eaux froides au large des côtes canadiennes et comme il existe des combinaisons de travail conçues pour fournir une telle protection tout en permettant de flotter, cet événement met encore une fois en évidence la nécessité d'avoir à bord et d'utiliser de telles combinaisons de travail. Il est bien certain que, dans certaines conditions, les combinaisons de travail peuvent être chaudes à porter; toutefois, il convient de bien évaluer les risques quand on prend la décision de porter ou de ne pas porter la combinaison de travail.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Le patron a fait une erreur de navigation en approchant du port.
  2. En entrant dans le port, le patron a reçu un appel l'avertissant d'un changement de destination.
  3. Les effets cumulatifs du diabète et de la fatigue causée par le travail ont probablement nui au rendement du patron.
  4. Le patron, qui gouvernait seul le navire, n'avait déployé efficacement aucun autre membre de son équipage pendant l'entrée du navire dans le port.
  5. L'utilisation d'une voie du radiotéléphone très haute fréquence (VHF) autre que celle indiquée par la station radio de la Garde côtière (SRGC) de Yarmouth a empêché une surveillance directe efficace de l'opération de recherches et sauvetage (SAR).
  6. Il a été impossible de dépêcher l'hélicoptère jusqu'à ce que le NGCC «WESTPORT» arrive sur les lieux parce qu'on manquait de renseignements au sujet du «STUMP JUMPER».
  7. Le «WESTPORT» et l'hélicoptère ont rapidement répondu à l'appel de détresse, bien en deçà des délais d'intervention prescrits.
  8. Lorsque le «WESTPORT» est arrivé sur les lieux, les bateaux de pêche avaient déjà entamé des tentatives de sauvetage, et le «WESTPORT» a joué un rôle de surveillance passif de l'opération SAR.
  9. Les gestes posés par les équipages des bateaux de pêche montrent que ceux-ci ont mal saisi le besoin pour tous ceux qui participaient à l'opération SAR de coordonner leurs efforts.
  10. Il n'existe aucune exigence concernant l'état de santé des pêcheurs, pas plus que relativement aux heures de travail; après l'échouement, le patron a été frappé d'incapacité.
  11. Le patron a perdu la vie parce qu'il ne portait pas de dispositif de flottaison individuel, ne savait pas nager, était en mauvaise santé et a été frappé d'incapacité.
  12. L'inondation du rouf et la panne de courant ont empêché l'équipage d'atteindre les gilets de sauvetage.
  13. On a éprouvé de la difficulté à mettre à l'eau le radeau pneumatique et la bouée de sauvetage à cause des mouvements violents du navire.

3.2 Causes

Le «STUMP JUMPER» s'est échoué à cause d'une erreur de navigation alors qu'il approchait du port, en partie parce que le rendement du patron était diminué par son mauvais état de santé ainsi que par la fatigue attribuable à un excès de travail. Le fait que le patron, qui ne savait pas nager, ne portait pas de vêtement de flottaison, a contribué à sa mort.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Analyse de la Garde côtière

Après l'événement, la Garde côtière canadienne (GCC) a fait savoir qu'elle avait procédé à une analyse des circonstances de l'événement ainsi que de la façon dont l'opération de recherches et sauvetage (SAR) avait été menée. L'analyse a conclu que l'opération SAR avait été bien menée; cependant, par suite de cette analyse, la GCC compte faire l'acquisition de projecteurs pour sa flotte de sauvetage.

4.1.2 Habiletés, formation et qualifications

Dans son rapport d'enquête sur un abordage entre deux bateaux de pêche, survenu en 1993 (rapport no M92M4031 du BST), le Bureau déplorait que les qualifications insuffisantes des membres d'équipage et leur manque de connaissances et d'habiletés en navigation, aient contribué, au moins partiellement, à environ 45 à 50 p. 100 de tous les abordages, échouements et heurts violents de bateaux de pêche au Canada. Par conséquent, le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports s'assure que toute personne qui est appelée à prendre la conduite d'un bateau de pêche commerciale possède les habiletés nécessaires à la sécurité de la navigation.
Recommandation M94-10 du BST

Par la suite, la GCC a préparé des documents de travail après la tenue de réunions régionale et nationale du Conseil consultatif maritime canadien (CCMC) à la fin de 1994 et au début de 1995, respectivement. Ces documents de travail proposent de nouvelles exigences concernant les certificats et décrivent les intentions de la GCC concernant des modifications aux règlements relatifs aux certificats des bateaux de pêche et aux qualifications des équipages. Le sujet a été discuté de nouveau lors de la réunion nationale du CCMC qui s'est tenue à Ottawa en octobre 1995.

4.1.3 Heures de repos

Le Bureau a déjà aussi exprimé son inquiétude concernant le nombre de bateaux de pêche canadiens mis en cause dans des événements maritimes où la fatigue de l'équipage a joué un rôle. Le règlement actuel concernant les heures de repos (Règlement sur l'armement en hommes en vue de la sécurité) ne s'applique pas au personnel employé à bord de bateaux de pêche canadiens. Toutefois, le Bureau croit savoir que Transports Canada a terminé en janvier 1995 une étude portant sur l'examen et la révision du Règlement sur l'armement en hommes en vue de la sécurité. De cette étude, qui était axée sur la fatigue, découleront des modifications à l'actuel règlement, notamment de nouvelles dispositions concernant les heures minimales de repos pour les personnes employées à bord de bateaux de pêche.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Par conséquent, la publication de ce rapport a été autorisée le par le président, John W. Stants, et Zita Brunet, membre, en attendant l'approbation formelle du Bureau.

Annexes

Annexe A - Croquis d'un bateau de type «Cape Island»

Annexe B - Croquis du secteur de l'échouement

Annexe C - Photographies

Le STUMP JUMPER toujours échoué sur la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth le lendemain matin.
Le STUMP JUMPER toujours échoué sur la chaîne de rochers de la pointe Dartmouth le lendemain matin.
Des cageots à homards au large de Freeport. À remarquer : la chaîne de rochers la pointe Dartmouth en arrière-plan.
Des cageots à homards au large de Freeport. À remarquer : la chaîne de rochers la pointe Dartmouth en arrière-plan.

Annexe D - Sigles et abréviations

BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
cageot
Caisse en bois à claire-voie laissant pénétrer l'eau de mer où sont conservés les homards vivants jusqu'à ce qu'ils soient vendus.
CCS
Centre de coordination du sauvetage
CCMC
Conseil consultatif maritime canadien
cm
centimètre(s)
GCC
Garde côtière canadienne
HNA
heure normale de l'Atlantique
kg
kilogramme(s)
kW
kilowatt(s)
m
mètre(s)
MDN
ministère de la Défense nationale
N.-É.
Nouvelle-Écosse
NGCC
navire de la Garde côtière canadienne
OMI
Organisation maritime internationale
SACSM
Service auxiliaire canadien de sauvetage maritime
SAR
recherches et sauvetage
SI
système international (d'unités)
SRGC
station radio de la Garde côtière
tjb
tonneau(x) de jauge brute
UTC
temps universel coordonné
VFI
vêtement de flottaison individuel
VHF
très haute fréquence