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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A22Q0029

Impact sans perte de contrôle
Airbus AS350 B2 (hélicoptère), C-GFBW
Aéroport de Sept-Îles (Québec), 7,5 NM W



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

Le 17 mars 2022 vers 6 h 30Note de bas de page 1, le pilote, accompagné d’une passagère, s’est présenté au hangar de la compagnie Héli-Boréal Inc. (Héli-Boréal) situé à l’héliport Sept-Îles/Héli-Boréal (CHB4) (Québec) pour préparer l’hélicoptère AS350 B2 (immatriculation C-GFBW, numéro de série 9076) et embarquer du matériel dans le but d’effectuer un vol de convoyage privé selon les règles de vol à vue à destination de l’aéroport international Québec/Jean Lesage (CYQB) (Québec).

Un membre de la famille du pilote s’est ensuite présenté pour aider le pilote avec les préparatifs en vue du décollage.

L’aéronef était stationné à l’extérieur du hangar et la partie supérieure arrière du fuselage (moteur et transmission principale) était recouverte d’une housse de protection hivernale. Le pare-brise, quant à lui, n’était pas protégé et était couvert d’une couche de givre blanc.

Une fois le moteur en marche, le pilote a ouvert les vannes de régulation d’air chaud pour réchauffer le pare-brise et l’intérieur de la cabine. Le membre de la famille venu aider le pilote a versé environ le tiers (environ 1,25 L) d’un bidon neuf de liquide lave-glace pour automobile pour dégivrer les 2 côtés du pare-brise (passager et pilote). Il a ensuite essuyé l’excédent de liquide avec sa main jusqu’à ce que le pare-brise soit complètement dépourvu de givre blanc, puis il est parti en direction du hangar. L’hélicoptère a décollé vers 7 h 47 en direction sud-ouest.

Au moment où l’aéronef a survolé les lignes de transport d’électricité au sud de CHB4 (figure 1) à environ 300 pieds au-dessus du sol (AGL), la surface externe du pare-brise s’est soudainement couverte de givre, sauf le coin inférieur droit. Sa visibilité vers l’avant étant limitée, le pilote a alors décidé d’aller atterrir sur la baie des Sept-Îles gelée, qui était à moins de 2 milles marins et qui était un endroit vaste, dégagé, et jugé plus favorable pour l’atterrissage dans ces conditions que l’héliport CHB4.

Figure 1. Vue aérienne de la route suivie par l’hélicoptère de l’événement d'après le système de positionnement mondial, et altitudes au-dessus du sol (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Vue aérienne de la route suivie par l’hélicoptère de l’événement d'après le système de positionnement mondial, et altitudes au-dessus du sol (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Lors de la descente, le pilote a aperçu l’île du Père-Conan située dans la baie et a décidé de manœuvrer pour aller atterrir près des arbres se trouvant sur l’île afin d’avoir un meilleur contraste visuel avec la surface enneigée.

Confiant d’être à une hauteur sécuritaire, le pilote s’apprêtait à ralentir sa descente et sa vitesse suffisamment avec l’intention de poursuivre son approche en crabe vers l’île, lorsqu’il s’est senti rapidement basculer vers l’avant. L’hélicoptère a alors percuté la surface enneigée et s’est immobilisé sur le flanc gauche. Le pilote a alors coupé l’alimentation de la batterie, est sorti de l’hélicoptère et a aidé la passagère à sortir. Il a ensuite téléphoné au membre de la famille qui était venu l’aider avec les préparatifs pour l’informer de l’accident. Ce dernier, après avoir appelé le directeur de la maintenance d’Héli-Boréal, a emprunté une motoneige et s’est dirigé vers le lieu de l’accident. Le pilote et la passagère n’ont pas été blessés, mais ont néanmoins été transportés au centre hospitalier de Sept-Îles par mesure de précaution.

La radiobalise de repérage d’urgence émettant sur 406 MHz dont était équipé l’aéronef s’est déclenchée, et le Centre canadien de contrôle des missions à Trenton (Ontario) a reçu le premier signal de détresse à 7 h 50.

Renseignements sur le pilote

Le pilote détenait une licence de pilote professionnel – hélicoptère et une licence de pilote de ligne – avion, ainsi qu’un certificat médical de catégorie 1 valide. Sa licence de pilote de ligne était également annotée de la qualification pour le vol aux instruments de groupe 1. Il avait accumulé environ 2000 heures de vol sur hélicoptère.

Il effectuait le vol en vertu des règles générales d’utilisation et de vol énoncées dans la sous-partie 602 du Règlement de l’aviation canadien (RAC). Il possédait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol conformément à la réglementation en vigueur.

Héli-Boréal avait exploité l’aéronef commercialement grâce à une entente de location. L’entente ayant pris fin, l’aéronef devait être convoyé chez un nouvel exploitant aérien en Alberta. Bien que n’étant pas un employé d’Héli-Boréal, le pilote de l’événement a effectué un vol d’entraînement d’une durée de 2,1 heures le 16 mars 2022 avec le chef-pilote afin de satisfaire aux exigences de l’assureur pour ce vol de convoyage. L’entraînement en vol incluait la simulation de différentes urgences comme une panne de moteur, ainsi que la mise en pratique de techniques de vol adaptées aux conditions hivernales comme les décollages et atterrissages sur des surfaces enneigées. Le vol d’entraînement a été jugé satisfaisant par le chef-pilote.

Renseignements sur l’aéronef

L’aéronef de l’événement avait été fabriqué en 2006 par Eurocoptère France (aujourd’hui Airbus Helicopters) et était équipé d’un turbomoteur Turbomeca Arriel 1D1 (numéro de série 12034). D’après le carnet de route, l’hélicoptère avait accumulé 8300 heures de vol depuis sa fabrication. Le premier étage de la turbine venait de faire l’objet d’une révision complète, et le vol d’entraînement de 2,1 heures était le seul vol effectué depuis la remise en service de l’hélicoptère. Aucune anomalie n’a été rapportée ni consignée. 

L’hélicoptère était équipé d’un panier extérieur fixé au train d’atterrissage gauche par des attaches. Selon la configuration de l’aéronef et les informations recueillies, les limites prescrites de masse et de centrage ont été respectées lors du vol à l’étude.

L’examen de la cabine sur le lieu de l’accident a permis de constater que la vanne de régulation d’air des diffuseurs de désembuage du pare-brise était ouverte aux ¾.

Rien n’indique que la défaillance d’un système ou d’un composant de l’aéronef ait joué un rôle dans l’événement à l’étude.

Renseignements météorologiques

Avant le vol, le pilote a vérifié les conditions météorologiques sur l’application mobile AeroWeatherNote de bas de page 2. En raison des mauvaises conditions météorologiques prévues pour l’itinéraire de vol qu’il avait initialement planifié soit, CHB4, l’aéroport de Roberval (CYRJ) (Québec) et l’aéroport de Val-d’Or (CYVO) (Québec), le pilote a modifié son itinéraire de vol pour se rendre plutôt à CYQB en passant par l’aéroport de Baie-Comeau (CYBC) (Québec). Selon les prévisions d’aérodrome (TAF) de CYBC et de CYQB, aucune précipitation givrante n’était annoncée pour la période de vol planifiée.

La carte Nuages et temps de la prévision de zone graphique, émise à 7 h 30 et valide à 8 h, prévoyait les conditions météorologiques suivantes entre Sept-Îles et Baie-Comeau :

La carte Givrage, turbulence et niveau de congélation de la prévision de zone graphique pour la même période prévoyait les conditions suivantes :

Les messages d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) de la station météorologique de l’aéroport de Sept-Îles (CYZV) n’ont pas indiqué la présence de précipitations givrantes à 7 h ni à 8 h. À 8 h, la visibilité rapportée à CYZV était de 10 SM dans de faibles averses de neige et un couvert nuageux fragmenté à 1500 pieds. La température extérieure était de −9 °C et le point de rosée était de −10 °C. Des observateurs ayant de l’expérience en aviation ont indiqué que de légères précipitations de neige étaient présentes avant le décollage et après l’accident sans qu’aucune condition givrante n’ait été perçue depuis le sol. Ceux-ci ont également indiqué que la visibilité dans la baie des Sept-Îles était environ de 3 SM.

Site de l’accident et examen de l’épave

L’hélicoptère a percuté le sol à environ 500 pieds au sud-est de l’île du Père-Conan. Mis à part l’île, le relief autour du lieu de l’impact n’offrait pas un contraste visuel suffisant avec la surface enneigée. Selon les informations recueillies, bien que l’hélicoptère survolait la baie, rien n’indique que des conditions de lumière plateNote de bas de page 3 étaient présentes en dépit de la couverture nuageuse, et aucun soulèvement de neige par le souffle du rotor principal n’a été perçu par le pilote avant l’impact.

L’aéronef reposait sur le flanc gauche, le nez orienté vers l’est, soit dans la direction opposée à sa direction de vol. L’intégrité de la cabine de pilotage n’a pas été compromise; cependant, le revêtement extérieur du nez a été fortement endommagé. Les attaches du panier extérieur ont été arrachées. Le ventre, y compris le crochet d’élingage, ne présentait aucun dommage visible. La poutre de queue a été arrachée du fuselage et son extrémité composée du stabilisateur vertical, du rotor de queue et de la boîte d’engrenages a été sectionnée. Les 2 sections reposaient près du fuselage principal.

Figure 2. Photo prise le jour de l’événement des traces laissées dans la neige par l’hélicoptère de l’événement (Source : Héli-Boréal, avec annotations du BST)
Photo prise le jour de l’événement des traces laissées dans la neige par l’hélicoptère de l’événement (Source : Héli-Boréal, avec annotations du BST)

Aucune trace d’impact au sol n’était visible lorsque les enquêteurs du BST sont arrivés sur les lieux le lendemain, les vents et les précipitations de neige ayant balayé et recouvert toutes traces. Cependant, sur une photo prise par Héli-Boréal, 2 traces dans la neige de 120 pieds de long environ sont visibles (figure 2). La direction des traces vers le fuselage était de 292° magnétiques (M).

Dégivrage des aéronefs au sol avant le décollage

Les conditions atmosphériques peuvent entraîner la formation de givrage sur toutes les parties exposées d’un aéronef qui est stationné à l’extérieur, qu’il soit à voilure fixe ou tournante.

Lignes directrices de Transports Canada

Transports Canada (TC) a publié les Lignes directrices pour les aéronefs lors de givrage au sol dans le but « de fournir des renseignements à toutes les personnes concernées par les opérations de dégivrage au sol pour les aider à mieux comprendre ce genre d’opérationsNote de bas de page 4 ».

Même si un grand nombre de principes mentionnés dans ce document conviennent autant aux aéronefs à voilure fixe qu’à ceux à voilure tournante, des différences existent en ce qui a trait à la façon de procéder. Une section est dédiée aux problèmes propres aux aéronefs à voilure tournante, et TC indique que,

[l]a méthode la plus évidente et efficace utilisée pour appuyer le concept d’un hélicoptère propre semble être celle consistant à placer l’hélicoptère dans un hangar le plus souvent possible. Comme ce ne sont pas tous les exploitants qui peuvent recourir à cette méthode, d’autres mesures doivent être envisagéesNote de bas de page 5.

Les autres mesures suggérées consistent à utiliser des housses protectrices et, selon les indications du fabricant, une source de chaleurNote de bas de page 6.

TC n’approuve pas et ne qualifie pas les liquides de dégivrage/d’antigivrage, mais reconnaît seulement les spécifications à jour de la Society of Automotive Engineers (SAE) InternationalNote de bas de page 7, qui requièrent de nombreux essais chimiques et physiques sur les liquides dans des laboratoires spécialisés.

Le constructeur d’aéronef, quant à lui, détermine les liquides et les méthodes d’application autorisés ainsi que les surfaces extérieures où les liquides peuvent être utilisés; par exemple il est généralement interdit d’appliquer les liquides dégivrants et antigivrants sur les pare-brise des aéronefs.

Instructions d’Airbus Helicopter

Le manuel de vol de tout aéronef est généralement la référence première pour les pilotes, car ce manuel contient les limitations opérationnelles et toute autre information importante pour les pilotes.

Le supplément de vol intitulé « Instructions for Operation in Cold WeatherNote de bas de page 8 » du manuel de vol de l’AS350 B2 regroupe les procédures à suivre pour les vols par des températures extérieures inférieures ou égales à 0 °C et si l’aéronef est exposé ou susceptible d’être exposé à des averses de neige ou à de la poudrerie, comme c’était le cas dans l’événement à l’étude. Les instructions ne couvrent pas le cas d’un pare-brise déjà givré ni ne mentionnent l’utilisation d’un liquide dégivrant quel qu’il soit.

Toutefois, le manuel des techniques courantes (Standard Practices Manual) de l’AS350 B2 et de l’AS350 B3 destiné au service de maintenance (mais généralement pas à la disposition des pilotes) contient 2 sections sur le dégivrage au solNote de bas de page 9. Dans l’une de ces sectionsNote de bas de page 10, il est indiqué que le dégivrage doit se faire à l’aide d’un produit à base de glycol conforme, entre-autres, à la norme AMS1424 de SAE International. Ces sections ne font aucune mention du liquide lave-glace pour automobile. L’enquête a déterminé que le liquide lave-glace automobile utilisé ne respectait pas les spécifications de cette norme.

Liquide lave-glace utilisé

L’étiquette sur le contenant du liquide lave-glace utilisé indiquait « Déglace 5 fois mieux, aucun grattage n’est nécessaire, réduit l’accumulation de glace jusqu’à −5 °C et protège jusqu’à −49 °C ».

La fiche signalétique du produit indique qu’il est composé de 30 à 60 % de méthanol ainsi que de 0,5 à 1,5 % d’éthylène glycol. Les autres ingrédients ne sont pas précisés étant donné qu’ils ne sont pas toxiques. Aucune analyse sur la composition du liquide lave-glace n’a été effectuée, mais l’eau serait l’ingrédient principal parmi les ingrédients restants.

Le méthanol et l’éthylène glycol servent d’antigel dans la composition du liquide lave-glace pour l’hiver, mais possèdent des propriétés différentes notamment en ce qui concerne la volatilitéNote de bas de page 11. Le méthanol est plus volatileNote de bas de page 12 que l’eau tandis que l’éthylène glycol est 300 fois moins volatile que l’eauNote de bas de page 13.

Au contact du liquide lave-glace, le givre se transforme en eau et se mélange à celui-ci. La rapidité d’évaporation du méthanol fait que sa propriété dégivrante diminue tout aussi rapidement. Si la température de la surface sur laquelle il a été utilisé est inférieure au point de congélation et que la surface n’a pas été séchée complètement, les particules d’eau restantes se retransformeront en givre une fois le méthanol évaporé.

Messages de sécurité

Il est important que les pilotes connaissent les propriétés du produit qu’ils utilisent pour dégivrer le pare-brise d’un aéronef au sol. Par ailleurs, si la température extérieure est sous le point de congélation, il est essentiel que les pilotes vérifient que le pare-brise est complètement sec avant de décoller pour éviter un givrage soudain après le décollage.

Les pilotes qui atterrissent sans repère visuel fiable et sur une surface offrant peu de contraste peuvent avoir l’illusion d’être plus haut qu’ils ne le sont en réalité. L’illusion peut être plus forte si la visibilité du pilote est restreinte. Tous les pilotes doivent s’assurer d’exécuter la phase finale de l’atterrissage près d’un repère visuel fiable leur fournissant un contraste visuel suffisant pour apprécier avec justesse la hauteur à laquelle l’aéronef se trouve.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .