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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A18Q0016

Collision avec le sol pendant la nuit
Robinson R44 Raven I (hélicoptère), C-GYMG
Saint-Joachim-de-Courval (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 1er février 2018, vers 19 h 45, heure normale de l’Est, l’hélicoptère Robinson R44 Raven I (immatriculation C-GYMG, numéro de série 2081), en exploitation privée, a décollé de Saint-Georges de Beauce (Québec) avec à son bord le pilote et 2 passagères pour un vol de nuit selon les règles de vol à vue à destination de Saint-Alexis-de-Montcalm (Québec). À 20 h 32, le Centre canadien de contrôle des missions a capté un signal de détresse émis par la radiobalise de repérage d’urgence de l’hélicoptère. Vers 21 h 35, l’hélicoptère a été retrouvé dans un champ à Saint-Joachim-de-Courval (Québec), près de Drummondville (Québec). L’hélicoptère a été détruit par les forces d’impact et par un incendie qui s’est déclaré après l’impact. Tous les occupants ont subi des blessures mortelles.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le 1er février 2018, à 14 h 19Note de bas de page 1, l'hélicoptère Robinson 44 Raven I (immatriculation C-GYMG, numéro de série 2081), en exploitation privée, avec à son bord le pilote et 2 passagères, a décollé de Saint-Alexis-de-Montcalm (Québec) à destination de Saint-Georges de Beauce (Québec) pour assister à une journée portes ouvertes organisée par un établissement d'enseignement. Vers 15 h 50, le pilote a communiqué par radio avec la station UNICOMNote de bas de page 2 de l'aéroport de St-Georges (CYSG) et a survolé l'aéroport en direction est vers l'établissement d'enseignement, où il s'est posé à 15 h 57. Le pilote a laissé le moteur en marche, et dès que les 2 passagères sont descendues de l'hélicoptère, le pilote a redécollé vers CYSG aux fins de ravitaillement. Après avoir complété le ravitaillementNote de bas de page 3, le pilote a décollé seul à bord, à 16 h 31, pour revenir à l'établissement d'enseignement, où il s'est posé une deuxième fois vers 16 h 40.

À 19 h 09, le pilote a téléphoné à la personne responsable de son suivi de vol pour lui mentionner son intention de décoller bientôt pour un retour vers Saint-Alexis-de-Montcalm. Vers 19 h 45, le pilote a décollé avec les 2 passagères à son bord.

À 20 h 32, le Centre canadien de contrôle des missions (CCCM) a capté un signal de détresse émis par la radiobalise de repérage d'urgence (ELT) de l'hélicoptère.

À 20 h 41, le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (JRCC) à Trenton (Ontario) a reçu du CCCM la position calculée du signal de détresse provenant de la ELT de C-GYMG. À 21 h 06, la Sûreté du Québec (SQ) a été avisée par un résident de Saint-Joachim-de-Courval (Québec) qu'un aéronef s'était écrasé dans son champ et qu'un incendie s'était déclaré. Le service des incendies municipal ainsi que la SQ sont arrivés sur les lieux de l'accident vers 21 h 35. Tous les occupants de l'hélicoptère avaient subi des blessures mortelles.

1.2 Tués et blessés

Tableau 1. Tués et blessés
  Équipage Passagers Autres Total
Tués 1 2 3
Blessés graves 0 0 0
Légèrement blessés ou indemnes 0 0 0
Total 1 2 3

1.3 Dommages à l'aéronef

La partie avant de l'aéronef a été complètement détruite, d'abord par les forces d'impact, puis par l'incendie qui a suivi. Le panneau des instruments de bord, éjecté de la cabine au moment de l'impact, a été lourdement endommagé et les commandes de vol ont été en grande partie consumées par le feu. Le mât principal et la tête rotor étaient toujours rattachés à la boîte d'engrenages, laquelle présentait peu de dommages apparents. Les pales du rotor principal et du rotor de queue présentaient des dommages typiques d'un impact avec un objet alors qu'elles étaient en rotation. La poutre de queue, quoique endommagée, était encore attachée au fuselage.

1.4 Autres dommages

Environ 80 L de carburant se sont déversés sur le sol de suites de l'impact.

1.5 Renseignements sur le personnel

Les dossiers de Transports Canada (TC) indiquent que le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur.

Tableau 2. Renseignements sur le personnel
Licence de pilote Licence de pilote privé-hélicoptère
Date du vol de qualification pour l'obtention de la qualification de vol de nuit* 25 octobre 2006
Date d'expiration du certificat médical 01 janvier 2019
Heures de vol totales 1130,6 (approximativement)
Heures de vol sur type (R44) 217
Heures de vol totales de nuit 56,2

* Selon le Règlement de l'aviation canadien, paragraphe 101.01(1), la nuit est la période qui se situe entre la fin du crépuscule civil du soir et le début du crépuscule civil du matin. Le 1er février 2018, le crépuscule civil du soir était à 17 h 27 heure normale de l'Est.

Le pilote avait reçu sa formation initiale sur un Robinson R22 et était détenteur d'une licence de pilote privé – hélicoptère délivrée en 2004, assortie d'un certificat médical de catégorie 3 valide. Lors de sa formation initiale pour l'obtention de sa licence de pilote privé en 2004, il avait effectué 5 heures de vol aux instruments en double commande de jour et a effectué 5 heures additionnelles de vol aux instruments lors de sa formation pour l'obtention de la qualification de vol de nuit en 2006. Quoiqu'il avait complété sa formation au vol de nuit en 2006, le pilote n'a reçu sa qualification pour le vol de nuit qu'en juillet 2007, en raison d'un dépôt tardif de sa demande de qualification auprès de TC. Il a obtenu l'annotation de type Robinson R44 le 17 septembre 2013. Le carnet de vol personnel du pilote indique qu'il cumulait, en date du 21 janvier 2018, un total de 1127,5 heuresNote de bas de page 4 de vol sur hélicoptère, dont 56,2 heures de nuit incluant 46,1 heures de nuit en tant que pilote aux commandes. De ces 46,1 heures, 20,4 heures avaient été effectuées sur le Robinson R44.

Le pilote avait déjà effectué le même trajet en juin 2017 à 2 reprises. Par contre, ces vols avaient été effectués de jour.

1.6 Renseignements sur l'aéronef

1.6.1 Généralités

Tableau 3. Renseignements sur l'aéronef
Constructeur Robinson Helicopter Company
Type et modèle R44 Raven I
Année de construction 2009
Numéro de série 2081
Date d'émission du certificat de navigabilité 14 juillet 2010
Total d'heures de vol cellule 527,8 (approximativement)
Type de moteur (nombre) Avco-Lycoming O-540-F1B5 (1)
Type d'hélice ou de rotor (nombre) Rotor bipale (1)
Masse maximale autorisée au décollage 1088,2 kg
Type(s) de carburant recommandé(s) 100LL
Type de carburant utilisé 100LL

L'hélicoptère avait été importé au Canada en juillet 2010 et a reçu l'immatriculation C‑GYMG. L'aéronef, utilisé en exploitation privée, a été acheté en octobre 2014 par la société 9149-8055 Québec Inc., dont le pilote était actionnaire.

Les dossiers indiquent que l'hélicoptère était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur. L'aéronef était muni de l'équipement requis pour le vol de nuit aux termes de l'article 605.16 du Règlement de l'aviation canadien (RAC). L'hélicoptère n'était pas muni d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage ni d'un enregistreur de données de vol, et la réglementation ne l'exigeait pas.

En date du 5 décembre 2017, date de la dernière inscription au carnet technique de l'aéronef à la suite d'une inspection de 50 heures, l'hélicoptère totalisait 521,3 heures de vol depuis sa mise en service initiale. L'aéronef avait ensuite effectué 3,4 heures de vol depuis cette inspection et avec les vols du jour de l'accident, estimés à 3,1 heures, l'hélicoptère totalisait approximativement 527,8 heures depuis sa mise en service initiale.

La masse et le centrage de l'aéronef étaient dans les limites prescrites au moment de l'accident.

À ce jour, la Robinson Helicopter Company a livré plus de 12 000 hélicoptères, en majorité des R44. En date du 13 août 2018, le registre des aéronefs civils canadiens indiquait 393 Robinson R44 en exploitation au pays, dont 237 en exploitation privée. De ce nombre, 140 Robinson R44 se trouvent au Québec dont 103 en exploitation privée.Note de bas de page 5

1.6.2 Radiobalise de repérage d'urgence

L'aéronef était muni d'une ELT de modèle Kannad 406 AF transmettant sur les fréquences 121,5 MHz et 406 MHz. L'ELT a été activée par l'impact, mais a été subséquemment consumée dans l'incendie après impact. Seule une partie de son support a été retrouvée.

Dans l'événement en cause, le signal initial de détresse provenant de l'ELT de C‑GYMG a été reçu au CCCM sur la fréquence 406 MHz, à 20 h 32, et la position calculéeNote de bas de page 6 a été transmise à 20 h 41 au JRCC. Le JRCC a la responsabilité de coordonner toutes les opérations de recherche et sauvetage (SAR) associées aux urgences aériennes et maritimes au Canada. La SQ a été avisée de la position calculée de l'épave à 21 h 22.

L'épave et les occupants ont été localisés par la SQ à 21 h 35, soit environ 60 minutes après l'écrasement.

1.6.3 Enregistrement des radiobalises de repérage d'urgence

Aux termes du paragraphe 605.38(4) du RAC, une ELT capable d'émettre sur une fréquence de 406 MHz doit être inscrite au Registre canadien des balises, qui est tenu à jour par le Secrétariat national Recherche et sauvetage. Le Registre comprend les balises de localisation personnelle (BLP), les radiobalises de localisation des sinistres (RLS) et les ELT. L'accès en ligne au Registre est à la disposition de tous les propriétaires de balises de détresse 406 MHz pour leur permettre d'enregistrer de nouvelles balises de détresse ou mettre à jour les renseignements requis. L'information contenue dans le Registre comprend le nom du propriétaire, des détails sur l'aéronef et les coordonnées d'une personne-ressource en cas d'urgence. Les autorités de recherche et de sauvetage font les renvois de l'identification de la balise de détresse par l'entremise du Registre. En un seul appel téléphonique, on peut déterminer si le signal de détresse est une fausse alerte ou obtenir des détails supplémentaires afin de mieux répondre à l'incident. L'ajout de renseignements sur les balises de détresse et la mise à jour de ces renseignements peuvent se faire en ligne, par télécopieur ou par courriel, en remplissant un formulaire d'enregistrement.

L'utilisation d'ELT émettant sur la fréquence 406 MHz est maintenant répandue dans l'industrie de l'aviation. Le CCCM indique qu'il est fréquent que l'information au Registre ne soit pas mise à jour après un changement de propriétaire ou d'immatriculation. Dans l'événement en cause, le nouveau propriétaire n'avait pas fait la mise à jour de l'information au Registre après l'acquisition de l'aéronef en octobre 2014. Lorsque l'ELT s'est déclenchée, au moment de l'impact, l'information au Registre a donc renvoyé le personnel du CCCM à l'ancien propriétaire.

Dans un tel cas, des recherches supplémentaires pour retracer le nouveau propriétaire peuvent retarder le déploiement des services de recherche et sauvetage.

1.7 Renseignements météorologiques

Les renseignements météorologiques suivants sont tirés d'un rapport d'analyse météorologiqueNote de bas de page 7 qu'Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a préparé pour le BST dans le cadre de la présente enquête.

1.7.1 Synopsis

À 19 h, le soir de l'accident, le centre d'un système de basse pression était localisé au nord du Québec et se déplaçait vers le nord-est à une vitesse de 15 à 20 nœuds. Un front froid associé à ce système, qui s'étendait jusqu'aux États-Unis, se déplaçait vers le sud-est à une vitesse de 15 nœuds.

1.7.2 Prévisions météorologiques

Les prévisions de zone graphique (GFA) sont un outil mis à la disposition des pilotes qui représente les conditions météorologiques générales à venir sur une zone géographique donnéeNote de bas de page 8. Le jour de l'accident, les GFA émises à 12 h 42 et valides à 19 h (annexes A et B) prévoyaient, dans la zone située entre le front froid et la rive nord du fleuve Saint-Laurent, les conditions météorologiques suivantes :

Dans le secteur de Saint-Georges de Beauce, ainsi que le long de la rive sud du fleuve Saint-Laurent, les prévisions étaient les suivantes :

Les prévisions d'aérodrome (TAF), un autre outil à la disposition des pilotes, fournissent des informations quant aux conditions météorologiques prévues les plus probables dans un rayon de 5 nm autour du centre des pistes de l'aérodrome désigné. Le jour de l'accident, les TAF de l'aéroport de Trois-Rivières émises à 14 h 39 prévoyaient les conditions suivantes à partir de 19 h :

1.7.3 Conditions météorologiques estimées sur les lieux de l'écrasement

Afin de déterminer les conditions météorologiques qui auraient pu prévaloir au moment et au lieu de l'accident, l'analyse réalisée par ECCC s'est basée sur les informations recueillies entre autres par le radar météorologique de Villeroy, situé à environ 50 sm au nord-est, et sur les observations suivantes enregistrées aux stations d'observation météorologiques les plus proches du lieu de l'accident :

Les vents de surface à l'avant de la bande de précipitations étaient dominants du sud entre 10 et 20 nœuds. Entre 19 h 45 et 20 h 15, les vents ont tourné et provenaient du nord-ouest alors que leur vitesse a augmenté aux alentours de 20 nœuds avec des rafales pouvant atteindre 30 nœuds, occasionnant de la turbulence modérée. La zone de précipitation présente à l'avant du front couvrait le secteur de Saint-Joachim-de-Courval et le taux de précipitation de neige estimé variait entre 1,5 cm/h et 2 cm/hNote de bas de page 10 (annexe C). La baisse de température due à l'approche du front froid a abaissé le niveau de congélation qui était initialement à environ 2200 pieds ASL. Selon l'analyse réalisée par ECCC, il est possible que les précipitations aient commencé par de la pluie et/ou de la neige roulée avant de se changer en neige. Le niveau de congélation et le changement dans le type de précipitations représentent un risque significatif de givrage.

Le profil d'humidité de la surface à 9000 pieds ASL était léger et la masse d'air était instable, des conditions propices au développement de cumulus bourgeonnants. La présence de cumulus bourgeonnants est souvent associée aux fortes précipitations et à la turbulence.

1.8 Communications

Aucune transmission de la part du pilote n'a été captée au voisinage du lieu de l'événement. Aucun message de détresse en provenance du C-GYMG n'a été entendu ou enregistré sur la fréquence d'urgence 121,5 MHz.

1.9 Enregistreurs de bord

L'aéronef n'était pas muni d'un enregistreur de données de vol ou d'un enregistreur des conversations de poste de pilotage, et la réglementation en vigueur ne l'exigeait pas.

Le pilote utilisait l'application ForeFlightNote de bas de page 11 sur une tablette électronique aux fins de navigation et avait un compte actif avec la compagnie ForeFlight. Lorsque activée par le pilote, l'application permet d'enregistrer certaines données de vol, comme la vitesse, l'altitude et l'itinéraire, en utilisant la fonction GPS de l'appareil mobile. Un compte est aussi créé via internet et maintient les informations des vols précédents (si cette option est activée). Ce compte est accessible à partir d'un ordinateur. En général, les données sont enregistrées dans la mémoire interne de l'appareil mobile utilisé et sont ensuite transférées au compte lorsqu'on connecte l'appareil au Wi-Fi ou, dans certains cas, à un réseau cellulaire.

Dans l'événement en cause, les données du vol de retour n'ont pas été enregistrées au compte, mais étaient vraisemblablement toujours contenues dans la mémoire interne de la tablette électronique au moment de l'accident. Toutefois, celle-ci a été trop lourdement endommagée par les forces d'impact pour permettre la récupération des données par les spécialistes du laboratoire du BST. Cependant, les données du vol de Saint-Alexis-de-Montcalm vers Saint-Georges de Beauce consignées au compte ForeFlight indiquent que ce vol s'est déroulé à une altitude moyenne de 850 pieds AGL.

Le Centre de contrôle régional de Montréal indiquait qu'aucun aéronef n'avait été observé à l'intérieur de la zone de couverture du radar pour le secteur entre Saint-Joachim-de-Courval et Saint-Georges de Beauce pour la période entre 20 h et 20 h 45. L'hélicoptère a donc effectué ce vol sous l'altitude de la couverture radar, ce qui correspond à environ 5000 pieds près de Saint-Georges de Beauce diminuant jusqu'à environ 1800 pieds près du lieu de l'accident. Il a donc été impossible d'établir l'altitude de vol de l'hélicoptère.

1.10 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

1.10.1 Généralités

Les traces d'impact au sol révèlent que l'angle d'impact était d'environ 25° vers le bas sur une route de 9° magnétique (M). L'aéronef a ensuite rebondi sur une distance de 13 m avant de s'immobiliser sur son côté droit à environ 180° de la trajectoire d'impact. La boîte d'engrenages du rotor de queue et la dérive, les patins, des morceaux de plastique provenant du pare-brise et des fenêtres latérales ainsi que des panneaux de portes ont été retrouvés au début de la trajectoire d'impact.

La partie avant du fuselage située devant la cloison pare-feu a été détruite par un incendie. Le panneau des coupe-circuits n'a pas été retrouvé et le panneau d'instruments, sévèrement endommagé, a été retrouvé à proximité de l'aéronef en dehors de la zone incendiée. Les commandes de vol amovibles du côté gauche n'étaient pas installées au moment de l'impact.

1.10.2 Examen de l'épave

L'épave a été transportée au Laboratoire d'ingénierie du BST, à Ottawa (Ontario), aux fins d'examen approfondi.

Les instruments de bord récupérés ont été examinés (annexe D). Bien qu'ils présentaient tous des dommages causés par l'impact, on a pu toutefois établir qu'ils indiquaient, au moment de l'impact, une assiette de 25° en tangage avant et un roulis vers la droite de 81°. L'anémomètre indiquait approximativement 80 nœuds, et le variomètre affichait 1750 pi/min.

Les dommages constatés sur l'aéronef démontraient eux aussi un impact en tangage avant avec roulis prononcé à droite.

Les commandes de vol qui n'ont pas été consumées par l'incendie après impact montraient de multiples ruptures en surcharge, mais la continuité des éléments disponibles a pu être établie.

La bande indicatrice de la température TelatempNote de bas de page 12 fixée au roulement du tensionneur de courroie supérieur ne présentait aucun signe de décoloration, ce qui a permis d'éliminer la possibilité d'une surchauffe de ce dernier avant l'accident.

La nature des dommages subis par le rotor principal et le rotor de queue indiquaient que ceux-ci tournaient et étaient entraînés par le moteur au moment de l'impact.

L'examen du moteur et des accessoires a révélé des marques de rotation au niveau du ventilateur de refroidissement, et les commandes du moteur étaient dans une position caractéristique d'un moteur en marche. Aucune anomalie qui aurait pu nuire au fonctionnement du moteur n'a été décelée.

Afin de corroborer les observations de l'examen du moteur, les ampoules des voyants d'alarmes ont été examinées pour déterminer si l'illumination d'un des voyants aurait pu nécessiter l'attention du pilote

Le Robinson R44 Raven I compte 13 voyants d'alarmes ayant pour fonction d'alerter le pilote de conditions qui requièrent son attention. Huit de ces voyants sont situés sur le haut du tableau de bord et 5 se trouvent sur le panneau central (figure 1)Note de bas de page 13.

Figure 1. Tableau de bord typique d'un hélicoptère Robinson R44 Raven I
Tableau de bord typique d'un hélicoptère Robinson R44 Raven I

Typiquement, le filament d'une ampoule subira une déformation (s'allongera ou s'étirera) s'il est chaud ou incandescent au moment de l'impact. Un filament peut également se fracturer en morceaux lorsqu'il est froid, ou peut ne pas montrer de changement.

Dans l'événement à l'étude, seules 3 ampoules avaient une enveloppe de verre intacte et présentaient des signes distinctifs d'extinction lors de l'impact : MR TEMP (température boîte rotor principale), ROTOR BRAKE (frein rotor) et CARBON MONOXIDE (monoxyde de carbone). Tous les autres voyants présentaient un bris de l'enveloppe de verre ainsi que des filaments fracturés et leur état au moment de l'impact n'a pu être déterminé avec certitude (annexe E).

Malgré l'incertitude relative à l'état de certains voyants au moment de l'impact, d'autres éléments indiquent qu'ils étaient fort probablement éteints. Par exemple, il est improbable que le voyant « LOW FUEL » eût été allumé compte tenu de la quantité d'essence à bord avant le départ de Saint-Georges de Beauce et le temps de vol effectué. Quant aux autres voyants, l'examen de leurs composants respectifs n'a révélé aucune anomalie qui aurait pu justifier leur activation avant l'impact.

L'aéronef était muni d'un appareil de navigation GPS de type GPSMAP fabriqué par Garmin Ltd. Le mode d'enregistrement des données de vol n'était pas activé et, par conséquent, aucune donnée de vol liée à l'événement en cause n'a pu être récupérée.

Toutes les composantes mécaniques de l'aéronef qui ont été retrouvées ont fait l'objet d'un examen, et aucune n'a présenté d'indice qu'une défaillance mécanique ait pu contribuer à l'accident.

1.11 Renseignements médicaux et pathologiques

Rien n'indique que la performance du pilote ait été affectée par des facteurs physiologiques.

1.12 Incendie

Le carburant non confiné est le matériau combustible qui joue le rôle le plus significatif dans les accidents de petits aéronefs. Malgré que l'aéronef en cause dans cet événement était muni de réservoirs de carburant souples montés en usine au moment de sa fabrication en 2009, un incendie a consumé la majeure partie de la cabine à la suite de l'impact. Le réservoir principal n'a pas été retrouvé et le réservoir auxiliaire a été retrouvé à proximité de l'épave. Le bouchon de remplissage était toujours en place et le réservoir auxiliaire contenait une faible quantité de carburant, le tuyau de sortie du réservoir ayant été rompu par les forces d'impact.

Un échantillon de carburant a été récupéré et vérifié. Le carburant ne contenait ni eau ni contaminant, et sa couleur a permis de confirmer qu'il s'agissait de carburant 100LL, approprié pour le moteur de l'aéronef.

1.13 Questions relatives à la survie des occupants

L'accident offrait peu de chances de survie en raison des forces imposées à la structure de la cabine lors de l'impact et de l'intensité de l'incendie qui s'en est suivi.

1.14 Essais et recherche

1.14.1 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a dressé les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

1.15 Renseignements supplémentaires

1.15.1 Particularités du vol de nuit

1.15.1.1 Généralités

Le vol assujetti aux règles de vol à vue (vol VFR) de nuit expose les pilotes à des risques plus élevés d'accident en raison de phénomènes et de caractéristiques propres à ce type de vol. Le peu de repères visuels et les diverses illusions qui y sont associées peuvent entraîner une désorientation spatiale. Si cette dernière n'est pas rapidement détectée et contrôlée par le pilote, celui-ci perdra rapidement la maîtrise de l'aéronef.

1.15.1.2 Vision nocturne

Les performances visuelles de l'œil humain sont considérablement réduites lorsque la luminosité est faible. Même lorsque les conditions pour effectuer un vol VFR de nuit sont idéales, incluant une bonne luminosité céleste, l'acuité visuelleNote de bas de page 14 du pilote peut se dégrader jusqu'à 20/200 ou moins. Ainsi, une personne peut voir à 20 pieds ce qu'elle verrait normalement à 200 pieds dans des conditions lumineuses de jourNote de bas de page 15.

Il faut en moyenne 30 minutes à l'œil humain pour s'adapter à un environnement dont l'éclairage est faible. Durant cette période d'adaptation, la vision nocturne est réduite. Toute lumière brillante peut compromettre l'adaptation de l'œil à la vision nocturne. Pour cette raison, il est conseillé aux pilotes de conserver l'éclairage du tableau de bord à faible intensité et de ne pas avoir été exposé à une forte luminosité juste avant de décoller. De plus, tout éclairage dans la cabine peut se refléter dans le pare-brise et nuire à la visibilité du pilote en vol.

Le pilote dans l'événement en cause avait l'habitude d'effectuer des vols à l'aide de sa tablette électronique installée sur un support devant lui. En raison de dommages importants, il a été impossible de déterminer si la tablette électronique était en fonction au moment de l'accident. Il n'a donc pas été possible de déterminer le niveau de luminosité à l'intérieur du poste de pilotage et s'il aurait pu influencer la vision nocturne du pilote.

1.15.1.3 Désorientation spatiale

La capacité d'un humain à discerner l'orientation de son corps (p. ex. : couché, debout, penché) s'effectue lorsqu'il est maintenu au sol. Le milieu en 3 dimensions dans lequel se déroule un vol est étranger au corps humain; il en résulte des conflits entre ses sens et des illusions qui rendent difficile, voire impossible, le maintien de l'orientation spatiale. La désorientation spatiale se définit comme étant [traduction] « l'incapacité du pilote à interpréter correctement l'attitude, l'altitude ou la vitesse de l'aéronef en fonction de la Terre ou d'autres points de référenceNote de bas de page 16 ».

Pour s'orienter dans l'espace, l'humain décode l'information reçue de 3 systèmes sensoriels :

Le système visuel fournit 80 % de l'information servant à déterminer notre orientation spatiale. En cas de perte d'information visuelle, il ne reste que 20 % de l'information, qui est reçue des systèmes vestibulaire et proprioceptif. Ces 2 derniers systèmes fournissent de l'information moins précise et plus susceptible d'être erronée, car ils sont prédisposés aux illusions et aux erreurs d'interprétation. Lorsque les repères visuels au sol sont faibles ou nuls, la désorientation spatiale peut être surmontée en passant au vol aux instruments.

Une bonne connaissance des mécanismes qui entraînent la désorientation spatiale et des moyens pour y faire face, ainsi qu'une bonne conscience du potentiel de désorientation lorsque la visibilité et les références au sol sont réduites, demeurent des atouts essentiels pour prévenir la perte de maîtrise en vol.

Le phénomène de la désorientation spatiale et ses conséquences ont été décrits dans le passé, notamment dans le rapport d'enquête aéronautique A11Q0168 du BST, portant sur une collision avec le sol à la suite d'un décollage de nuit d'un hélicoptère Robinson R44 Raven II à Saint-Ferdinand (Québec), le 27 août 2011. L'enquête sur cet événement a permis d'établir que le pilote a entrepris un vol de nuit avec peu de repères visuels extérieurs au sol et a probablement perdu la maîtrise de l'aéronef peu de temps après le décollage en raison d'une désorientation spatiale.

1.15.1.4 Dégradation des conditions météorologiques

Contrairement au vol de jour en VFR, les phénomènes météorologiques sont difficilement observables la nuit en raison de la faible luminosité. Il est donc probable qu'un pilote qui décolle dans des conditions météorologiques favorables au vol VFR de nuit ne puisse pas observer une détérioration de la météo et prendre les mesures nécessaires avant de faire face involontairement à des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC)Note de bas de page 17.

Afin de réduire les risques de rencontrer des IMC, un pilote devrait posséder tous les renseignements pertinents lui permettant de décider en toute connaissance de cause s'il peut partir ou s'il doit remettre son vol à plus tard. Le RAC fait mention que tout pilote doit, avant de commencer un vol, « bien connaître les renseignements météorologiques pertinents au vol prévu qui sont à sa dispositionNote de bas de page 18 ».

Dans l'événement en cause, les données météorologiques mises à la disposition du pilote prévoyaient des conditions météorologiques à certains endroits, entre Saint-Georges de Beauce et Saint-Alexis-de-Montcalm, inférieures aux minimums exigés par le RAC pour le vol VFR de nuit (voir la section 1.15.2, Exigences réglementaires relatives au vol de nuit, du présent rapport). Le pilote n'a pas contacté la station d'information de vol (FSS) pour s'informer des conditions météorologiques sur sa route; cependant, il aurait pu s'informer des conditions d'une autre façon, comme via l'internet. Toutefois, il a été impossible de déterminer si le pilote avait utilisé l'internet pour obtenir des informations météorologiques. Par conséquent, on n'a pas pu déterminer s'il était au courant des conditions météorologiques prévues sur sa route.

Lorsque des précipitations apparaissent sur la route, celles-ci ne réduisent pas uniquement la visibilité horizontale, mais également la visibilité verticale. Il est possible, lors de précipitations de neige, d'avoir une visibilité verticale nettement inférieure à la visibilité annoncée à la surface, et ce, sous la base des nuages. La visibilité à la surface est une évaluation de la visibilité horizontale à proximité de la surface terrestre et diffère de la visibilité que l'on a à partir du poste de pilotage lorsqu'on regarde le sol pendant un vol (portée visuelle oblique). De plus, s'il n'y a que quelques bâtiments qui offrent un éclairage isolé pendant un vol de nuit, le niveau d'intensité de l'éclairage risque de disparaître rapidement avec l'altitude.

Dans ce type d'accident, un vol commence dans des conditions météorologiques de vol à vue (VMC) et se poursuit jusqu'au point où le pilote perd ses repères visuels avec le sol. La seule différence est la manière dont les vols se terminent : soit en une perte de maîtrise, soit un impact sans perte de contrôle. Les données de type d'accident recueillies par le BST pour des accidents d'avion ou d'hélicoptère survenus entre 2000 et 2014 indiquent que ce type d'accident a engendré le plus fort taux de mortalité de tous les types d'accident pendant cette période. De ces accidents, 74 personnes ont perdu la vie (47 décès dans des accidents d'avion et 27 décès dans des accidents d'hélicoptère).

De plus, ces données ont permis de constater que l'expérience de vol totale des pilotes n'est pas un facteur qui les protège d'avoir ce type d'accident. Pour les pilotes d'hélicoptère impliqués dans les accidents causés par une perte de repère visuel suivi d'une perte de maîtrise en vol, la moyenne était de 2617 heures en vol au total. Pour ceux impliqués dans les accidents résultant d'un impact avec le relief sans perte de contrôle, la moyenne était de 6837 heures en vol au total.

L'Australian Transport Safety Bureau (ATSB) a publié en 2013 une étude basée sur des accidents survenus au cours de vols VFR de nuit sur une période de 20 ansNote de bas de page 19. Les pilotes en cause dans ces accidents possédaient différents types de licences et qualifications ainsi que des niveaux d'expérience variés. Les ⅔ des pilotes en cause possédaient une qualification de type avion, et le tiers possédaient une qualification de type hélicoptère. Presque tous les accidents à l'étude sont survenus lors d'une nuit noireNote de bas de page 20.

1.15.2 Exigences réglementaires relatives au vol de nuit

Selon le RAC, pendant un vol VFR dans un espace aérien contrôlé ou non, les pilotes doivent utiliser leur aéronef à l'aide de repères visuels avec la surface, de jour comme de nuitNote de bas de page 21. Le RAC définit une surface comme étant « toute surface au sol ou sur l'eau, y compris une surface geléeNote de bas de page 22 ».

En plus des exigences de repères visuels pour pouvoir effectuer un vol VFR de nuit en hélicoptère dans un espace aérien non contrôlé, les conditions suivantes doivent être réunies :

Ainsi, selon l'interprétation de TC des exigences de vol VFR de nuit, un vol se déroulant au-dessus d'une région sans éclairage artificiel et sans éclairage ambiant suffisant pour discerner clairement l'horizon (c.-à-d., pour poursuivre le vol uniquement au moyen de repères à la surface) ne répondrait pas aux exigences d'exploitation selon les VFR. Plutôt, ce vol répondrait aux critères de vol aux instruments (IFR), selon lesquels les pilotes se fient à leurs instruments de vol pour assurer l'utilisation en toute sécurité de l'aéronef.

À la suite d'un rapport d'enquête du BSTNote de bas de page 24 sur l'écrasement d'un hélicoptère qui avait décollé selon les VFR de nuit d'un aéroport éloigné dont le balisage lumineux était insuffisant, le BST avait fait part du problème que pose le manque de clarté dans la signification pratique de la définition d'un « vol avec repères visuels à la surface ». Le Bureau avait recommandé ce qui suit :

le ministère des Transports modifie la réglementation de manière à définir clairement les repères visuels (y compris les considérations d'éclairage ou autres moyens) requis pour réduire les risques liés aux vols de nuit selon les règles de vol à vue.
Recommandation A16-08 du BST

En septembre 2016, TC a répondu comme suit à la recommandation A16-08 du BST :

Transports Canada souscrit à cette recommandation.

TC entend donner suite à cette recommandation en deux temps; premièrement, au moyen d'activités de sensibilisation et de promotion en matière de sécurité dès l'automne 2016; et deuxièmement, en amorçant un projet de modification de la réglementation en 2017, prévoyant des consultations auprès de nos principaux intervenants. La promotion et la sensibilisation en matière de sécurité feront appel à la Circulaire d'information no 603-001 – Utilisation de systèmes d'imagerie de vision nocturne récemment publiée par TC.

L'évaluation de la réponse de TC par le BST en décembre 2016 a été la suivante :

TC a répondu qu'il donnera suite à cette recommandation en deux temps afin de réduire les risques liés aux vols de nuit effectués selon les règles de vol à vue. À court terme, TC mènera des activités de sensibilisation et d'éducation qui seront suivies, en 2017, d'un projet de modification de la réglementation. Le Bureau se réjouit du fait que TC prend des mesures pour régler cette lacune de sécurité.

Toutefois, jusqu'à ce que les détails des modifications proposées à la réglementation soient entièrement connus, le BST n'est pas en mesure d'évaluer si ces mesures régleront complètement la lacune de sécurité liée aux vols selon les règles de vol à vue.

Par conséquent, le BST estime que la réponse à la recommandation A16-08 dénote une intention satisfaisante.

Depuis mai 2013, le BST a enquêté sur 2 autres accidents fatals mettant en cause un aéronef privé effectuant un vol VFR de nuit. Les rapports d'enquête ont souligné le manque de clarté de la réglementation en ce qui a trait aux repères visuelsNote de bas de page 25.

1.15.3 Avis de sécurité émis par Robinson Helicopter Company

La Robinson Helicopter Company a émis 2 avis de sécurité mettant en garde les pilotes contre les risques du vol de nuit lorsque les conditions météorologiques sont marginalesNote de bas de page 26,Note de bas de page 27. On précise qu'il ne faut jamais effectuer de vol de nuit à moins que les conditions météorologiques n'incluent un ciel dégagé ou un plafond nuageux très élevé avec beaucoup de lumière céleste ou au sol pour conserver de bonnes repères visuels au sol. Si les repères visuels sont perdus, le risque de perdre rapidement la maîtrise de l'hélicoptère est élevé.

Les hélicoptères ont une stabilité inhérente inférieure à celle des avions et un taux de roulis beaucoup plus rapide. Lorsqu'un pilote perd tout repère visuel et subit l'effet d'une désorientation spatiale, toute mauvaise sollicitation des commandes va engendrer une perte de maîtrise de l'hélicoptère si le pilote ne corrige pas rapidement la situation en se servant de ses compétences en vol aux instruments. De plus, le manuel d'utilisation du Robinson R44 mentionne que pour les vols VFR de nuit, le pilote doit conserver [traduction] « des repères visuels avec des objets au sol illuminés exclusivement par des lumières au sol ou par une lumière céleste adéquateNote de bas de page 28 ».

La topographie autour du lieu de l'accident comprenait principalement des champs agricoles recouverts de neige et quelques habitations le long de la rivière Saint-François situées à environ ½ sm au sud-ouest du site de l'accident (figure 2). Le secteur offrait peu de repères visuels à la surface éclairés par des lumières au sol. Le ciel étant couvert au moment de l'accident, la lumière céleste était donc présumée inadéquate.

Figure 2. Route présumée de l'aéronef avec image insérée montrant la visibilité présumée au moment de l'événement (représentée par des cercles) ainsi que la direction de vol avant l'impact selon les marques au sol (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Route présumée de l'aéronef avec image insérée montrant la visibilité présumée au moment de l'événement

1.15.4 Formation au vol de nuit

La norme 421.42 du RAC stipule ce qui suit sur l'expérience exigée afin de soumettre une application pour une qualification de vol de nuit :

(2) Licence de pilote privé – Hélicoptère

a) Expérience

Le demandeur d'une qualification de vol de nuit doit avoir accumulé sur hélicoptère au moins 20 heures de vol en qualité de pilote, dont :

  1. au moins 10 heures de vol de nuit comprenant au moins :
    1. cinq heures de vol en double commande, dont deux heures de vol-voyage;
    2. cinq heures de vol en solo incluant 10 décollages, 10 circuits et 10 atterrissages;
  2. au moins 10 heures de temps aux instruments en double commande;
  3. au plus cinq heures de temps aux instruments peuvent être décomptées des 10 heures de temps aux instruments au sol pourvu que le temps total aux instruments s'ajoute aux 10 heures de vol de nuit prévues au sous‑alinéa a)(i) ci-dessusNote de bas de page 29.

Un pilote peut donc effectuer 5 heures de vol sur un simulateur, 5 heures de vol aux instruments en double commande de jour avec une visière (servant à limiter la vision autour des instruments de navigation) et n'avoir effectué que 10 heures réelles en vol de nuit avant d'envoyer sa demande de qualification de vol de nuit à TC.

Aucun test en vol n'est exigé par la réglementation pour l'obtention de la qualification de vol de nuit. Seuls un vol de qualification et le nombre minimal d'heures mentionné ci-haut sont exigés. Le RAC ne définit pas ce qui constitue un vol de qualification. Toutefois, TC considère que le vol de qualification est le dernier vol effectué en double commande dans le cadre de la formation au vol de nuit.

La réglementation en vigueur au moment de l'accident n'exigeait pas de formation théorique au sol sur les particularités du vol de nuit (comme la désorientation spatiale, les illusions d'optique et sensorielle, la vision nocturne, les facteurs humains, la prise de décision du pilote et la fatigue) pour obtenir la qualification. Le choix des sujets théoriques à aborder est laissé à la discrétion de l'instructeur. L'enquête n'a pu déterminer si le pilote avait reçu un cours théorique durant sa formation au vol de nuit et quels auraient été les sujets discutés, car les archives de l'organisme de formation ayant dispensé la formation de vol de nuit au pilote ont été détruites par un incendie en janvier 2010.

L'instructeur est la personne qui certifie que le demandeur est compétent pour le vol de nuit. Cependant, la notion de compétence n'est pas définie par des critères précis dans la réglementation.

Même si les exigences du RAC pour l'obtention de la qualification de vol de nuit sont les mêmes pour le pilote qui possède une licence de pilote privé-avion et celui qui possède une licence de pilote privé-hélicoptère, la norme 421.42(1) stipule que le demandeur ayant une licence de pilote privé - avion doit démontrer « qu'il possède le niveau de compétence précisé dans le Guide de l'instructeur de vol (TP 975)Note de bas de page 30 », dont l'extrait suivant de l'exercice 25, Vol de nuit, est dérivé :

Aucun test en vol n'est requis pour obtenir la qualification de vol de nuit. Cependant, l'instructeur doit savoir quand son élève a la compétence voulue pour exercer les privilèges de cette qualification. Il ne s'agit pas simplement d'accumuler le nombre d'heures nécessaires en double commande et en solo pour l'obtenir. L'élève devrait pouvoir exécuter les exercices décrits dans Vol de nuit au niveau exigé dans la publication « Normes de test en vol — Licence de pilote privé et de pilote professionnel — Avions (TP 2655F) ».Note de bas de page 31

Toutefois, le TP 2655 n'est plus en vigueur depuis le 1er septembre 2001 et les instructeurs ne peuvent plus s'y référer. Le TP 2655 a été remplacé par 2 autres documents qui ne font plus référence à l'exercice 25, Vol de nuitNote de bas de page 32,Note de bas de page 33. La dernière révision du TP 975 est en vigueur depuis septembre 2004; cette révision n'a pas tenu en compte l'annulation du TP 2655.

Pour le demandeur qui possède une licence de pilote privé - hélicoptère, la norme 421.42(2) ne mentionne pas qu'il doit démontrer un niveau de compétence précisé dans l'un des guides conçus par TC sur la formation du personnel et la délivrance des licences.

Une fois la formation complétée, le demandeur a 12 mois après la date de son vol de qualification pour envoyer sa demande de qualification de vol de nuit à TC. Après cette échéance, le demandeur n'est plus considéré comme étant compétent et doit refaire un vol de qualification. Le pilote dans l'événement à l'étude avait envoyé sa demande à TC 9 mois après son vol de qualification. Bien qu'il ne soit pas habituel pour TC de recevoir une demande si longtemps après la fin de la formation, le délai maximal prescrit dans la réglementation a été respecté; par conséquent, la demande de qualification a été acceptée.

1.15.5 Mise à jour des connaissances

Selon le paragraphe 401.05(2) du RAC :

il est interdit au titulaire d'un permis ou d'une licence de membre d'équipage de conduite, autre qu'un titulaire de licence de mécanicien navigant, d'exercer les avantages du permis ou de la licence à bord d'un aéronef à moins qu'il ne satisfasse aux conditions suivantes :

  1. il a terminé avec succès un programme de formation périodique conformément aux normes de délivrance des licences du personnel dans les 24 mois qui précèdent le vol;
  2. lorsqu'un passager autre qu'un examinateur de test en vol désigné par le ministre se trouve à bord de l'aéronef, le titulaire a effectué, dans les six mois qui précèdent le vol :
    1. dans le cas d'un aéronef autre qu'un planeur ou un ballon, à bord d'un aéronef de la même catégorie et classe que l'aéronef ou à bord d'un simulateur de niveau B, C ou D de la même catégorie et classe que l'aéronef :
      1. au moins cinq décollages et cinq atterrissages de jour ou nuit, si le vol est effectué en totalité de jour,
      2. au moins cinq décollages et cinq atterrissages de nuit, si le vol est effectué en totalité ou en partie de nuit.Note de bas de page 34

Les mesures considérées acceptables comme programme de formation périodique selon la norme 421.05 du RAC sont présentées dans le tableau à l'annexe F du présent rapport.

Les pilotes sont tenus d'inscrire dans leur carnet de vol personnel la mise à jour de leurs connaissancesNote de bas de page 35. Le carnet de vol personnel du pilote en cause dans l'événement à l'étude ne mentionnait aucune revue des connaissances théoriques, et le dernier vol en double commande avec un instructeur qualifié remontait au mois de septembre 2013. Au cours des 6 derniers mois, le pilote avait effectué 3,2 heures de vol de nuit à titre de pilote aux commandes; son dernier vol de nuit avait été effectué le 9 septembre 2017. Cependant, les informations inscrites au carnet de vol personnel du pilote n'ont pas permis de déterminer si le nombre d'atterrissages et de décollages répondait aux exigences du RAC pour le transport de passagers.

L'étude de l'ATSB sur les accidents survenus au cours de vols VFR de nuit explique comment des stratégies appropriées peuvent réduire de façon significative les risques associés au vol VFR de nuit. Selon l'une des stratégies proposées, le pilote doit s'assurer d'être à jour, compétent et rigoureux en matière de vol aux instruments et éviter d'effectuer un vol dans des conditions qui le conduiraient à dépasser ses limitesNote de bas de page 36.

Le RAC n'impose pas aux pilotes qui possèdent une qualification de vol de nuit une revue périodique théorique et pratique du vol aux instruments et des sujets plus particulièrement liés au vol de nuit. Il incombe donc au pilote de maintenir ses connaissances à jour en fonction des types de vol qu'il effectue. TC n'assure aucune surveillance concernant la mise à jour des connaissances pour les pilotes possédant une licence de pilote privé ou un permis de pilote de loisir.

À titre de comparaison, depuis les années 70, la Federal Aviation Association (FAA) des États-Unis oblige tous les pilotes qui assument les fonctions de commandant de bord à effectuer au minimum 1 heure d'entraînement en vol et 1 heure d'entraînement au sol avec un instructeur qualifié, aux 2 ans, selon les exigences décrites dans la Federal Aviation RegulationsNote de bas de page 37. L'instructeur certifie par la suite la mise à jour des connaissances dans le carnet de vol personnel du pilote.

Au Canada, selon les données fournies par TC, il y avait 682 titulaires d'une licence de pilote privé – hélicoptère en 2017. De ce nombre, 295 provenaient du Québec. Sur les 682 titulaires de la licence de pilote privé – hélicoptère, 121 possédaient une qualification de vol de nuit, dont 80 au Québec. Le nombre de pilotes privés pouvant se prévaloir du privilège de voler la nuit est supérieur si on y ajoute les 9602 titulaires d'une licence de pilote privé – avion qui possédaient une qualification de vol de nuit (sur 21 150 pilotes privés – avion au Canada en 2017).

1.15.6 Processus décisionnel

La prise de décision est définie comme suit : processus humain qui consiste à recueillir de l'information, à l'évaluer, puis à agir en fonction de cette évaluation. Il s'agit d'un processus cognitif complexe qui permet de choisir une action parmi plusieurs alternatives. Une fois l'action choisie et appliquée, le processus décisionnel recommence afin de valider si la décision prise correspond au meilleur choix possible. La prise de décision est donc un processus dynamique.

La conscience de la situation est particulièrement importante lors de la prise de décision. Cette conscience est caractérisée par la perception qu'a un individu des éléments de son environnement, du traitement qu'il fait des informations pour mieux comprendre leur signification et la projection de ces informations dans le futur. Une conscience de la situation déficiente ou inexacte signifie qu'un individu est susceptible de commettre des erreurs en prenant une décision inappropriée.

De plus, plusieurs mécanismes cognitifs ont une incidence sur la prise de décision. Plutôt que d'identifier puis de comparer et de choisir parmi les alternatives, Klein et al.Note de bas de page 38 suggèrent que les personnes en situation dynamiqueNote de bas de page 39 emploient la « prise de décision naturaliste ». Le pilote pourrait reconnaître une situation en fonction de ses expériences passées similaires et sélectionner un plan d'action en fonction de l'expérience antérieure plutôt que de la situation présente. En l'absence d'une évaluation approfondie, une mauvaise perception de la situation réelle peut engendrer une décision inefficace, car le fondement de la décision est erroné.

Wickens et HollandsNote de bas de page 40 suggèrent que, pendant la prise de décision, les personnes ont tendance à rechercher des informations qui étayent leur hypothèse ou leur décision initiale, et évitent ou écartent les informations qui soutiennent une décision ou une hypothèse différente. Leurs études ont démontré que les personnes sont souvent réticentes à modifier leurs décisions, même en présence de preuves suggérant que ces décisions étaient erronées.

2.0 Analyse

2.1 Généralités

Le pilote possédait une licence valide et une qualification de vol de nuit. Toutefois, les informations recueillies n'ont pas permis de déterminer si le pilote pouvait exercer ou non l'avantage de transporter des passagers pour le vol de nuit. Rien n'indique que les capacités du pilote aient été réduites par la fatigue ou par des facteurs physiologiques. Un examen de l'épave et des dossiers techniques de l'aéronef n'a révélé aucun problème mécanique, ni antérieur ni au moment de l'accident susceptible d'avoir joué un rôle dans l'événement.

Les signatures rotationnelles présentes au niveau du ventilateur de refroidissement du moteur ainsi que la nature des dommages au rotor principal et au rotor de queue permettent de conclure que ceux-ci fonctionnaient normalement au moment de l'impact.

L'examen des instruments et l'analyse de la dynamique d'impact démontrent une assiette en tangage avant et un très fort roulis de l'aéronef vers la droite au moment de l'impact. Cette assiette de vol anormale est probablement le résultat d'une perte de maîtrise en raison d'une désorientation spatiale.

Par conséquent, l'analyse portera sur le scénario possible de désorientation spatiale du pilote et son expérience limitée en vol selon les règles de vol à vue (VFR) de nuit, le maintien des connaissances et la prise de décision.

2.2 Désorientation spatiale

Suite à l'analyse des conditions météorologiques aux environs de Saint-Joachim-de-Courval au moment de l'accident, l'enquête a pu démontrer que la visibilité à la surface devait être d'au plus 1 mille terrestre (sm) dans les averses de neige. Il est très probable que la portée visuelle oblique ait été inférieure à 1 sm. De plus, la possibilité de givrage indiquée dans les prévisions entraînait un risque que le pare-brise de l'hélicoptère se couvre d'une couche de givre et réduise davantage la visibilité en vol.

Robinson Helicopter Company indique dans 2 avis de sécurité l'importance de ne voler de nuit que lorsque le ciel est dégagé ou que le plafond nuageux est très élevé avec beaucoup de lumière céleste ou au sol pour conserver de bons repères visuels à la surface. Dans l'événement en cause, la visibilité était réduite par les averses de neige, la lumière céleste était probablement inadéquate dû au couvert nuageux, et les repères visuels au sol étaient limités à quelques bâtiments environnants. Par conséquent, il est fort probable que le pilote ait fait face à des conditions météorologiques défavorables, entraînant une perte de repères visuels avec le sol.

Les prévisions météorologiques comprenaient de la turbulence modérée entre la surface et 3000 pieds au-dessus du sol (AGL); de telles conditions rendent un vol plus instable et exigent plus de corrections aux commandes de la part du pilote pour maintenir le vol rectiligne en palier. De plus, en raison de l'instabilité inhérente au type d'aéronef, si un pilote subit l'effet d'une désorientation spatiale, toute mauvaise sollicitation des commandes entraînera une perte de maîtrise de l'hélicoptère si le pilote ne corrige pas rapidement la situation en se servant de ses compétences en vol aux instruments. Une telle situation en présence de turbulence modérée met à rude épreuve l'habileté du pilote à effectuer un vol aux instruments.

La perte de tout repère visuel, lorsqu'elle n'est pas planifiée, est une situation critique pour un pilote qui ne vole qu'avec des repères visuels au sol, que ce soit de jour ou de nuit. Il est reconnu qu'il y a un risque de perdre rapidement la maîtrise de l'hélicoptère si les repères visuels sont perdus.

Lorsque le pilote devient conscient de la situation, le niveau de stress tend à s'élever très rapidement. Le temps de réaction nécessaire pour conserver la maîtrise de l'aéronef doit donc être rapide. Un pilote dont les connaissances et la pratique du vol aux instruments ne sont pas récentes risque d'effectuer des manœuvres inappropriées.

Une corrélation entre une assiette de vol anormale et une perte de maîtrise en vol ayant été établie, il est fort probable que, dans l'événement à l'étude, le pilote ait perdu la maîtrise de l'hélicoptère en raison d'une désorientation spatiale.

2.3 Expérience limitée en vol de nuit selon les règles de vol à vue

Le vol de nuit nécessite que le pilote développe des habiletés supplémentaires pour évoluer dans un environnement différent de celui qu'est le vol de jour. Une référence plus régulière aux instruments de vol au cours d'un vol de nuit est nécessaire pour pallier la diminution de l'acuité visuelle, la source principale d'information pour maintenir l'orientation spatiale. Cette habileté s'acquiert en premier lieu par une formation adéquate. Bien que la réglementation oblige les pilotes à effectuer un minimum d'heures en vol de nuit et aux instruments avant de faire une demande d'ajout de la qualification de vol de nuit à leur licence de pilote, les pilotes ne sont pas obligés de suivre une formation théorique sur les particularités du vol de nuit (comme la désorientation spatiale, les illusions d'optique et sensorielle, la vision nocturne, la réglementation, la prise de décision et la fatigue). L'exposition du pilote à ces sujets est laissée à la discrétion de l'instructeur qui donne la formation.

Dans l'événement en cause, le pilote n'avait accumulé que 56,2 heures en vol de nuit, dont 46,1 heures comme commandant de bord, réparties sur une période de 12 ans (entre octobre 2006 et le 1er février 2018). Aucune information recueillie n'a permis au BST de déterminer si le pilote avait acquis des connaissances théoriques au sujet de la désorientation spatiale durant sa formation au vol de nuit. Le dernier vol de nuit inscrit au carnet de vol personnel du pilote avant l'accident remonte au 9 septembre 2017, soit près de 5 mois avant l'accident. Compte tenu du nombre total d'heures de vol du pilote, de sa formation et de son expérience limitée en vol de nuit, il est probable que le pilote ne possédait pas les habiletés nécessaires pour faire face à une réduction significative des repères visuels avec le sol.

2.4 Maintien des connaissances

Les pilotes se servent de leur expérience et de leurs connaissances afin de gérer les risques associés aux vols qu'ils effectuent. Cependant, les données statistiques recueillies par le BST démontrent que l'expérience totale en vol des pilotes n'est pas un facteur qui les protège contre un accident pendant un vol VFR et perdent leur repère visuel une fois entrés dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC).

Pendant un vol de nuit, il est difficile, et parfois même impossible, d'observer une dégradation des conditions météorologiques en raison de la noirceur. Les pilotes qui effectuent un vol de nuit doivent être conscients de cette particularité pour mieux gérer le risque d'entrer de façon involontaire dans des IMC. Des connaissances et des habiletés supplémentaires doivent être acquises et revues périodiquement afin de maintenir un niveau de connaissances adéquat.

Les exigences en vue d'obtenir la qualification de vol de nuit ne tiennent pas compte du niveau de connaissances générales (p. ex., sur les illusions d'optique, la désorientation spatiale, la planification de vol, la réglementation et la prise de décision) du pilote concernant les vols de nuit. De plus, l'exigence réglementaire sur la mise à jour des connaissances n'oblige pas les pilotes qui possèdent la qualification de vol de nuit à maintenir leur habileté d'effectuer des manœuvres de base avec l'aide des instruments de vol pour conserver la maîtrise de l'appareil sans repère visuel. Par exemple, un pilote peut avoir une qualification de vol de nuit, effectuer des vols de jour uniquement pendant plusieurs années et effectuer un vol de nuit sans autre obligation réglementaire que d'effectuer 5 atterrissages et 5 décollages en vol de nuit s'il désire transporter des passagers. Des connaissances qui ne sont pas actualisées et le manque de pratique en vol aux instruments n'aident pas les pilotes à faire face à une situation critique, telle qu'une réduction significative de la visibilité pendant un vol de nuit.

Les compétences en vol aux instruments sont essentielles pour assurer la sécurité d'un vol de nuit au même titre que les compétences dans la pratique des mesures d'urgence. Il existe une différence entre être qualifié et être compétent. Le vol aux instruments constitue une habileté complexe. Afin de maintenir cette habileté à un niveau de compétence acceptable, une répétition fréquente d'exercices pratiques est nécessaire. La revue des connaissances théoriques sur les particularités du vol de nuit augmente le niveau de conscience de la situation des pilotes et leur permet de prendre des décisions adéquates. Une bonne planification du vol aide aussi à réduire le risque qu'un pilote perde ses repères visuels durant le vol; cependant, il peut y avoir des imprévus, et le pilote pourrait devoir se fier à son habileté d'effectuer un vol aux instruments pour conserver la maîtrise de l'aéronef et retrouver ses repères visuels.

Rien n'indique dans le carnet de vol personnel du pilote qu'il aurait pratiqué le vol aux instruments en double commande avec un instructeur qualifié à la suite de l'obtention de sa qualification de vol de nuit en 2007. De plus, aucune inscription n'a été faite concernant une mise à jour des connaissances théoriques, quelles qu'elles soient.

Si le Règlement de l'aviation canadien (RAC) n'exige pas que les pilotes maintiennent leurs compétences en vol de nuit pour se prévaloir des avantages de la qualification de vol de nuit, ils risquent d'être incapables de reconnaître la désorientation spatiale et d'y réagir de façon appropriée, ce qui augmente les risques d'accident en raison d'une perte de maîtrise.

Si le RAC n'exige pas que les pilotes qui effectuent des vols VFR de nuit subissent une évaluation périodique en vol aux instruments en double commande avec un instructeur qualifié, il y a un risque accru qu'en cas de perte de repères visuels, les pilotes ne puissent pas conserver la maîtrise de leur aéronef ou reprendre la maîtrise à temps afin d'éviter un accident.

2.5 Prise de décision

L'enquête n'a pas pu déterminer si le pilote était au courant des conditions météorologiques sur sa route. Le fait d'avoir entrepris le vol, malgré les prévisions météorologiques défavorables, démontre en soi que sa conscience de la situation concernant les conditions météorologiques était déficiente et que cette lacune a conduit à sa décision de maintenir le plan de vol initial. Plusieurs facteurs pourraient expliquer la décision du pilote de décoller malgré les prévisions météorologiques annoncées sur sa route, notamment :

L'itinéraire de vol déposé par le pilote auprès d'une personne de confiance prévoyait un retour le soir même. La tendance à maintenir son plan initial est un biais cognitif inconscient qui consiste à continuer avec le plan d'action en dépit des conditions changeantes. De plus, si les passagères à bord avaient des attentes concernant le retour le soir même, il est possible que cela ait pu mettre une pression (réelle ou perçue) sur le pilote. En outre, le fait que les conditions météorologiques avant le décollage de Saint-Georges de Beauce étaient propices au vol VFR aurait pu conforter le pilote dans sa décision de décoller.

Le pilote connaissait la route, car il l'avait déjà parcourue de jour à 2 reprises environ 8 mois avant l'accident. Le pilote avait donc au moins 2 expériences de vol précédentes au-dessus de la même région. Ces 2 expériences positives (où les résultats ont correspondu aux attentes) ont pu influencer la perception de la situation du pilote. Cependant, une route effectuée de jour ne présente pas les mêmes caractéristiques que lorsqu'elle est effectuée de nuit. Il peut être très difficile d'imaginer, lors d'un vol de jour au-dessus d'une région considérée peuplée comme le Centre-du-Québec, que certains secteurs n'ont pas un éclairage au sol adéquat une fois la nuit tombée. Si la visibilité est bonne, les zones avec un bon éclairage au sol peuvent compenser pour les zones qui en offrent moins. Si la visibilité en vol diminue au point où le pilote ne peut pas voir au-delà d'une zone avec peu d'éclairage au sol, le risque de perdre les repères visuels à la surface augmente, même dans une région considérée peuplée. Par conséquent, le choix de la route entre 2 lieux peut différer selon que le vol est effectué de jour ou de nuit.

Pendant un vol de nuit, il est difficile, et même parfois impossible, d'observer une dégradation des conditions météorologiques en raison de la noirceur; ainsi, la route en VFR de nuit devrait être déterminée en considérant uniquement les zones offrant le plus d'éclairage au sol possible, plutôt que de prendre une forme rectiligne. Dans le cas d'un vol rectiligne, le risque de perdre les repères visuels nécessaires au maintien de la maîtrise d'un aéronef est augmenté.

En 2016, le BST a émis la recommandation A16-08 en raison du manque de clarté dans la signification pratique de la définition d'un « vol avec repères visuels à la surface ». Le Bureau se réjouit du fait que TC prend des mesures pour régler cette lacune de sécurité en menant des activités de sensibilisation et d'éducation qui seront suivies d'un projet de modification de la réglementation. Toutefois, jusqu'à ce que les détails des modifications proposées à la réglementation soient entièrement connus, le BST n'est pas en mesure d'évaluer si ces mesures régleront complètement la lacune de sécurité liée aux vols VFR de nuit. Si le RAC ne définit pas clairement ce que sont les repères visuels à la surface, des vols de nuit pourraient être effectués avec des repères visuels inappropriés, ce qui augmente les risques d'accident avec perte de maîtrise ou d'impact avec le relief sans perte de contrôle.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Il est fort probable que le pilote ait fait face à des conditions météorologiques défavorables, entraînant une perte de repères visuels avec le sol.
  2. Il est fort probable que le pilote ait perdu la maîtrise de l'hélicoptère en raison d'une désorientation spatiale.
  3. Compte tenu du nombre total d'heures de vol du pilote, de sa formation et de son expérience limitée en vol de nuit, il est probable que le pilote ne possédait pas les habiletés nécessaires pour faire face à une réduction significative des repères visuels avec le sol.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si le Règlement de l'aviation canadien (RAC) n'exige pas que les pilotes maintiennent leurs compétences en vol de nuit pour se prévaloir des avantages de la qualification de vol de nuit, ils risquent d'être incapables de reconnaître la désorientation spatiale et d'y réagir de façon appropriée, ce qui augmente les risques d'accident en raison d'une perte de maîtrise.
  2. Si le RAC n'exige pas que les pilotes qui effectuent des vols selon les règles de vol à vue de nuit subissent une évaluation périodique de vol aux instruments en double commande avec un instructeur qualifié, il y a un risque accru qu'en cas de perte de repères visuels, les pilotes ne puissent pas conserver la maîtrise de leur aéronef ou reprendre la maîtrise à temps afin d'éviter un accident.
  3. Si le RAC ne définit pas clairement ce que sont les repères visuels à la surface, des vols de nuit pourraient être effectués avec des repères visuels inappropriés, ce qui augmente les risques d'accident avec perte de maîtrise ou d'impact avec le relief sans perte de contrôle.

3.3 Autre fait établi

  1. La réglementation en vigueur au moment de l'événement n'exigeait pas de formation théorique au sol sur les particularités du vol de nuit (telles que la désorientation spatiale, les illusions d'optique et sensorielle, la vision nocturne, les facteurs humains, la prise de décision du pilote et la fatigue) pour obtenir la qualification.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Carte Nuages et temps de la prévision de zone graphique émise à 12 h 42 le 1er février 2018 et valide à 19 h

Carte Nuages et temps de la prévision de zone graphique
Source : NAV CANADA, avec annotations du BST

Annexe B – Carte de givrage, de turbulence et de niveau de congélation de la prévision de zone graphique émise à 12 h 42 le 1er février 2018 et valide à 19 h

Carte de givrage, de turbulence et de niveau de congélation de la prévision de zone graphique
Source : NAV CANADA

Annexe C – Capture d’écran du radar météorologique de Villeroy à 20 h 40 le 1er février 2018

Capture d’écran du radar météorologique de Villeroy à 20 h 40 le 1er février 2018
Remarque : L’étoile rouge indique le lieu de l’accident.
Source : Environnement et Changement climatique Canada, avec annotations du BST

Annexe D – Résultats de l'examen des instruments de bord récupérés de l'épave

Instrument examiné Marque témoin à l'impact
Altimètre Aucune marque témoin
Indicateur d'assiette 81° de roulis à droite / 25° inclinaison avant
Indicateur de vitesse Approximativement 80 KNOTS (nœuds)
Indicateur de vitesse verticale 1750 FPM (pi/min)
Boussole Aucune marque témoin
Indicateur de pression d'admission 23 inHg*
Régime du moteur Approximativement 113 %**
Régime du rotor principal Approximativement 107 %***
Indicateur de pression d'huile 85  psi (lb/po²)

* Selon le R44 Pilot's Operating Handbook and FAA Approved Rotorcraft Flight Manual, la puissance maximale continue autorisée au décollage à la température extérieure et l'altitude pression existantes était d'environ 22,5 inHg. (Source : Robinson Helicopter Company, R44 Pilot's Operating Handbook and FAA Approved Rotorcraft Flight Manual, RTR 461 [21 October 2016], section 2 : Limitations, p. 2-9.)
** La plage normale d'utilisation est de 101 % à 102 %, mais l'indication de 113 % peut avoir été influencée par les forces d'impact.
*** La plage normale d'utilisation est de 101 % à 102 %, mais l'indication de 107 % peut avoir été influencée par les forces d'impact.

Annexe E – Résultats de l'examen des voyants d'alarmes

Voyant d'alarme Observation relative au filament État du voyant à l'impact
MR TEMP Filament intact Lumière éteinte
ROTOR BRAKE Filament intact Lumière éteinte
CARBON MONOXIDE Filament intact Lumière éteinte
MR CHIP Filament fracturé Incertain
STARTER ON Filament fracturé Incertain
ALTERNATOR Filament fracturé Incertain
TR CHIP Filament fracturé Incertain
CLUTCH Filament fracturé Incertain
LOW RPM Filament fracturé Incertain
LOW FUEL Filament fracturé Incertain
OIL Filament fracturé Incertain
ENGINE FIRE Filament fracturé Incertain
GOVERNOR OFF Filament fracturé Incertain

Annexe F – Mesures acceptables comme programme de formation périodique selon la norme 421.05(2) du Règlement de l'aviation canadien : mise à jour des connaissances

Mesures acceptables reconnues par Transports Canada Analyse du BST
a) subir une révision en vol dispensée par le titulaire d'une qualification d'instructeur de vol de la même catégorie d'aéronef et qui doit porter sur tous les éléments normalement abordés pendant le test en vol en vue de la délivrance d'un permis ou d'une licence; Une révision en vol nécessite généralement :
  • l'accès à un instructeur de vol qualifié qui est habituellement associé à une école de pilotage;
  • l'accès à un aéronef;
  • un déboursé financier.
Il est peu probable que cette avenue soit privilégiée par les pilotes ayant une licence privée.
b) assister à un séminaire sur la sécurité dirigé par Transports Canada Aviation; Les séminaires sur la sécurité sont généralement présentés de façon sporadique à travers le Canada, principalement offerts dans les grands centres et n'abordent pas nécessairement les besoins spécifiques de chaque pilote.
c) réussir un programme de formation périodique visant à mettre à jour les connaissances du pilote à propos de domaines pouvant comprendre notamment des sujets comme des facteurs humains, de la météorologie, de la planification des vols, de la navigation, de la réglementation, des règles et des procédures aériennes, programme que le ministre a approuvé comme répondant à ces objectifs; Les programmes de formation périodique sont obligatoires et offerts uniquement aux pilotes au service d'une compagnie aérienne. Ces programmes sont liés aux opérations propres aux compagnies et ne sont pas accessibles aux pilotes privés.
d) suivre le programme de formation selon un rythme personnel présenté annuellement dans Sécurité aérienne - Nouvelles de Transports Canada; ce programme vise à mettre à jour les connaissances du pilote concernant les sujets mentionnés à l'alinéa c) précédent; le titulaire de la licence doit remplir l'exemplaire le plus récent et le garder en sa possession; La Sécurité aérienne – Nouvelles de Transports Canada est une publication émise 4 fois par année disponible uniquement en ligne. Ce programme d'autoformation comprend des questions à répondre; les réponses et les références sont inscrites dans la publication. Les sujets présentés n'abordent pas nécessairement les besoins spécifiques de chaque pilote.
e) suivre un programme de formation ou subir un contrôle de compétence pilote en application des parties IV, VI ou VII du Règlement de l'aviation canadien; Le contrôle de compétence pilote (CCP) est un examen en vol sous la surveillance d'un pilote agréé par le ministre des Transports et vise les pilotes professionnels au service de compagnies aériennes; il n'est pas applicable aux pilotes privés.
f) satisfaire aux exigences de compétence en vue de la délivrance ou du renouvellement d'un permis de pilote, d'une licence de pilote ou d'une qualification, soit qualification de vol de nuit, de vol VFR au-dessus des nuages, de vol aux instruments, sur multimoteurs, d'instructeur de vol, avion terrestre ou hydravion; ou L'ajout d'une nouvelle qualification ou licence n'est pas une avenue judicieuse dans le but unique de satisfaire les exigences de mise à jour des connaissances.
g) subir le ou les examens écrits en vue de l'obtention d'un permis, d'une licence ou d'une qualification. Ces examens écrits sont dispensés par Transports Canada; ils ne sont pas conçus pour un pilote qui désire uniquement maintenir ses connaissances à jour sans le but d'obtenir un autre permis, ou une autre licence ou qualification.