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Rapport d'enquête maritime M17C0061

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Chavirement
Petit bateau de pêche Emma Joan
Grosse-Île, Îles-de-la-Madeleine (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du voyage

À 6 hNote de bas de page 1 , le 20 mai 2017, le bateau de pêche Emma Joan (figure 1), en fibre de verre et mesurant 12,27 m (40 pieds), a quitté le quai de Grosse-Île aux Îles-de-la-Madeleine (Québec) avec 2 personnes à bord pour aller remonter des casiers à homards. Le capitaine était titulaire d'un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments. Il était propriétaire et capitaine du bateau à l'étude depuis 8 ans et pêchait à partir de ce quai depuis les 4 dernières années.

Figure 1. Bateau de pêche Emma Joan (Source : propriétaire/capitaine)
Petit bateau de pêche Emma Joan

Chaque année, l'ouverture locale de la pêche au homard a lieu le premier samedi de mai, ou aux alentours de cette date, selon l'état des glaces, les conditions météorologiques et les opérations de dragage. Cette période de pêche est de 9 semaines. En 2017, des vents forts ont retardé l'ouverture de la pêche jusqu'au 14 mai. De l'ouverture de la pêche jusqu'au jour précédant l'événement, le capitaine avait effectué 8 allers-retours de Grosse-Île jusqu'aux lieux de pêche.

Le capitaine avait l'habitude de quitter Grosse-Île à 3 h 30, à la noirceur. Toutefois, le jour de l'événement à l'étude, le capitaine a attendu qu'il fasse jour pour partir afin de pouvoir observer l'état de la mer près de la barre sableuse à l'entrée du port. Lorsque l'Emma Joan a quitté Grosse-Île, des vents de 20 à 25 nœuds soufflaient du nord-ouest et les vagues atteignaient de 2 à 3 m.

Vers 14 h 30, l'équipage a fini de remonter les casiers aux Rochers aux Oiseaux et a fait route vers Grosse-Île, à 19 milles marins (nm) au sud-ouest. Le capitaine a obtenu un point de cheminement par lequel un autre pêcheur avait réussi à franchir la barre sableuse quelques heures plus tôt; le capitaine a établi la trajectoire vers ce point de cheminement et a fait route vers celui-ci.

Durant la journée, les vents avaient augmenté à 35 nœuds du nord-ouest, et les vagues avaient atteint de 3 à 5 m, conformément aux prévisions, détériorant davantage les conditions près de la barre sableuse. Vers 15 h 40, des brisants étaient visibles alors que le bateau s'approchait de la barre sableuse. Le capitaine et le matelot de pont ont enfilé leur vêtement de flottaison individuel. Avant de franchir la barre sableuse, le capitaine a changé de cap à bâbord de manière à avoir la mer de l'arrière.

Vers 15 h 55, une grosse vague a soulevé la poupe et fait s'enfoncer la proue dans le creux de vague qui précédait le bateau. La proue du bateau a touché le fond sur la barre sableuse tandis que la vague a continué de soulever la poupe; le bateau a sanciNote de bas de page 2 .

Le capitaine et le matelot de pont se trouvaient dans la cabine lorsque le bateau a sanci et ils ont été projetés dans le gaillard. Le bateau a rapidement chaviré, retenant les 2 membres d'équipage sous la coque renversée.

Aucun signal de détresse n'a été transmis, car il n'y avait à bord ni radiobalise de localisation des sinistres (RLS) ni aucun autre dispositif d'alerte de détresse automatique. L'équipage n'a pas eu le temps d'envoyer manuellement un appel de détresse par radiotéléphone très haute fréquence (VHF) ni par téléphone cellulaire. Des personnes sur la rive ont été témoins du chavirement, et 2 bateaux de pêche ont rapidement quitté le quai pour aller sauver les 2 membres d'équipage.

Ces derniers ont fini par sortir du gaillard par l'écoutille. Le capitaine a fait surface non loin du bateau chaviré; le matelot de pont a refait surface à l'intérieur du compartiment moteur. Il a nagé sous l'eau pour sortir par l'écoutille du compartiment moteur et ainsi regagner la surface près du capitaine.

Les 2 bateaux de pêche sont arrivés sur les lieux juste avant que le capitaine remonte à la surface. On a lancé une bouée de sauvetage aux 2 membres d'équipage, qui s'y sont agrippés et ont ainsi pu être repêchés des eaux. Les 2 membres d'équipage ont été ramenés au quai de Grosse-Île, où ils ont été soignés pour hypothermie par des premiers intervenants, puis transportés à l'hôpital où ils ont été soignés avant d'obtenir leur congé plus tard dans la journée. Le bateau endommagé a été récupéré le lendemain (figure 2). Aucune pollution n'a été signalée.

Figure 2. L'Emma Joan endommagé après sa récupération
L'Emma Joan endommagé après sa récupération

Port de Grosse-Île

Le port de Grosse-Île sert de port d'attache à environ 45 bateaux de pêche. La navigation entre le port et la mer se fait par un chenal dragué non balisé de 50 m de large sur 415 m de long. Aucune bouée ni aide à la navigation ne balise ce chenal. En 2012, on a construit une île brise-lames (figure 3), qui a été prolongée à l'automne de 2016. Ce prolongement a nécessité, avant le début de la saison de pêche 2017, le déplacement du chenal non balisé vers le sud, parallèle à sa position d'origine (figure 4).

Figure 3. Port de Grosse-Île et chenal non balisé avant 2017 (Source : Service hydrographique du Canada, Instructions nautiques ATL 108, publiées en juillet 2013)
Port de Grosse-Île et chenal non balisé avant 2017
Figure 4. Port de Grosse-Île et nouveau chenal non balisé en 2017, avec annotations du BST (Source : Service hydrographique du Canada, Instructions nautiques ALT 108, publiées en juin 2017, après l'événement)
Port de Grosse-Île et nouveau chenal non balisé en 20177

Les Instructions nautiquesNote de bas de page 3 publiées par Pêches et Océans Canada (MPO) indiquent aux navigateurs que les profondeurs du chenal (figures 3 et 4) sont obtenues grâce à des travaux de dragage d'entretien et qu'elles pourraient être moindres que prévu étant donné l'ensablement continuel.

Dans le cadre du Programme des ports pour petits bateauxNote de bas de page 4 , le MPO gère les ports, dont celui de Grosse-Île, et en fait l'entretien afin de veiller à ce qu'ils soient sécuritaires et accessibles aux pêcheurs et aux autres utilisateurs. Les conditions météorologiques et états de mer variables font que l'importance de l'ensablement et l'étendue de la barre sableuse dans le chenal et à proximité de celui-ci fluctuent énormément d'une année à l'autre. Par conséquent, le MPO effectue chaque année des levés bathymétriques et des travaux de dragage à Grosse-Île. Des levés effectués pour le compte du MPO avant la saison de pêche au homard 2017 montraient que la barre sableuse s'étalait en travers du nouveau chenal et qu'elle réduisait à 1,6 mNote de bas de page 5 seulement la profondeur d'eau au point le plus élevé de la barre sableuse.

Le MPO confie à un entrepreneur les travaux annuels de dragage de 5 ports aux Îles-de-la-Madeleine, dont celui de Grosse-Île. Étant donné qu'il y a peu de temps entre le moment où la glace de mer se fond et l'ouverture de la saison de pêche au homard, le dragage complet des 5 ports n'est pas achevé avant l'ouverture de la saison de pêche au homard; seul un passage de sécurité est dragué pour permettre l'accès au port le jour de l'ouverture. Une fois que les passages de sécurité ont été dragués aux 5 ports, l'entrepreneur retourne achever le dragage de l'ensemble des chenaux.

À l'ouverture de la saison de pêche 2017, on a dragué un passage de sécurité de 2,6 m de profond, de 15 m de large et de 165 m de long aux abords du quai de Grosse-Île. Or, ce passage ne se prolongeait pas jusqu'à la barre sableuse, près de l'extrémité côté mer du nouveau chenal. Aucune bouée temporaire n'indiquait l'étroit passage de sécurité qui avait été dragué.

Le 2 mai 2017, le MPO a remis un diagramme de levé (figure 5) à l'administration portuaire de Grosse-Île, pour qu'il soit distribué aux pêcheurs afin de les informer du passage de sécurité. Le capitaine de l'Emma Joan a reçu une copie de ce diagramme, qui indiquait le passage de sécurité ainsi que 5 coordonnées géographiques pour marquer les limites du passage. Ce diagramme indiquait que le profondeur de l'eau dans le nouveau chenal était de 1,6 m au point le plus élevé de la barre sableuse, mais sa position n'était soulignée d'aucune façon, et ses coordonnées ne figuraient nulle part.

Figure 5. Diagramme du passage de sécurité remis à l'administration portuaire de Grosse-Île pour l'ouverture de la saison 2017 de la pêche au homard (Source : programme des Ports pour petits bateaux, Pêches et Océans Canada))
Diagramme du passage de sécurité remis à l'administration portuaire de Grosse-Île pour l'ouverture de la saison 2017 de la pêche au homard

Avant l'ouverture de la saison de pêche au homard 2017, le MPO avait installé une bouée repère d'engin de pêche temporaire au sud de la barre sableuse pour indiquer ce danger. La bouée temporaire est demeurée en place pendant 1 ou 2 jours avant d'être emportée par la mer. Au moment de l'événement, cette bouée temporaire n'était plus en place pour indiquer la limite sud de la barre sableuse dangereuse.

Figure 6. Diagramme du passage de sécurité, avec annotations du BST indiquant l'emplacement de la barre sableuse (Source : programme des Ports pour petits bateaux, Pêches et Océans Canada)
 Diagramme du passage de sécurité, avec annotations du BST indiquant l'emplacement de la barre sableuse

Messages de sécurité

Le BST a déjà enquêté sur des événements mettant en cause des barres sableuses à l'approche d'un port. Dans un de ces événements, la position précise d'un chenal nouvellement balisé n'était illustrée sur aucune carte et n'avait été communiquée d'aucune façon aux utilisateurs du portNote de bas de page 6 . Dans un autre événement, l'ampleur de l'envasement et l'étendue d'une barre sableuse n'avaient pas été communiquées aux utilisateurs du portNote de bas de page 7 .

Il incombe aux pêcheurs d'évaluer les risques que posent les conditions météorologiques et l'état de la mer afin de garantir la sécurité de leur embarcation et de leur équipage. Ils doivent en outre être prudents lorsqu'ils traversent des lieux où l'ensablement est continuel et les bancs de sable se déplacent. Toutefois, une évaluation exacte des dangers est impossible sans information sur les passages de sécurité et les dangers pour la navigation.

À Grosse-Île, on a effectué d'importants travaux pour faire un levé du chenal non balisé et draguer un passage de sécurité aux abords du quai, avant l'ouverture de la saison de la pêche. Bien que le diagramme fourni aux pêcheurs indiquait la hauteur de la barre sableuse, il ne cernait pas sa position, et les coordonnées de la barre sableuse n'y figuraient nulle part. En plus, la bouée temporaire placée pour marquer la barre sableuse jusqu'à l'achèvement du dragage du chenal avait été emportée par la mer peu de temps après son installation. En l'absence d'une barre sableuse clairement indiquée, les pêcheurs pourraient franchir des zones dangereuses, et ainsi mettre en danger la sécurité de leur bateau et de leur équipage.

Ceci conclut l'enquête à portée limitée du BST concernant cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport d'enquête le qui a été officiellement publié le .