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Rapport d'enquête maritime M16C0137

Collision
Navire à passagers C03097QC
Les Bergeronnes (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 29 août 2016, vers 12 h 23, heure avancée de l'Est, l'embarcation à passagers pneumatique à coque rigide C03097QC, communément appelée Aventure 6, avec 9 personnes à bord, est entrée en collision avec un objet non identifié lors d'une excursion d'observation de mammifères marins au large des Bergeronnes (Québec). Un passager et l'opérateur sont tombés à la mer; ils ont été récupérés et traités pour hypothermie. Un autre passager a été traité pour des blessures causées par l'impact. Les 3 blessés ont été transportés par ambulance du quai des Bergeronnes jusqu'aux Escoumins (Québec). Les moteurs hors-bord de l'embarcation ont été endommagés.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom courant du navire Aventure 6
Numéro officiel C03097QC
Province d'immatriculation Québec
Pavillon Canadien
Type Navire à passagers
Matériaux Fibre de verre, aluminium, néoprène/Hypalon (caoutchouc synthétique de polyéthylène chlorosulfoné)
Jauge brute 5,00 tonneaux
Longueur au registre 8,46 m
Construction 2002, Polaris Inflatable Boats Canada Ltd., Surrey (C.-B.), Canada
Modèle (numéro de coque) Neptune PRH 840 ZYP (ZYPDR24PH202)
Propulsion 2 moteurs à essence hors-bord à 4 temps de 225 horsepower
Nombre de passagers 8 (maximum de 12)
Membres d'équipage 1
Propriétaire enregistré / exploitant Croisières Essipit, Les Escoumins (Québec), Canada

1.2 Description du navire

Le C03097QC (Aventure 6) est une embarcation à passagers pneumatique à coque rigide conçue pour une capacité maximale de 9500 livres ou 28 personnes. La coque et le pont sont en fibre de verre tandis que le tube pneumatique de 60 cm (24 pouces) de diamètre entourant la coque est fait de matériaux synthétiques mixtes et séparé en 5 chambres à air indépendantes.

Un poste de conduite en aluminium et fibre de verre est installé à l'arrière, juste devant la poupe. Il est doté d'un siège, d'une roue de gouvernail, de leviers de commande pour la propulsion, d'un dispositif de contrôle et d'affichage de surveillance pour les moteurs, d'un radiotéléphone très haute fréquence (VHF) équipé des systèmes d'appel sélectif numérique (ASN) et de veille double, d'un appareil GPS (système de positionnement mondial), d'un affichage de carte électronique, d'un radar, de commandes et de coupe-circuits pour les instruments, et d'une bouée de sauvetage, sur le toit. Le poste de conduite est également équipé d'un cordon de sécurité coupe-moteur pouvant être attaché à l'opérateur lorsque le navire fait route; la propulsion est coupée si le cordon se débranche du connecteur.

La section des sièges passagers est située à l'avant du poste de conduite et occupe approximativement les deux tiers avant du navire. Lorsque l'opérateur est assis au poste de conduite, son champ de vision est entravé par les passagers devant lui. C'est pourquoi l'opérateur de l'Aventure 6 se tient généralement debout en conduisant le navire.

La propulsion est assurée par 2 moteurs hors-bord développant un total de 450 horsepower (figure 1 et figure 2). Selon les conditions de chargement, le franc-bord du navire varie de 67 cm à 78 cm en eau salée.

Figure 1. Poupe et poste de conduite de l'Aventure 6
Poupe et poste de conduite de l'Aventure 6
Figure 2. Côté tribord et proue de l'Aventure 6
Côté tribord et proue de l'Aventure 6

1.3 Modifications au navire

Lorsque l'Aventure 6 a été livré à son propriétaire en 2002, il était équipé d'un moteur en-bord entraînant une seule hélice. Une vérification de la stabilité a ensuite été effectuée par un expert maritime indépendant, sous la supervision d'un inspecteur de la sécurité maritime de Transports Canada (TC).

En 2008, le propriétaire a embauché une firme d'architecture navale pour évaluer la faisabilité de modifications à sa flotte d'embarcations à passagers pneumatiques à coque rigide. À cette occasion, un essai de stabilité initiale a été mené. Les modifications envisagées consistaient principalement à remplacer le moteur en-bord par 2 moteurs hors-bord. Ceci a permis de libérer de l'espace derrière le poste de conduite, qui a été reculé de 0,838 m (33 pouces). L'espace ainsi gagné à l'avant du poste de conduite a permis l'ajout d'une banquette supplémentaire pour transporter davantage de passagers.

La firme d'architecture navale a conclu que les modifications étaient acceptables sur le plan tant de la stabilité que de la sécurité. Toute la flotte, y compris l'Aventure 6 et ses navires jumeaux, a été modifiée en fonction des conclusions de cette évaluation, mais aucune vérification ultérieure de la stabilité n'a été faite. TC a reçu une copie de l'étude de faisabilité et a accepté les documents de l'essai de stabilité initiale en établissant les limites opérationnelles du navire pour une capacité de 12 passagersNote de bas de page 1 . Toutefois, le ministère n'a pas été informé que les modifications avaient bel et bien été apportées. TC n'a pas surveillé les travaux ni confirmé que les modifications avaient été faites dans le respect des normes, règles et règlements pertinents.

Par le passé, l'Aventure 6 et ses navires jumeaux avaient quelquefois perdu des bouées de sauvetage en mer; les sangles de type bateau de plaisance utilisées pour arrimer la bouée au navire n'étaient pas conçues pour supporter le vent, les vibrations et les mouvements brusques rencontrés lors des excursions en mer. Pour prévenir la perte d'autres bouées, le dispositif d'arrimage a été modifié sur toute la flotte par l'ajout de cordelettes en fibre synthétique et d'attaches autobloquantes en nylon (figure 3).

Figure 3. Dispositif d'arrimage de la bouée de sauvetage
Dispositif d'arrimage de la bouée de sauvetage

1.4 Déroulement du voyage

Le 29 août 2016 à 8 h 59Note de bas de page 2 , l'Aventure 6 a quitté le quai des Bergeronnes (Québec) pour sa 1re excursion d'observation des mammifères marins de la journée. Le navire est rentré à 11 h 04, et les passagers ont débarqué.

Peu après, l'opérateur a supervisé l'embarquement d'un nouveau groupe de 8 passagers. Chacun des passagers portait un manteau de flottaison Mustang et un pantalon imperméable. Une fois les passagers assis, l'opérateur a donné l'exposé avant départ obligatoire relatif aux mesures de sécurité. À 11 h 25, le navire a quitté le quai pour sa 2e excursion de la journée. Le cordon de sécurité coupe-moteur est resté enroulé autour de la roue de gouvernail et des clés de contact.

De 11 h 40 à 12 h 19, l'Aventure 6 est demeuré stationnaire dans une zone d'observation de mammifères marins, à proximité de plusieurs rorquals bleus, à environ 3 milles marins (nm)Note de bas de page 3 au large des Bergeronnes (annexe A).

À 12 h 19, l'opérateur a quitté la zone d'observation et conduit l'Aventure 6 en direction de la bouée S3, au large de Tadoussac (Québec), à 5,3 nm au sud-ouest, parce qu'un troupeau de phoques avait été signalé dans ce secteur. Le navire a quitté la zone d'observation à une vitesse de 11,88 nœudsNote de bas de page 4 . Lorsqu'il s'est trouvé à 0,8 nm du navire le plus près, l'opérateur, debout aux commandes, a commencé à accélérer. La profondeur d'eau était d'environ 150 m. À ce moment, des passagers ont observé une baleine qui émergeait à environ 100 m sur l'avant et qui croisait la route du navire de bâbord à tribord. Aucun d'entre eux n'a informé l'opérateur de cette observation.

À 12 h 23 min 24 sNote de bas de page 5 , alors que l'Aventure 6 avait atteint une vitesse de 21,6 nœuds, la proue du navire a heurté un objet non identifié, entraînant une décélération brutale et une embardée de la proue. L'impact et le brusque changement de vitesse ont projeté 1 passager par-dessus bord tandis que la tête de l'opérateur a heurté le pare-brise du poste de conduite. Presque simultanément, les pieds des moteursNote de bas de page 6 ont heurté le même objet, ce qui a soulevé l'arrière du navire et projeté l'opérateur contre le côté bâbord du poste de conduite, puis par-dessus bord. En même temps, la collision a provoqué l'arrêt automatique des deux moteurs hors-bord Note de bas de page 7 . Les leviers de commande de propulsion sont demeurés en position embrayée, approximativement à la moitié de leur plage d'opération vers l'avant. Les 7 passagers demeurant à bord ont été projetés sur le pont, les sièges et les structures du navire. Peu après, des passagers ont entendu un souffle fort à proximité du navire, semblable au son typique du souffle d'une baleine.

Après la collision, l'Aventure 6 a poursuivi sur son erre (sans propulsion), ralentissant graduellement, sur une distance d'environ 100 m, puis s'est mis à dériver. Les passagers à bord ont tenté d'appeler à l'aide avec la radio VHF et ont appuyé sur le bouton de détresse rouge du poste VHF.

À 12 h 25 min 44 s, n'obtenant aucune réponse à la radio VHF, un passager a utilisé un téléphone cellulaire pour contacter le service 911, tandis qu'un autre passager tentait de redémarrer les moteurs. Le centre d'appel 911 de Rimouski (Québec) a répondu et, à 12 h 27, le répartiteur du centre a alerté le Centre secondaire de sauvetage maritime de la Garde côtière canadienne (GCC) à Québec (Québec). Un garde-côte de recherche et sauvetage a été dépêché depuis Tadoussac (Québec). Pendant ce temps, l'opérateur et le passager à la mer ont tenté de rejoindre le navire à la nage.

À 12 h 28, un des passagers a mis les leviers de commande de propulsion en position neutre et est parvenu à redémarrer le moteur tribord. Il a ensuite manœuvré l'Aventure 6 pour le rapprocher des 2 personnes à la mer. À 12 h 29 min 30 s, le passager à la mer a été ramené à bord. À 12 h 30 min 35 s, l'opérateur a pu être hissé à bord, non sans difficulté; il a été blessé au bras et à l'épaule pendant le sauvetage.

Avec l'aide des passagers, l'opérateur a pu reprendre les commandes du navire. À 12 h 32, il a redémarré le moteur bâbord. Après avoir tenté en vain de joindre le personnel à terre de l'entreprise sur la voie VHF 11, il est parvenu à contacter les autorités du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent sur la voie VHF 8; il a informé le garde de parc qu'il entendait ramener l'Aventure 6 au quai des Bergeronnes. Le garde de parc a relayé l'information au centre d'appel 911, qui a dépêché les premiers répondants (police, ambulance et service d'incendie) en conséquence.

À 12 h 44, l'opérateur avait réussi à ramener l'Aventure 6 au quai (à une vitesse allant jusqu'à 31,86 nœuds), où tous les blessés ont reçu les premiers soins avant d'être transportés par ambulance à l'hôpital des Escoumins (Québec).

1.5 Victimes

L'opérateur du navire a reçu des soins médicaux pour hypothermie, pour des blessures mineures à la tête et pour des blessures graves au bras et à l'épaule; il a par la suite reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Le passager tombé à la mer a reçu des soins pour hypothermie et pour des blessures mineures au dos. Un autre passager a été sérieusement blessé à un genou. D'autres passagers ont subi des blessures légères. Ceux qui ont été conduits à l'hôpital ont reçu leur congé le même jour.

1.6 Avaries au navire

Les deux moteurs hors-bord du navire ont été légèrement endommagés : les boulons d'ancrage des pieds et des boîtes d'engrenages ont été fracturés. Lors de l'impact, l'extincteur d'incendie s'est détaché de son support et a été perdu en mer.

1.7 Conditions environnementales

Le 29 août à 12 h, le vent au large des Bergeronnes soufflait du nord (350°) à 13,5 nœuds. La température de l'air était de 14 °C, l'humidité relative s'élevait à 73 %, et la température de l'eau de mer était de 6 °C.

1.8 Industrie du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent

Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent a été créé en 1998 par le gouvernement du CanadaNote de bas de page 8 et le gouvernement du QuébecNote de bas de page 9 , après l'élaboration du 1er Plan d'action Saint-LaurentNote de bas de page 10 et la tenue du Forum international sur l'avenir du béluga, en 1988. Les gouvernements avaient par ailleurs constaté la croissance de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le fjord du Saguenay et dans l'estuaire du Saint-Laurent tout au long des années 1990.

Le parc couvre un total de 1245 km² et sa mission est de « rehausser […] le niveau de protection de ses écosystèmes aux fins de conservation, tout en favorisant les activités éducatives, récréatives et scientifiquesNote de bas de page 11  ». Le parc est cogéré par Parcs Canada et Parcs Québec (Société des établissements de plein air du Québec – Sépaq).

En 2000, Parcs Canada a réalisé une analyse interne des risques en santé publique dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, afin d'aider Parcs Canada à élaborer des stratégies d'intervention et à prioriser des mesures pour réduire au minimum les risques d'accidentNote de bas de page 12. L'analyse a permis d'établir que de 1991 à 1996, le nombre de passagers prenant part à des excursions d'observation était passé de 100 000 à 300 000 annuellement. Cette étude a également mis en relief l'insuffisance des ressources locales pour répondre aux besoins d'une opération de recherche et sauvetage majeure dans le parc.

Selon des données compilées en 2007Note de bas de page 13, on estime à 13 073 le nombre annuel d'excursions d'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, principalement de mai à octobre. Entre le 1er mai et le 31 octobre 2007, les navires marchands, les navires de croisière et les traversiers comptaient respectivement pour 6,1 %, 0,2 % et 43,5 % de l'ensemble du trafic maritime dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et 25,4 % du trafic était attribuable à l'industrie locale d'excursions d'observation des mammifères marins. En 2009, le nombre de visiteurs du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent était supérieur de 12 % au niveau de 2005, et 35 % de ces visiteurs étaient des passagers de navires de croisière effectuant des voyages internationaux.

Les données les plus récentes, datant de 2009, permettent d'estimer que 274 000 personnes avaient pris part à une excursion d'observation de mammifères marins, une augmentation totale de 5 % depuis 2005. En 2017, Parcs Canada a complété la révision de la réglementation du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et le nombre total de permis commerciaux pour les excursions d'observation des mammifères marins (permis de classe 1) a été réduit de 59 à 53 (chaque permis étant attribué à un seul navire à passagers).

Les navires à passagers qui détiennent ces 53 permis sont soumis à différents règlements selon leur classe, leur tonnage, leur longueur, leur capacité maximale, le type de voyage effectué, etc. Les navires à passagers d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux transportant au plus 12 passagers sont assujettis au Règlement sur les petits bâtimentsNote de bas de page 14.

1.9 Exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité

En vertu du Règlement sur les petits bâtimentsNote de bas de page 15, l'opérateur d'un petit navire à passagers doit donner aux passagers un exposé sur les mesures pertinentes de sécurité et d'urgence. Les sujets abordés comprennent l'emplacement et l'utilisation des différents types de gilets de sauvetage et autres engins de sauvetage, des signaux de détresse visuels (tels les signaux pyrotechniques), ainsi que de l'équipement de sécurité du navire. L'opérateur doit expliquer toutes les mesures de sécurité pertinentes, y compris pour la prévention des incendies et des explosions, et démontrer la manière d'endosser chaque type de gilet de sauvetage qui se trouve à bord. Le cas échéant, l'emplacement de toute embarcation de sauvetage doit être indiqué aux passagers. L'Aventure 6 n'était pas équipé d'une embarcation de sauvetage ni n'était tenu de l'être.

L'enquête a permis de déterminer qu'avant de quitter le quai pour l'excursion, l'opérateur de l'Aventure 6 a donné un exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité. Cet exposé ne comportait pas de démonstration sur la manière d'endosser les gilets de sauvetage. De plus, l'emplacement et l'utilisation de la bouée de sauvetage n'ont pas été expliqués aux passagers, et ces derniers ne savaient pas qu'une bouée de sauvetage se trouvait sur le toit du poste de conduite. L'exposé n'indiquait pas non plus l'emplacement ni l'utilisation des feux pyrotechniques situés sous le siège de l'opérateur.

L'enquête a aussi déterminé que si l'entreprise fournissait à ses opérateurs des lignes directrices sur les exposés avant départ, elles étaient incomplètes et ne précisaient pas tous les renseignements prévus selon les exigences réglementaires. En outre, le contenu de l'exposé avant départ variait d'un navire à l'autre, selon les connaissances de chaque opérateur. L'entreprise n'exerçait aucune surveillance des exposés avant départ donnés par ses opérateurs.

1.10 Commission des transports du Québec

La Commission des transports du Québec (CTQ) est un des tribunaux administratifs de la province. Sa mission consiste à :

accroître le comportement sécuritaire des transporteurs, à favoriser une offre de services de transport qui réponde aux attentes des citoyens et à soutenir l'équité dans l'industrie du transport, le tout dans une perspective de développement durableNote de bas de page 16.

Tous les navires du secteur du transport de passagers au Québec doivent obtenir un permis annuel de la CTQ.

Pour qu'un navire obtienne un premier permis de la CTQ, puis son renouvellement annuel, son propriétaire doit fournir un certificat attestant que le navire est protégé par une police d'assurance responsabilité civile maritime, protection et indemnité, ainsi qu'un document attestant que le navire et son équipage satisfont aux exigences de la réglementation fédérale relatives à l'inspection, à la capacité et à la sécurité des navires et à la compétence de leur équipageNote de bas de page 17.

L'autorité de la CTQ se limite à vérifier la conformité du document reçu d'une personne demandant un permis. Si le document est jugé conforme, la CTQ délivre le permis.

Le Règlement sur le transport maritime de passagers du Québec ne confère pas à la CTQ le pouvoir d'exiger de preuves supplémentaires de conformité réglementaire autrement qu'aux termes des articles 3 et 6.

1.11 Programme de conformité des petits bâtiments

Tout navire à passagers d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux qui transporte au plus 12 passagers, tel l'Aventure 6, est défini comme étant un « petit bâtiment » et est donc assujetti au Règlement sur les petits bâtiments. Même s'il n'est pas obligatoire qu'ils soient inspectés et certifiés par TC, les navires de ce type doivent toujours respecter des exigences réglementairesNote de bas de page 18Note de bas de page 19. Dans le cadre de son plan national de surveillance, TC effectue des inspections axées sur le risque pour les petits navires commerciaux. Dans la région du Québec, de 2012 à 2017, il a effectué 387 inspections axées sur le risque de petits bâtiments commerciaux, y compris 11 inspections dans la zone de l'événement.

Le Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB) est offert aux propriétaires de petits navires commerciaux. Ce programme volontaire de TC a pour objectif d'aider les propriétaires et les exploitants de petits navires à comprendre et à respecter leurs obligations en vertu de la loiNote de bas de page 20. L'inscription des petits bâtiments au PCPB se fait sur une base volontaire; il incombe entièrement au propriétaire du navire ou à son représentant autorisé (RA)Note de bas de page 21 d'assurer sa conformité aux exigences réglementairesNote de bas de page 22.

TC estime qu'environ 852 petits navires commerciaux exploités au Québec sont inscrits au PCPB, soit environ 15 % de la flotte provinciale des petits navires commerciaux. Le propriétaire de l'Aventure 6, qui en était également le RA, avait décidé d'inscrire tous les navires admissibles de sa flotte au PCPB.

Le processus du PCPB est illustré à la figure 4. Pour qu'un navire puisse être inscrit au PCPB, le RA doit fournir le certificat d'immatriculation exigé par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada; ce certificat est obligatoire pour tous les navires autres que les embarcations de plaisanceNote de bas de page 23. Le RA remet ensuite un rapport détailléNote de bas de page 24 au bureau régional de TC. Le rapport peut être rempli avec l'aide de TC ou d'un expert-conseil maritime indépendant, à la demande du RANote de bas de page 25.

Figure 4. Diagramme du processus du Programme de conformité des petits bâtiments en vigueur au moment de l'événement (Source : Transports Canada, TP 13585F, Système de gestion de la Sécurité maritime, Volet II – Procédures : Inscription des bâtiments au programme de conformité des petits bâtiments (PCPB), à https://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/tp-tp13585-procedures-inscription-batiments-3964.htm [dernière consultation le 15 mars 2018])
Diagramme du processus du Programme de conformité des petits bâtiments en vigueur au moment de l'événement

Une fois que TC a examiné la documentation reçue et jugé qu'elle était acceptable sur les plans technique et administratif, le navire est inscrit au PCPB et une lettre de confirmation est envoyée au RANote de bas de page 26. TC délivre également une vignette bleueNote de bas de page 27, que le RA doit placer bien en vue à bord du navire inscrit. L'inscription est valide pour 5 ans; le RA doit envoyer un rapport annuelNote de bas de page 28 à TC pour attester que le navire respecte les exigences réglementaires.

Le 11 mai 2014, le RA de l'Aventure 6 a demandé l'inscription du navire au PCPB.

Le 26 mai 2015, TC a confirmé l'inscription du navire, précisant dans la lettre de confirmation que l'Aventure 6 pouvait transporter un nombre maximal de 14 personnes, dont un maximum de 12 passagers. La lettre indiquait également que les personnes à bord devaient porter des gilets de sauvetage et qu'une copie du document sur la stabilité devait être conservée à bord en tout temps. Elle stipulait en outre que l'opérateur devait posséder un certificat de formation sur les fonctions d'urgence en mer (FUM) A3 « Sécurité de base des petits bâtiments autres que les embarcations de plaisance ».

Au cours du processus d'inscription de l'Aventure 6, TC n'a pas inspecté le navire; son rôle de surveillance s'est limité à la vérification des documents soumis par le RA. TC a délivré la vignette bleue, et le RA l'a apposée à bord. L'inscription de l'Aventure 6 valait jusqu'au 25 mai 2020.

Le rapport détaillé et le rapport annuel de conformité du PCPB exigent tous deux que le RA réponde à des questions sur des points précis relatifs à la sécurité. Dans la documentation qu'il a remise à TC lors de l'inscription au PCPB, le RA de l'Aventure 6 déclarait qu'aucune modification structurelle ou mécanique n'avait été apportée au navire depuis sa construction et que le navire n'avait subi aucun dommage. Les rapports annuels indiquaient de plus que l'entreprise disposait de procédures adéquates pour faire face aux urgences, y compris des procédures pour prévenir l'état de choc dû à l'eau froide et l'hypothermie.

Le RA a coché la case « sans objet » à la question sur l'exigence d'un dispositif de remontée à bordNote de bas de page 29 et à la section demandant de décrire brièvement tout incident ou accident dans lequel le navire aurait été impliqué au cours des 5 dernières années. Le RA a également indiqué que les passagers recevaient un exposé avant départ conformément aux exigences.

L'enquête du BST a établi les faits suivants :

L'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent exerce ses activités dans une région qui relève du bureau de district de TC situé à Québec (Québec). La distance importante qui sépare le parc du bureau de district signifie que TC ne dispose pas de ressources locales dans les environs du parc. Par conséquent, des inspections de navire sans préavis sont menées seulement à la suite d'une plainte ou quand un événement est signalé.

1.12 Brevets, certificats et expérience du personnel

L'opérateur de l'Aventure 6 avait suivi la formation obligatoire sur les compétences des conducteurs de petits bâtiments en juin 2011 et, en juin 2010, celle sur la sécurité des petits bâtiments transportant des passagers (FUM A2). Il avait en outre renouvelé sa formation de secourisme élémentaire en mer en juin 2015 et il détenait le certificat restreint d'opérateur radio VHF réglementaire.

Il avait commencé à travailler dans l'industrie saisonnière des excursions d'observation des mammifères marins dans le secteur du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent en 2009. Il était à l'emploi de Croisières Essipit depuis 2010. Il avait commencé la saison 2016 le 3 juin.

L'opérateur ne détenait pas de certificat médical maritime valide; il n'était pas tenu, en vertu de la réglementation, d'en détenir un. Toutefois, l'employeur requiert que tous les opérateurs de sa flotte soient examinés annuellement par l'infirmière de l'entreprise.

1.13 Parcs Canada et parc marin du Saguenay–Saint-Laurent

1.13.1 Particularités de la navigation

S'étendant depuis le golfe du Saint-Laurent jusque dans l'estuaire, le chenal laurentien est d'une longueur de 1200 km et d'une profondeur de 300 m. Il se termine abruptement au large de Tadoussac (Québec), au haut-fond Prince, dont la profondeur moyenne est de 20 m. Cette particularité topographique fait en sorte que les couches d'eau de mer profondes et intermédiaires, qui sont plus froides, remontent à la surface où elles rencontrent l'air ambiant plus chaud, ce qui crée du brouillard à la surface de l'eau. Il est ainsi fréquent que la visibilité soit réduite à moins de 1 mille marin dans ce secteur.

De plus, l'eau douce relativement chaude qui s'écoule du Saguenay se mélange à l'eau de mer, plus froide, de l'estuaire du Saint-Laurent, ce qui crée de vastes zones où la densité de l'eau varie et entraîne la formation de « barres de courant » ou de « fronts »Note de bas de page 31. Ces barres de courant changent constamment de position sous l'effet des marées montantes et descendantes. Les barres créent des vagues, des contre-courants et des tourbillons qui peuvent être pernicieux et poser des difficultés pour les opérateurs de petits navires. Le secteur entre le haut-fond Prince et le port de Tadoussac, à l'embouchure du Saguenay près des bouées S7 et S8, est reconnu pour ses « très forts clapotis de marée au jusant », qui sont bien documentésNote de bas de page 32.

Toute la région est souvent balayée par de forts vents, et les courants de surface sont variables et peuvent atteindre de 5 à 7 nœuds, selon l'effet des marées. Il arrive fréquemment que les opérateurs de navire de l'industrie locale des excursions d'observation des mammifères marins effectuent des sorties dans des conditions de mer difficiles, avec des vagues pouvant atteindre de 1,5 m à 2,5 m. Les vagues sont réputées encore plus hautes près des barres de courant; de nombreux opérateurs et capitaines expérimentés disent que traverser ces vagues avec un petit navire à passagers est comme « grimper un mur ». La cause le plus souvent évoquée de blessures chez les passagers est généralement l'impact de la coque du navire contre l'eau après le franchissement d'une barre de courant.

1.13.2 Exigences réglementaires

La Loi sur le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et le Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-LaurentNote de bas de page 33 (le Règlement)autorisent Parcs Canada à réglementer toutes les activités à l'intérieur des limites du parc, qu'elles soient commerciales ou non. Il s'agit d'assurer l'utilisation durable de cette région et de ses ressourcesNote de bas de page 34, par exemple par la prévention de collisions entre les mammifères marins et les navires ou par la limitation du nombre de navires se trouvant stationnaires dans une même zone d'observation.

La Direction de l'application de la loi dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent de Parcs Canada emploie 3 gardes de parc et 2 navires pour assurer la conformité aux règlements sur le territoire du parc. Les mesures d'application comprennent l'avertissement, la suspension de permis, l'amende ou la peine d'emprisonnement. Les gardes de parc n'ont pas l'autorité pour faire respecter la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada ou ses règlements; ils ne peuvent pas obliger les utilisateurs du parc marin à se conformer aux règlements sur la sécurité maritime.

Tous les opérateurs sont tenus d'obtenir chaque année une certification sur les activités en mer visant à assurer la connaissance et la compréhension du Règlement.Parcs Canada exige également que tous les opérateurs communiquent et maintiennent une veille radio sur la voie VHF 8 pendant les excursions d'observation des mammifères marins.

Le Règlement impose les exigences suivantes en matière de vitesse, de concentration de navires et de limites de temps pour protéger la faune marine :

Ces dispositions peuvent chevaucher celles du Règlement sur les abordages, mais n'ont pas préséance sur ellesNote de bas de page 39.

L'enquête a révélé que souvent, au sein de l'industrie, les opérateurs de navire ne respectent pas le Règlement sur les abordages lorsqu'ils naviguent dans une zone d'observation de mammifères marins à l'intérieur du parc.

Le 11 août 2017, TC a mis en place une limitation de vitesse temporaire visant les navires de 20 m ou plus, dans le but de prévenir les collisions entre les navires et les baleines noires de l'Atlantique Nord. La vitesse maximale de 10 nœuds a été établie à partir de données collectées par Pêches et Océans Canada et la National Oceanic and Atmospheric Administration du département du Commerce des États-Unis. La limitation de vitesse était mise en application dans l'ouest du golfe du Saint-Laurent, à partir de la rive nord du Québec jusqu'au nord de l'île-du-Prince-Édouard, mais n'était pas applicable dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

Depuis juin 2013, la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent a adopté une limite de vitesse volontaire de 10 nœuds pour tous les navires marchands faisant appel à ses services de mai à octobre dans certaines zones du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et ce, à la demande des autorités du parc.

La vitesse maximale de 10 nœuds a été fixée selon le consensus se dégageant de diverses études scientifiques, dans le but de réduire les risques de collision entre les baleines et les navires dans les eaux où des mammifères marins sont présentsNote de bas de page 40Note de bas de page 41. Selon une des références scientifiques ayant servi de base pour déterminer la vitesse maximale autorisée, [traduction] « un navire qui se déplace à vitesse réduite laisse la possibilité aux baleines d'éviter une collision et à l'opérateur du navire d'éviter les baleinesNote de bas de page 42 ».

1.14 Formation, familiarisation, exercices d'entraînement et entretien

Avant d'embaucher un nouvel opérateur, Croisières Essipit vérifie les certificats du candidat afin de s'assurer qu'ils sont conformes aux exigences réglementairesNote de bas de page 43. Une fois embauché, un opérateur doit suivre le programme de formation et de familiarisation de l'employeur. Ce programme est informel et non documenté, et sa durée varie d'un opérateur à l'autre.

Le programme de formation et de familiarisation aborde les tâches suivantes :

Le nouvel opérateur participe comme observateur en moyenne à 2 ou 3 excursions avec des passagers et un opérateur plus expérimenté. En plus du programme de formation et de familiarisation, un nouvel opérateur doit suivre une formation de Parcs Canada sur les exigences réglementaires particulières du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Après que le nouvel opérateur a participé à quelques excursions en tant qu'observateur et une fois que l'on juge qu'il est prêt, l'opérateur assume la responsabilité d'un navire à passagers sans autre évaluation de ses compétences.

Selon l'article 420 du Règlement sur les petits bâtiments :

Le propriétaire et l'utilisateur d'un bâtiment à passagers veillent :

  1. à ce que des mesures soient établies pour l'utilisation des engins de sauvetage et du matériel de lutte contre l'incendie du bâtiment en cas d'urgence;
  2. à ce que l'équipage effectue des exercices portant sur les mesures pour être capable en tout temps de les exécuterNote de bas de page 44.

L'enquête a toutefois déterminé qu'au moment de l'événement, aucune mesure n'était en place pour faire face aux urgences et que ni l'entreprise ni les opérateurs de ses navires n'effectuaient des exercices de sécurité. La compétence des opérateurs dans l'utilisation du matériel de sauvetage ou de lutte contre l'incendie était variable et dépendait de leur expérience, de leur compétence et de la formation FUM qu'ils avaient reçue.

L'entreprise effectue l'entretien de la flotte sur une base journalière, hebdomadaire et annuelle. Bien que le mécanicien du propriétaire effectue l'entretien régulier des systèmes électriques et mécaniques, il est attendu des opérateurs de navire qu'ils inspectent et entretiennent le matériel de sauvetage et de lutte contre l'incendie. L'entretien était fait de manière informelle et au mieux des connaissances des opérateurs, sans surveillance de l'entreprise. Aucun registre d'entretien n'était tenu par les opérateurs.

1.15 Évaluation des risques et gestion de la sécurité de l'entreprise

L'entreprise n'a pas de système de gestion de la sécurité (SGS) officiel; aucun règlement ne l'y obligeNote de bas de page 45. La plupart des procédures de l'entreprise liées aux opérations maritimes sont non écrites et informelles.

L'entreprise s'appuie sur les exigences du Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent pour déterminer les limites opérationnelles en ce qui a trait à la sécurité de la navigation. En font partie les limites de vitesse ou les distances minimales entre les navires et entre les navires et les mammifères marins. L'entreprise n'a pas effectué d'analyse supplémentaire des risques pour déterminer si ces limites sont sécuritaires ou pour prendre en compte les risques associés à des variables propres au modèle opérationnel, telles que :

En 2011, la société sans but lucratif Alliance Éco-Baleinea été créée. Elle regroupe 4 entreprises de l'industrie (dont l'entreprise en cause dans l'événement à l'étude) ainsi que le Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins, Parcs Canada et Parcs Québec. L'Alliance Éco-Baleine a publié un guide de pratiquesNote de bas de page 46 établissant un code de conduite pour les excursions d'observation de mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, et l'a distribué aux opérateurs de navire à l'emploi de ses entreprises membres. Ce guide de pratiques insiste sur l'obligation qu'ont les opérateurs de respecter scrupuleusement la réglementation du parc marin, mais n'indique pas des exigences en matière de sécurité maritime. Il souligne toutefois l'exigence réglementaire de maintenir une veille radio sur les voies VHF 9 (Services de communication et de trafic maritimes, SCTM) et 16 (détresse).

1.15.1 Modèle opérationnel des petits navires à passagers

L'expérience du passager (expérience client) est au cœur du modèle opérationnel de l'industrie locale d'excursions d'observation des mammifères marins. Tous les navires de cette industrie sont principalement exploités pour l'observation en mer des mammifères marins; les navires à plusieurs ponts, plus gros, peuvent cependant transporter des centaines de passagers et offrent des excursions d'observation plus stables, plus confortables et plus accessibles. Ils sont conçus pour accueillir de grands groupes, les personnes souhaitant davantage de confort et les personnes ayant des problèmes de mobilité.

Les excursions d'observation à bord des navires plus petits ciblent une clientèle qui recherche l'expérience plus intense et excitante que procurent la présence rapprochée des mammifères marins et un contact plus direct avec les éléments extérieurs (vagues, vent, franc-bord réduit).

1.15.2 Évaluation des conditions météorologiques

Il incombe à chaque opérateur d'évaluer les conditions météorologiques et l'état de la mer pour déterminer si une excursion d'observation des mammifères marins peut se faire sans danger. L'entreprise n'a pas établi de directives claires ou de limites opérationnelles basées sur les conditions météorologiques ou l'état de la mer, telles que la visibilité, la force du vent ou la hauteur des vagues. Elle ne fait non plus aucune évaluation des conditions météorologiques. Il revient à l'opérateur de déterminer si la sortie en mer est sécuritaire et d'annuler une excursion au besoin.

1.15.3 Pratiques dangereuses

En vertu des exigences réglementairesNote de bas de page 47, les navires d'une jauge brute d'au plus 5 tonneaux qui sont autorisés à transporter plus de 12 passagers doivent avoir à leur bord des engins de sauvetage supplémentaires comme un radeau de sauvetage gonflable approuvé et une bouée de sauvetage additionnelle. Les navires transportant plus de 12 passagers doivent également se conformer à des exigences supplémentaires de TC touchant à la stabilité du navire et à l'effectif minimal de sécurité; ils doivent aussi se soumettre à des inspections générales (annuelles) et à des inspections spéciales (tous les 5 ans).

Les petits navires à passagers sont approuvés par TC pour le transport d'au plus 12 passagers et 2 membres d'équipage. En vertu des exigences réglementairesNote de bas de page 48, un employé à terre consigne dans un registre le nombre de passagers et leurs noms avant l'embarquement pour chaque excursion d'observation de mammifères marins. Les opérateurs de navire doivent aussi remplir un journal de bord après chaque excursion. En raison de leur charge de travail élevée au cours de la journée, la plupart des opérateurs remplissent le journal de bord à la fin de la journée.

Même si l'Aventure 6 et ses navires jumeaux ont été conçus par le fabricant pour le transport de 28 personnes, le propriétaire a limité à 12 passagers leur capacité maximale afin de se conformer auRèglement sur les petits bâtiments et de participer au PCPB.

L'enquête du BST a relevé les pratiques dangereuses suivantes de l'entreprise :

L'enquête a également déterminé que TC a contrôlé 3 entreprises de l'industrie locale qui avaient ordonné à des navires de leur flotte de tenir des excursions d'observation de mammifères marins avec des passagers dans des conditions météorologiques difficiles le 11 septembre 2016Note de bas de page 49. À la suite de cette vérification, TC a imposé des sanctions administratives pécuniairesNote de bas de page 50.

1.16 Charge de travail de l'opérateur

1.16.1 Historique de travail et de repos de l'opérateur

Le jour de l'événement, l'opérateur du navire a commencé son quart de travail à 8 h 00. Au moment de l'événement (12 h 23), il effectuait sa 2e excursion de la journée et était en service depuis un peu plus de 4 heures.

L'événement est survenu au 3e jour de l'horaire de 6 jours de travail de l'opérateur. Après 3 jours de congé, l'opérateur avait commencé son cycle de travail le 27 août. L'opérateur avait eu en moyenne 8 heures de sommeil de qualité par nuit avant l'événement et n'avait pas reçu de diagnostic relatif à un problème médical qui aurait pu nuire à sa capacité d'avoir un sommeil de qualité.

L'enquête a établi que l'opérateur n'était pas sous l'effet de la fatigue au moment de l'événement.

1.16.2 Tâches opérationnelles

La responsabilité principale d'un opérateur est d'assurer l'exploitation et la navigation sécuritaires du navire ainsi que la sécurité des passagers. Un opérateur au sein de l'industrie de l'observation des mammifères marins doit à la fois piloter le navire, communiquer par radio VHFNote de bas de page 51 et servir de guide naturaliste s'il est le seul membre d'équipage.

En tant que guide naturaliste, l'opérateur de l'Aventure 6 effectuait diverses tâches, y compris fournir de l'information sur l'histoire du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, ses diverses caractéristiques et ses mammifères marins, en plus de repérer et d'identifier la faune marine pour permettre aux passagers de l'observer. L'opérateur donnait également des explications verbales sur des éléments naturels ou culturels d'intérêt du parc, tels des falaises et des phares. La construction du poste de conduite fait en sorte que l'opérateur doit faire un pas de côté pour arriver à se faire entendre des passagers en dépit du bruit des moteurs et du vent, en particulier lorsque le navire fait route.

1.16.3 Repérage des mammifères marins

Les mammifères marins tels les phoques, les baleines, les dauphins et les marsouins sont habituellement repérés en balayant la surface de l'eau du regard pour chercher le croissant foncé de leur dos émerger avant qu'ils ne replongent, leur nageoire dorsale lorsqu'ils font surface, leur jet ou souffle ou, à l'occasion, leur queue. Repérer des baleines est une tâche complexe même lorsque les conditions de visibilité sont excellentes (c.-à-d., mer calme et ciel dégagé), car ces animaux passent le plus clair de leur temps sous l'eau et replongent si rapidement lorsqu'ils font surface pour respirer qu'il est difficile de les voir clairement. Dans de bonnes conditions de visibilité, un opérateur se trouvant au poste de conduite peut généralement repérer une baleine qui ferait surface à 10 m ou plus.

Apercevoir une baleine en surface ou juste sous la surface requiert énormément d'attention et de concentration de la part de l'opérateur : les baleines sont particulièrement difficiles à voir en raison du faible contraste entre l'eau et l'animal, ainsi que des reflets du soleil sur l'eau. La visibilité est encore moindre dans de mauvaises conditions météorologiques comme la pluie, le brouillard ou l'eau agitée.

Les réactions verbales et non verbales des passagers peuvent signaler la présence d'une baleine à l'opérateur. Il arrive que des passagers repèrent la présence d'un mammifère marin avant l'opérateur, et peuvent indiquer la position estimée de l'animal soit verbalement, soit non verbalement par des gestes ou des expressions faciales.

Dans l'événement à l'étude, un passager a aperçu une baleine ayant fait surface à environ 100 m directement à l'avant de l'Aventure 6 et croisant la route du navire de bâbord à tribord. Ce passager était assis à l'avant tribord et faisait face vers l'avant. Un autre passager, qui était assis à tribord près de l'arrière et faisait face vers tribord, a vu un souffle de baleine à une certaine distance. Aucun des deux n'a signalé ce qu'il avait vu à l'opérateur. L'opérateur n'a pas vu de baleine ni aucun autre mammifère marin avant ou après l'impact.

1.16.4 Centre de l'attention pendant la navigation

Le BST a procédé à une analyse des tâches visuelles et non visuelles reliées aux activités d'observation des mammifères marins. Lorsqu'il est le seul membre d'équipage à bord lors d'une excursion d'observation, l'opérateur d'un navire à passagers doit diviser son attention entre la navigation sécuritaire du navire (par exemple, le maintien de la vitesse et du cap, et la surveillance de l'équipement de navigation et de communication) et le balayage visuel de la surface de l'eau pour repérer des mammifères marins ou des obstacles, en plus de veiller au bien-être des passagers.

L'attention est nécessaire pour percevoir les éléments de l'environnement et ajuster les actions en conséquenceNote de bas de page 52. À mesure que la vitesse du navire augmente, l'opérateur doit augmenter la cadence avec laquelle il balaie du regard la surface de l'eau, les passagers et les instruments du navire, ce qui diminue l'attention qu'il peut porter à chacune des tâches en particulier. L'opérateur doit de plus rechercher, détecter et reconnaître les points de repère environnants (visuellement ou à l'aide du radar, du GPS, du radiotéléphone ou du compas) tandis que le navire fait route. L'opérateur doit également maintenir une veille radio, ce qui requiert une attention auditive en tout temps. En s'occupant à la fois de conduire le navire, de divertir les passagers et de chercher à localiser des mammifères marins, l'opérateur est exposé à un bruit radio qui peut être source de distraction.

Les tâches de l'opérateur nécessaires pour assurer adéquatement la sécurité des passagers sont les suivantes :

1.17 Survie en eau froide

Si une personne est immergée dans l'eau sans protection et pour une période prolongée à une température inférieure au corps humain, la température de son corps chutera à mesure que sa chaleur se transmettra à l'eau. Le tableau 2 présente une classification des degrés de perte de chaleur et les symptômes qui y sont associésNote de bas de page 53.

Tableau 2. Classification de l'hypothermie (Source : G. G. Giesbrecht et A. M. Steinman, « Immersion into cold water », dans : P. S. Auerbach [dir.], Wilderness Medicine, 6e édition [Philadelphia [Pennsylvanie], Elsevier, 2012], p. 143 à 170)
Classification Température centrale Capacité du patient de se réchauffer sans source de chaleur externe Symptômes cliniques
Normale Plus de 35 °C
(95 °F)
S/O Sensation de froid, grelottement
Légère 35 à 32 °C
(95 à 90 °F)
Bonne
  • Dégradation des facultés physiques (motricité fine; motricité globale)
  • Dégradation des facultés mentales (complexes; simples)
Modérée 32 à 28 °C
(90 à 82 °F)
Limitée Sous les 30 °C (86 °F), le grelottement cesse; perte de conscience
Grave Moins de 28 °C
(82 °F)
Aucune Rigidité
Signes vitaux réduits ou absents; grand risque de fibrillation ventriculaire stimulée mécaniquement (manipulation brusque)
Moins de 25 °C
(77 °F)
Aucune Fibrillation ventriculaire spontanée; arrêt cardiaque

Bien que l'eau soit généralement considérée comme étant froide lorsque sa température est inférieure à 15 °CNote de bas de page 54Note de bas de page 55Note de bas de page 56, une perte de chaleur corporelle peut se produire même lorsque la température de l'eau atteint 25 °CNote de bas de page 57Note de bas de page 58, dans des cas d'immersion prolongée.

L'immersion dans l'eau froide provoque une réaction physiologique en 4 stadesNote de bas de page 59. Le stade 1, l'état de choc dû à l'eau froide, commence dès l'entrée dans l'eau froide et peut durer jusqu'à 2 minutes. L'état de choc dû à l'eau froide altère la respiration, ce qui cause habituellement un réflexe de recherche du souffle suivi d'hyperventilation, accompagné d'une augmentation marquée du rythme cardiaque et de la pression artérielle.

Le stade 2, la perte de motricité due au froid, apparaît au cours des 5 à 30 premières minutes d'une immersion continue. À cette étape, la personne commence à perdre la capacité de nager. Les petits muscles des mains peuvent être les premiers affectés, ce qui réduit la capacité à s'agripper à un dispositif de flottaison, en aussi peu que 10 à 15 minutes. Les membres se refroidissent, les muscles et les articulations se rigidifient, ce qui rend les mouvements de nage progressivement inefficaces. Même les bons nageurs peuvent succomber à la perte de motricité due au froid. On observe également une détérioration des capacités cognitives.

Le stade 3, l'hypothermie, s'installe après environ 30 minutes d'immersion. L'hypothermie se caractérise par la réduction de la circulation sanguine dans les mains, les pieds et à la surface de la peau, ainsi qu'un tremblement intense qui disparaît progressivement; elle peut entraîner une perte de conscience et une insuffisance cardiaque. Comme la personne dans l'eau peut rapidement voir ses capacités se dégrader dans les stades 1 et 2, le seul moyen qui permette de prolonger sa survie est de faire en sorte qu'elle porte un dispositif de flottaison avant l'immersion en eau froide.

Un 4e stade, l'effondrement post-sauvetage, peut survenir lorsque l'on retire la personne immergée hors de l'eau; le corps subit alors une perte de pression hydrostatique, et la réduction soudaine de la pression artérielle qui en résulte peut causer une insuffisance cardiaque ou cérébrale. Le sang se remet à circuler librement à mesure que le corps se réchauffe, ce qui peut provoquer une hémorragie fatale s'il y a des blessures internes ou externes.

Puisque le transfert de chaleur est beaucoup plus rapide lorsque la température de l'eau est inférieure à 15 °C, les réactions corporelles peuvent être très graves au cours des stades 1 et 2. Le décès peut survenir très rapidement si la personne immergée ne porte pas un dispositif de flottaison pour maintenir sa tête hors de l'eau. Cependant, si par exemple la victime perd conscience en raison de l'hypothermie, un dispositif de flottaison qui garderait sa tête et sa bouche hors de l'eau pourrait prolonger d'une heure le temps de survieNote de bas de page 60.

Un événement catastrophique peut provoquer diverses réactions. Une personne peut demeurer calme et rationnelle, ou se mettre à hurler de manière incontrôlée ou encore être paralysée par l'angoisse. La plupart des gens sont sous le choc et désorientés. Les réponses physiologiques provoquées par ces états psychologiques comprennent l'accélération du rythme cardiaque, les tremblements, la faiblesse générale et les nausées. Les effets de l'immersion en eau froide, et en particulier l'hyperventilation qui survient au stade 1, peuvent être amplifiés par les réactions émotionnelles de la victime. Si elle est importante, l'hyperventilation peut causer un engourdissement, affaiblir davantage les muscles et entraîner la perte de conscience, ce qui augmente la panique et les risques d'ingestion d'eau et de noyade.

Au moment de l'événement, la température de l'eau de mer était d'environ 6 °C. L'opérateur et le passager qui sont passés par-dessus bord de l'Aventure 6 se sont rapidement trouvés physiquement incapables de rejoindre le navire à la nage ou de remonter à bord une fois qu'il avait été amené près d'eux. Ils sont restés 7 minutes dans l'eau et ont passé 14 minutes dans leurs vêtements mouillés, exposés à des vents de 25 km/h alors que le navire rentrait au quai, avant de recevoir des soins des premiers répondants. L'opérateur et le passager ont tous deux ont été traités pour hypothermie.

1.17.1 Équipement de protection personnelle de l'opérateur et des passagers

L'opérateur et les passagers de l'Aventure 6 portaient des vêtements de flottaison pour les protéger face à un environnement hostile et en cas d'urgence. L'opérateur était vêtu d'une combinaison flottante Helly Hansen (figure 5), et tous les passagers portaient un manteau de flottaison Mustang, classé comme un vêtement de protection contre les éléments marins, et un pantalon imperméable ordinaire (non flottant, non isolé) (figure 6).

Figure 5. Combinaison de flottaison Helly Hansen portée par l'opérateur du navire
Combinaison de flottaison Helly Hansen portée par l'opérateur du navire
 
Figure 6. Manteau de flottaison Mustang et pantalon imperméable jaune portés par les passagers
Manteau de flottaison Mustang et pantalon imperméable jaune portés par les passagers

Les combinaisons et les manteaux de flottaison et de protection sont conçus pour protéger une personne immergée en réduisant le choc thermique au contact de l'eau froide, en retardant l'apparition de l'hypothermie et en assurant la flottabilité pour minimiser les risques de noyade. Ils isolent thermiquement le corps en laissant pénétrer une petite quantité d'eau qui est ensuite chauffée par le corps. S'ils sont de taille appropriée et correctement endossés, les vêtements de flottaison d'un modèle ajusté préviennent les pertes de chaleur excessive, puisque l'eau qui y pénètre ne peut s'en échapper et être remplacée par de l'eau froide.

Toutefois, ces vêtements n'offrent pas une protection très efficace contre le froid, et ce, pour deux raisons : l'utilisateur est quand même exposé à une certaine quantité d'eau, et la capacité isolante est moindre que celle d'un vêtement étanche car l'eau qui y pénètre absorbe de la chaleur du corps.

Les vêtements de flottaison portés par les 2 personnes passées par-dessus bord ont maintenu leur tête et leur bouche hors de l'eau, et ainsi limité l'ingestion d'eauNote de bas de page 61.

Les entreprises d'excursions d'observation de mammifères marins qui exercent leurs activités dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent n'ont pas convenu d'une approche harmonisée en ce qui concerne les risques d'exposition à l'eau froide encourus par les passagers et les équipages dans le fleuve Saint-Laurent et son estuaire. Les vêtements de protection fournis aux passagers par les entreprises sont plus ou moins adéquats selon le cas. Certaines entreprises fournissent des vêtements imperméables ordinaires non flottants et sans isolation thermique, et certaines, des vêtements d'hiver non flottants. D'autres mettent à la disposition des passagers des combinaisons de flottaison et de protection contre les éléments, ou encore des manteaux de flottaison et de protection contre les éléments combinés à des pantalons imperméables.

1.18 Chute par-dessus bord

Au Canada, les chutes par-dessus bord représentent l'une des causes de mortalité les plus fréquentes dans l'industrie maritimeNote de bas de page 62. Divers dispositifs facilitant la récupération d'une personne passée par-dessus bord sont disponibles sur le marché, tels que :

En plus de ces dispositifs, certains pêcheurs ont mis au point leurs propres dispositifs pour récupérer une personne tombée par-dessus bord, comme un filet fixé sous un anneau flottant.

Il n'y avait pas de dispositif de remontée à bord sur l'Aventure 6, même si la réglementation l'exigeaitNote de bas de page 63.

1.19 Déclaration des événements maritimes

En vertu des exigences réglementaires, doivent être déclarés au BST les événements maritimes tels que lorsqu'un navire talonne le fond de façon imprévueNote de bas de page 64, que ses appareils de navigationNote de bas de page 65 ou sa machine principaleNote de bas de page 66 font l'objet d'une défaillance totale, ou qu'il est impliqué dans une collisionNote de bas de page 67, y compris une collision avec un mammifère marinNote de bas de page 68. Le Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-LaurentNote de bas de page 69 requiert également que l'opérateur d'un navire qui entre en collision avec un mammifère marin signale l'événement à un garde de parc ou à un agent de l'autorité. En outre, les collisions ou les abordages en mer doivent être déclarés aux SCTMNote de bas de page 70. Tout événement dangereux ou accident survenant à bord d'un navire se trouvant en eaux canadiennes doit être déclaré à TCNote de bas de page 71.

Selon les statistiques et les registres de Parcs Canada, 50 collisions ont été déclarées dans les limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent de 1992 à 2016. Ces collisions impliquaient diverses espèces de mammifères marins et des navires engagés dans des activités commerciales (navires marchands ou d'excursions d'observation). Seize de ces collisions sont survenues entre 2006 et 2016.

La liste ci-dessous présente des exemples de collisions survenues de 1992 à 2016, dans lesquelles étaient impliqués des navires d'excursions d'observation de mammifères marins, dans des circonstances semblables à celles de l'événement à l'étude, ne se limitant pas à l'entreprise en cause dans l'événement à l'étude :

À l'exception de l'événement impliquant l'Aventure 6, aucun des 50 événements connus survenus depuis 1992 n'a été déclaré au BST.

L'entreprise propriétaire de l'Aventure 6 n'a pas établi de politique interne ou de consignes permanentes exigeant que ses employés déclarent un événement maritime aux autorités compétentes.

L'enquête a établi qu'au mois d'août 2016, 4 événements maritimes devant être déclarés se sont produits. Tous ces événements impliquaient une autre entreprise de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le parc du Saguenay–Saint-Laurent. Aucun de ces 4 événements n'a été signalé aux autorités compétentes. Les navires impliqués n'ont pas fait d'appel à l'aide à la GCC ni envoyé un appel de détresse sur les fréquences radio appropriéesNote de bas de page 72. Les 4 événements sont les suivants :

La politique figurant dans le manuel de formation de l'entreprise propriétaire des navires impliqués dans ces événements indique que la seule exigence en matière de déclaration d'accidents impliquant des membres d'équipage ou des passagers est de signaler l'événement à l'entreprise elle-même, sur la fréquence radio VHF interne. Tel que stipulé dans le manuel, cette politique a pour objectif de recueillir des renseignements à propos de l'incident et de protéger l'entreprise contre toute poursuite en responsabilité civile qui pourrait être déposée par un passager. Dans son « guide sur les exigences », cette entreprise stipule que les exigences en matière de déclaration d'accident ne s'appliquent qu'aux blessures de passagers. L'enquête du BST a établi que cette directive n'est pas respectée systématiquement.

Le même manuel de formation ne mentionne aucune des exigences de déclaration prévues par la législation ou la réglementation fédéralesNote de bas de page 74.

La GCC a établi un protocole pour la communication avec toutes les parties concernées par un événement maritime au moyen de son Réseau d'avertissement et d'alerte. Une fois qu'événement a été déclaré au régulateur du trafic maritime local des SCTM, les exigences réglementaires en matière de déclaration d'événements maritimes sont remplies.

Dans ses lignes directrices, l'Alliance Éco-BaleinesNote de bas de page 75 indique qu'un « capitaine » qui est témoin d'une situation dangereuse doit la signaler aux SCTM des Escoumins par la voie VHF 9, ce qui rejoint l'exigence réglementaire. Les lignes directrices expliquent que ce signalement facilite la coordination des missions de recherche et sauvetage et fournit des renseignements précieux sur les événements maritimes pour aider à régler les problèmes avec les intervenants pertinents. La présente enquête a déterminé que certains opérateurs de navire ne suivent pas ces lignes directrices.

1.20 Examen du navire après l'événement

Le BST a effectué un examen de l'Aventure 6 à la suite de l'événement et a aussi inspecté d'autres navires de la flotte de l'entreprise.

Sur tous ses navires de taille et de conception semblables de la flotte, le dispositif d'arrimage de la bouée de sauvetage faisait en sorte qu'il fallait d'abord retirer les attaches autobloquantes en nylon et les cordelettes en fibres synthétiques retenant la bouée à son support avant de pouvoir l'utiliser. Ni les attaches autobloquantes ni les cordelettes ne pouvaient être détachées facilement à la main et devaient plutôt être coupées. Or, aucun outil à cet effet ne se trouvait à portée de la main près du support de bouée.

De plus, tous les navires examinés avaient reçu un numéro d'identification du service mobile maritime d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada, mais aucun de leurs radiotéléphones VHF inspectés n'était configuré pour permettre à l'opérateur de se servir de la fonction ASN en cas d'urgence, même si tous les appareils étaient dotés d'une capacité ASNNote de bas de page 76.

Il était de pratique courante pour les opérateurs de navire à passagers de ne pas utiliser le cordon de sécurité coupe-moteur. Sur tous les navires examinés, le cordon coupe-moteur était enroulé fermement et de manière permanente autour de la roue de gouvernail, des leviers de commande de propulsion et des clés de contact.

1.21 Événements antérieurs

De 2006 à 2016, au Canada, 61 collisions entre 2 navires ou plus, et 26 heurts entre des navires et des objets flottants ou submergés ont été déclarés au BST pour l'ensemble de l'industrie maritime. Ont aussi été déclarés au BST 127 événements où des personnes sont passées par-dessus bord et 76 événements dans lesquels des personnes ont subi des blessures graves. Au cours de la même période, 28 personnes (membres d'équipage ou passagers) ont été blessés mortellement. La majorité de ces décès (89,3 %) sont survenus à la suite d'une chute par-dessus bord ou d'une immersion prolongée dans l'eau (hypothermie et noyade).

Toujours de 2006 à 2016, 8 événements maritimes survenus au cours d'excursions d'observation de mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ont été déclarés au BST (annexe B).

De plus, au cours de la même période, le BST a également été avisé de 9 incidents de situations très rapprochées entre des navires marchands et des navires à passagers effectuant des excursions d'observation de mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

Plusieurs enquêtes maritimes du BST ont souligné les risques que pose l'absence de programme efficace de surveillance réglementaire comprenant l'inspection, de préparation aux urgences, de surveillance des risques et de gestion de la sécurité.

L'enquête maritime du BST sur l'inondation du chaland autopropulsé Lasqueti Daughters survenue le 14 mars 2015 alors qu'il transportait des passagers et des véhicules moteurs, a établi que

si des inspections complètes ou obligatoires ne sont pas effectuées, des parties cruciales d'un navire peuvent être ignorées, et l'information à la disposition des capitaines et des propriétaires concernant l'état et la sécurité de leurs navires peut être incomplète, ce qui augmente le risque d'accidentNote de bas de page 77.

Les enquêtes maritimes du BST sur les chutes par-dessus bord de membres d'équipage et les pertes de vie subséquentes sur les bateaux de pêche Four Ladies 2003, le 9 mars 2015Note de bas de page 78, et Cock-a-Wit Lady, le 30 novembre 2015Note de bas de page 79, ont établi l'existence d'un risque commun. Lorsque l'équipage n'évalue pas soigneusement le degré de préparation aux situations d'urgence du navire et n'organise pas des simulations lui permettant de s'exercer aux mesures d'urgence et de cerner des lacunes, par exemple dans une situation de personne par-dessus bord, il risque de ne pas pouvoir réagir efficacement en cas d'urgence.

L'enquête sur l'événement maritime du Cock-a-Wit Lady a de plus permis d'établir qu'en l'absence d'un système de gestion des risques à bord, l'équipage d'un navire pourrait ne pas être en mesure d'atténuer les dangers de manière efficace.

Les enquêtes sur le feu survenu dans le compartiment moteur du navire à passagers La Relève II (11 août 2014)Note de bas de page 80 et sur le heurt du remorqueur Vachon contre un brise-lames (12 septembre 2014)Note de bas de page 81 ont déterminé que si les opérateurs de navire ne peuvent pas s'appuyer sur un processus structuré de gestion de la sécurité, il y a un risque que des dangers passent inaperçus et ne soient pas atténués efficacement.

1.22 Recommandation en suspens

Le BST a récemment mené une enquête sur un événement impliquant le navire Leviathan IINote de bas de page 82 utilisé pour les excursions d'observation des baleines, qui a chaviré au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique et entraîné le décès de 6 personnes. Le rapport de l'enquête sur cet événement a permis de cerner un problème de sécurité semblable à celui soulevé dans le cas de l'Aventure 6 en ce qui a trait aux lacunes dans le repérage et l'atténuation des risques liés aux activités de la part des exploitants de navires à passagers commerciaux. À la suite de l'événement mettant en cause le Leviathan II, le Bureau a recommandé que

le ministère des Transports exige que les exploitants des navires à passagers commerciaux adoptent des processus explicites de gestion des risques et qu'il élabore des lignes directrices exhaustives pour aider les exploitants de navires et les inspecteurs de Transports Canada à mettre en œuvre et à surveiller ces processus.
Recommandation M17-02 du BST

Transports Canada a donné son accord de principe à la recommandation M17-02 et a indiqué que des recherches et des analyses plus poussées étaient nécessaires pour déterminer si l'élaboration de lignes directrices exhaustives serait un moyen efficace de complémenter les exigences actuelles. Dans sa réponse, TC a soutenu que la façon la plus efficace de faire face à ce problème de sécurité était encore de se rapporter aux dispositions de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et aux programmes de conformité de TC. Selon TC, les indications sur les SGS présentées dans son site Web abordent les éléments nécessaires à la mise au point d'un SGS, et le fait d'insister davantage sur l'article 106Note de bas de page 83 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada auprès des opérateurs de petits navires à passagers serait un moyen de promouvoir les SGS et d'améliorer la sécurité des capitaines et des membres d'équipage.

Pour donner suite à la deuxième partie de la recommandation, TC a proposé d'adapter la liste de vérification de la campagne d'inspection concentrée de 2014-2015 visant les navires canadiens transportant moins de 50 passagers, notamment par l'examen approfondi de la conformité à l'alinéa 106(l)b) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Cette approche permettrait également de mieux orienter les exploitants de petits navires à passagers, de promouvoir les SGS, et, ultimement, d'accroître la sensibilisation des capitaines et des membres d'équipage à la sécurité et à la sûreté.

La réponse de TC à la recommandation est en cours d'évaluation par le BST.

1.23 Liste de surveillance du BST

La surveillance et la gestion de la sécurité resteront sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • Transports Canada mette en œuvre des règlements obligeant tous les exploitants des secteurs du transport commercial aérien et maritime à adopter des processus structurés de gestion de la sécurité et supervise efficacement ces processus;
  • les entreprises de transport qui possèdent un système de gestion de la sécurité démontrent qu'il fonctionne bien, c'est-à-dire que les risques sont décelés et que des mesures de réduction des risques efficaces sont mises en œuvre;
  • Transports Canada intervienne lorsque des entreprises de transport ne peuvent pas assurer efficacement la gestion de la sécurité, et le fasse de façon à corriger les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La gestion de la sécurité et la surveillance figurent sur la Liste de surveillance 2016. Comme l'événement à l'étude l'a démontré, certaines entreprises estiment que le niveau de sécurité est adéquat pourvu qu'elles respectent les exigences réglementaires minimales; toutefois, les règlements ne peuvent pas prévoir et prendre en compte tous les risques propres à une activité ou une industrie en particulier. C'est la raison pour laquelle le BST a maintes fois souligné les avantages d'avoir en place un SGS, qui est un cadre reconnu à l'échelle internationale permettant aux entreprises de gérer efficacement les risques et de rendre leurs activités plus sécuritaires.

En outre, de nombreuses enquêtes récentes ont conclu que des entreprises n'avaient pas géré les risques de manière efficace, soit parce qu'elles n'étaient pas tenues d'avoir un SGS, soit parce que leur SGS n'était pas mis en œuvre efficacement. Le passage à un régime de SGS doit s'accompagner d'une surveillance réglementaire appropriée. Comme les organismes de réglementation rencontreront des entreprises manifestant différents degrés de capacité ou d'engagement en matière de gestion efficace des risques, cette surveillance doit être équilibrée : elle doit inclure la vérification proactive des processus de gestion de la sécurité, une formation pratique et théorique continue et des inspections conventionnelles permettant d'assurer la conformité à la réglementation en vigueur.

2.0 Analyse

Cette partie analyse les lacunes que l'enquête a relevées dans les programmes de formation et de familiarisation de l'entreprise propriétaire de l'Aventure 6 ainsi que l'évaluation inadéquate des capacités des opérateurs. Seront aussi analysés l'absence d'un système structuré d'évaluation des risques et, de manière plus générale, le manque de gestion de la sécurité dans l'exploitation de l'Aventure 6. Le Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB), géré par Transports Canada (TC), sera aussi examiné.

2.1 Facteurs ayant mené à la collision

L'Aventure 6 est entré en collision avec un objet non identifié, qui était peut-être une baleine, en faisant route dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent dans le cadre d'une excursion d'observation de mammifères marins.

L'opérateur a piloté le navire d'une zone d'observation à une autre à la vitesse maximale autorisée par la réglementation. Il a quitté la zone d'observation de rorquals bleus à une vitesse de 11,88 nœuds (plutôt qu'au maximum autorisé de 10 nœuds). Lorsque le navire s'est trouvé à 0,8 mille marin du navire le plus près, l'opérateur a commencé à accélérer pour atteindre 25 nœuds, croyant qu'il se conformait aux limites réglementaires du parc marin en ce qui concerne la vitesse de navigation selon la distance par rapport à d'autres navires d'observation de la faune marine. Parcs Canada demande aux opérateurs de respecter une distance minimale de 1 mille marin de rayon même si le règlement n'exige que 0,5 mille marin.

L'opérateur était absorbé par les tâches de navigation, se rendant le plus rapidement possible entre les sites d'observation afin de respecter le temps alloué à l'excursion, tout en respectant les limitations de vitesse dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Par conséquent, l'opérateur portait surtout son attention visuelle sur les instruments de la console de navigation.

L'attention visuelle requise pour surveiller la vitesse et la position du navire aurait monopolisé la majeure partie des ressources attentionnelles de l'opérateur, diminuant l'attention qu'il pouvait consacrer au repérage des dangers possibles à la navigation. Il devait évaluer la position du navire le plus près à l'aide du radar, vérifier sa propre vitesse sur l'écran du GPS et veiller sur le régime des moteurs en tenant l'œil sur les tachymètres et en ajustant manuellement les deux leviers de commande de propulsion. Il ne pouvait donc pas se concentrer sur ce qui se passait devant le navire. Il tenait pour acquis que toutes les baleines à proximité étaient derrière lui, dans la zone d'observation qu'il venait de quitter, et non dans les parages immédiats du navire.

Bien que certains passagers aient aperçu une baleine faire surface à l'avant du navire juste avant la collision, l'opérateur ne l'a pas aperçue.

Comme la vitesse du navire était de 21,6 nœuds au moment de la collision avec l'objet, l'opérateur et plusieurs passagers ont subi des blessures; en outre, l'opérateur et 1 passager ont été projetés par-dessus bord. Même si le cordon coupe-moteur n'était pas attaché à l'opérateur et ne pouvait donc pas remplir sa fonction, les deux moteurs se sont arrêtés automatiquement grâce à une protection de sécurité intégrée qui coupe l'allumage si les pieds des moteurs subissent un impact à haute vitesse.

N'étant pas familiarisés avec l'utilisation et le fonctionnement du matériel du navire, les passagers à bord n'ont pas pu envoyer un appel de détresse, redémarrer immédiatement la propulsion, utiliser les signaux pyrotechniques, ni lancer la bouée de sauvetage. Les passagers ont appuyé sur le bouton de détresse rouge du poste radio VHF, sans obtenir de réponse puisque la fonction ASN, bien qu'installée, n'avait pas été configurée. Un passager a réussi, après quelques tentatives, à redémarrer 1 des moteurs et à manœuvrer le navire vers les 2 personnes à la mer.

Celles-ci étaient dans l'eau depuis 7 minutes. Les vêtements de flottaison dont elles étaient vêtues ont permis de garder leur tête et leur bouche hors de l'eau, ce qui a limité l'ingestion d'eau. Elles étaient toutefois sous le coup d'une perte de motricité provoquée par le froid.

Le navire n'était pas équipé d'un dispositif de récupération de personne à la mer adéquat, et il a fallu plusieurs tentatives pour réussir à hisser les personnes à bord; ces manœuvres ont causé des blessures supplémentaires à l'une d'elles. Les vêtements de flottaison qu'elles portaient faisaient que les passagers n'arrivaient pas à les agripper, faute de courroies ou de ganses comme en comportent des gilets de sauvetage, qui facilitent la récupération.

2.2 Compétence des opérateurs

La compétence de l'opérateur dans l'utilisation et l'entretien de l'équipement essentiel, tel que les instruments de navigation et l'équipement de sauvetage ou de lutte contre l'incendie, joue un rôle clé dans la sécurité des passagers, du navire et de l'équipage. Ceci est d'autant plus important que la majorité des passagers n'ont pas nécessairement d'expérience de navigation et ne seraient pas nécessairement en mesure de manœuvrer le navire ou d'utiliser son équipement en cas d'urgence.

Les nouveaux opérateurs à l'emploi de l'entreprise propriétaire de l'Aventure 6 doivent détenir les certificats requis de TC. L'entreprise juge toutefois que ces certificats et l'expérience préalable des opérateurs constituent des preuves suffisantes de compétence et elle n'assure aucune autre supervision ni ne fournit aucun programme de formation pour ses employés. Après la période de formation et de familiarisation informelles qui est prévue pour les nouveaux opérateurs et dont la durée est variable et peut se limiter à un seul jour, l'entreprise ne s'assure pas qu'ils ont atteint le niveau de compétence minimal requis ni n'effectue d'autre vérification de compétence avant de leur confier la responsabilité de transporter des passagers pour des excursions en mer. Ce manque de supervision crée un environnement de travail non normalisé dans lequel évoluent des opérateurs possédant différents niveaux de capacité et de compétence.

Même si l'entreprise n'avait pas établi de mesures d'urgence écrites et officielles à l'intention de son personnel, l'enquête a constaté que des mesures informelles étaient en place, mais qu'elles n'étaient pas suivies de la même façon par tous les opérateurs. Les mesures d'urgence sont pourtant déterminantes pour la gestion de la sécurité des passagers et pour répondre adéquatement à des situations d'urgence telles qu'incendies, voies d'eau, abandon du navire, personnes à la mer ou blessures. Par conséquent, certains opérateurs de l'entreprise n'avaient peut-être pas la compétence voulue pour prendre les mesures de sécurité comme l'exige le Règlement sur les petits bâtiments.

L'enquête a aussi établi que, même s'il ne s'agit pas d'un facteur dans l'événement à l'étude, l'entreprise n'exigeait pas de ses opérateurs qu'ils tiennent régulièrement des exercices de sécurité. L'enquête a déterminé que la plupart des opérateurs passaient les 5 mois de la saison d'excursions d'observation de mammifères marins sans tenir d'exercice de sécurité tel qu'un exercice d'incendie, d'évacuation ou de personne à la mer.

Si une entreprise de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins se fie uniquement aux exigences réglementaires minimales et n'évalue pas convenablement les compétences des opérateurs de ses navires à passagers, il y a un risque que ces opérateurs ne réagissent pas de manière efficace en situation d'urgence.

2.3 Évaluation des risques et gestion de la sécurité

Bien que la réglementation n'exige pas de l'entreprise propriétaire de l'Aventure 6 d'instaurer un système de gestion de la sécurité, les processus de gestion de la sécurité, dont ferait partie une évaluation détaillée des risques, peuvent aider à repérer et atténuer les risques associés aux activités dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Il est essentiel que l'entreprise commande une évaluation indépendante des risques compte tenu du fait que les ressources locales sont insuffisantes pour assurer une opération de recherche et sauvetage majeure dans le parc marin.

Le modèle opérationnel utilisé par l'entreprise fait en sorte que chaque opérateur doit diriger plusieurs excursions par jour en respectant un horaire strict. Ce modèle exige que les opérateurs couvrent un grand secteur du parc marin dans la limite de temps alloué pour une excursion, et peut les inciter à maintenir les excursions prévues en dépit de conditions météorologiques difficiles qui excèdent les limites opérationnelles approuvées par TC relativement à la vitesse du vent et à la hauteur des vagues. De plus, ce modèle pousse l'entreprise et ses opérateurs à transporter le plus grand nombre de passagers possible sur chaque navire. L'enquête a montré qu'à l'occasion, le nombre de passagers dépassait la capacité autorisée du navire et qu'il n'y avait pas assez de gilets de sauvetage approuvés pour le nombre d'enfants à bord.

Ce modèle peut donc créer des conditions d'exploitation potentiellement dangereuses qui compromettent la sécurité des passagers; si l'entreprise avait effectué des évaluations des risques, elle aurait pu  constater que ces pratiques étaient dangereuses. Toute autre entreprise de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent qui utilise un modèle opérationnel semblable doit aussi cerner et atténuer les risques posés par ces pratiques dangereuses.

L'entreprise se fonde sur les exigences réglementaires de Parcs Canada comme référence pour établir ses limites opérationnelles, comme l'indiquent le guide des pratiques et le code de conduite d'Alliance Éco-Baleine. Ces exigences réglementaires n'ont toutefois pas été établies dans le but de faire respecter la sécurité de la navigation, mais plutôt pour concilier l'utilisation du parc marin et la conservation de la faune.

Même si la documentation scientifique établit qu'une vitesse maximale de 10 nœuds est une mesure fondamentale pour réduire véritablement le risque de collision entre les navires et les baleines dans les eaux où ces mammifères sont présents, l'entreprise n'a pas reconnu le risque accru de collision associé à des vitesses plus élevées. De plus, les autorités du parc marin reconnaissent le fait que certaines des exigences réglementaires ne sont pas assez sévères; elles exigent donc, par exemple, que l'industrie respecte une zone d'observation d'un rayon de 1 mille marin plutôt que de 0,5 mille marin comme l'exige le règlement.

TC n'a pas d'effectifs locaux dans la région du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et plusieurs navires de l'entreprise ne sont pas tenus d'être inspectés ou de posséder un certificat d'inspection. Comme il n'y a pas de surveillance continue sur place, il est essentiel que l'entreprise gère adéquatement la sécurité. Les programmes de familiarisation, de formation continue et de surveillance de la sécurité fournis par l'entreprise sont inégaux et variables.

Sur les navires à un seul membre d'équipage tels que l'Aventure 6, il y a un risque que l'unique opérateur du navire passe par-dessus bord ou devienne incapable de réagir; l'entreprise n'a pas reconnu ce risque et n'a pas mis en place des mesures pour y parer. Diverses stratégies permettraient d'atténuer ce risque, y compris l'ajout d'un dispositif de récupération d'une personne à la mer sur tous ses navires, la bonification de l'exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité et le fait d'expliquer l'emplacement et l'utilisation de l'équipement du navire. Ces mesures permettraient aux passagers d'agir immédiatement si une personne tombe à la mer, et de la récupérer avec rapidité et facilité, ainsi que d'émettre un appel de détresse ou d'utiliser les feux pyrotechniques pour signaler leur position. D'autres mesures pourraient s'avérer pertinentes, telles qu'une surveillance de l'obligation pour les opérateurs d'utiliser de façon adéquate les dispositifs d'arrêt d'urgence de la propulsion comme le cordon de sécurité coupe-moteur.

Même s'il ne s'agit pas d'un facteur dans le présent événement, l'enquête a constaté que les événements maritimes comme les collisions, les défaillances mécaniques et les blessures chez des passagers ne sont pas toujours déclarés par les entreprises de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Certains opérateurs sont encouragés à gérer les événements à l'interne et à ne pas les déclarer aux autorités concernées. La déclaration systématique de ces événements fournirait aux autorités des renseignements importants au sujet de risques et de problèmes de sécurité émergents, et leur permettrait de prendre des mesures correctives et d'informer les intervenants pertinents.

Si une entreprise de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins ne gère pas la sécurité de manière adéquate en déterminant quels sont les risques inhérents à ses opérations et en les atténuant, des pratiques non sécuritaires persisteront et la sécurité des passagers pourrait être compromise.

2.4 Programme de conformité des petits bâtiments

TC n'a pas des dispositions prévoyant l'inspection systématique de tous les navires qui participent au PCPB. Par conséquent, TC s'en remet aux rapports périodiques que soumettent les représentants autorisés (RA) comme confirmation de conformité. TC peut aussi ordonner une inspection en fonction de la présence de facteurs de risque ou lorsqu'un rapport présente des incohérences. TC n'exige pas qu'un expert maritime indépendant vérifie le contenu du rapport.

Bien que le RA remplisse généralement ce rapport, il ne possède pas nécessairement l'expertise maritime voulue pour s'assurer que le contenu du rapport est complet et exact. TC fournit de l'aide au RA pour assurer la conformité réglementaire, mais seulement sur demande. En ce qui concerne l'événement à l'étude, le RA supposait que l'exigence réglementaire d'avoir un dispositif de remontée à bord ne s'appliquait pas à l'Aventure 6, et le rapport soumis à TC reposait sur cette hypothèse. Par conséquent, l'Aventure 6 n'était pas équipé d'un dispositif de remontée à bord, même si un expert maritime indépendant en avait précédemment fait la recommandation dans un rapport.

Le rapport qu'a fourni le RA indiquait par ailleurs qu'une bouée de sauvetage était installée à bord. Cette bouée se trouvait bien à bord, mais elle n'était pas arrimée correctement. Si un inspecteur de TC avait inspecté le navire, il aurait pu noter l'absence d'un dispositif de remontée à bord, l'arrimage inadéquat de la bouée de sauvetage, la présence d'une seule radio VHF avec système de veille double—ce qui était insuffisant pour assurer une veille radio sur 5 fréquences différentes, le fait que la fonction ASN du radiotéléphone VHF n'était pas configurée, les lacunes dans l'exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité ainsi que les modifications apportées au navire par le RA.

La Commission des transports du Québec (CTQ) délivre un permis annuel qui autorise les navires comme l'Aventure 6 à transporter des passagers. La CTQ exige la preuve que le navire est couvert par une police d'assurance de protection et d'indemnité appropriée et que les exigences réglementaires fédérales applicables sont respectées. Comme il n'est pas requis des petits navires commerciaux qu'ils soient inspectés par TC, même dans le cadre du PCPB, la CTQ délivre des permis annuels à des navires en l'absence de preuve tangible qu'ils se conforment à la réglementation.

Il peut donc arriver qu'un RA suppose à tort, comme c'est le cas dans l'événement à l'étude, que comme ses navires sont inscrits au PCPB et que la CTQ a délivré son permis annuel, les navires sont entièrement conformes à toutes les exigences réglementaires provinciales et fédérales et qu'ils peuvent être exploités en toute sécurité pour le transport de passagers.

Par conséquent, si TC n'inspecte pas physiquement tous les petits navires commerciaux enregistrés, il y a un risque que des lacunes de sécurité et des conditions de non-conformité réglementaire passent inaperçues et ne soient pas corrigées.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Lorsque le navire s'est trouvé à 0,8 mille marin du navire le plus près, l'opérateur a commencé à accélérer pour atteindre 25 nœuds, croyant qu'il respectait l'exigence réglementaire du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent de se trouver à 1 mille marin du navire le plus près en zone d'observation.
  2. Une baleine a fait surface à environ 100 m à l'avant bâbord du navire, à portée de vue de l'opérateur du navire.
  3. Même si certains passagers avaient aperçu une baleine à l'avant du navire, ils n'en ont pas informé l'opérateur, croyant que ce dernier l'avait également remarquée.
  4. Le degré d'attention nécessaire pour effectuer toutes les tâches attendues de l'opérateur, y compris celles d'animer la croisière et de surveiller la vitesse et la position du navire, a fait en sorte que l'opérateur n'a pas vu la baleine.
  5. Alors que le navire avait atteint une vitesse de 21,6 nœuds, sa proue est entrée en collision avec un objet non identifié qui était peut-être une baleine.
  6. La force de l'impact initial a provoqué une embardée de la proue du navire, ce qui a projeté 1 passager par-dessus bord, et l'opérateur a heurté le pare-brise du poste de conduite, subissant des blessures mineures à la tête.
  7. En raison de sa vitesse de 21,6 nœuds, le navire a continué sur son erre après l'impact initial, et les pieds des deux moteurs hors-bord ont heurté l'objet.
  8. La force de l'impact secondaire a provoqué une embardée de la poupe du navire, ce qui a projeté les passagers contre les structures à l'intérieur du navire et causé différentes blessures. Cet impact a également projeté l'opérateur contre le côté bâbord du poste de conduite puis dans les airs et par-dessus bord, lui causant d'autres blessures mineures à la tête.
  9. Le navire, dont les deux moteurs s'étaient éteints, a dérivé en s'éloignant des deux personnes à la mer.
  10. Les passagers, n'étant pas familiarisés avec l'utilisation et le fonctionnement de l'équipement du navire, n'ont pas pu lancer la bouée de sauvetage, utiliser les signaux pyrotechniques, envoyer un appel de détresse vocal ou numérique ni redémarrer immédiatement la propulsion.
  11. Un des passagers a par la suite réussi à redémarrer 1 moteur et à amener le navire près des 2 personnes à la mer.
  12. Comme le navire n'était pas doté d'un dispositif de récupération de personne à la mer, les passagers ont eu de la difficulté à remonter à bord les personnes qui étaient à l'eau. Les manœuvres pour remonter l'opérateur à bord du navire lui ont causé des blessures graves à l'épaule et au bras.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si une entreprise de l'industrie de l'observation des mammifères marins se fie uniquement aux exigences réglementaires minimales et n'évalue pas convenablement les compétences des opérateurs de ses navires à passagers, il y a un risque que ces opérateurs ne réagissent pas efficacement en cas d'urgence.
  2. Si une entreprise de l'industrie de l'observation des mammifères marins ne gère pas la sécurité de manière adéquate en déterminant quels sont les risques inhérents à ses opérations et en les atténuant, des pratiques non sécuritaires persisteront et la sécurité des passagers pourrait être compromise.
  3. Si Transports Canada n'inspecte pas physiquement tous les petits navires commerciaux enregistrés, il y a un risque que des lacunes de sécurité et des conditions de non-conformité réglementaire passent inaperçues et ne soient pas corrigées.

3.3 Autres faits établis

  1. La lettre de confirmation remise à l'Aventure 6 lors de son inscription au Programme de conformité des petits bâtiments exigeait que l'opérateur détienne un certificat de fonctions d'urgence en mer (FUM) A3. Cependant, la réglementation exige qu'un opérateur de ce type de navire détienne un certificat FUM A2.
  2. L'Aventure 6 ne se conformait pas aux exigences énoncées dans la lettre de confirmation, qui stipulait que les passagers devaient porter des gilets de sauvetage et qu'une copie du document sur la stabilité du navire devait être conservée à bord en tout temps. Les passagers et l'opérateur portaient plutôt des vêtements de flottaison individuels approuvés par Transports Canada.
  3. La Commission des transports du Québec délivre et renouvelle chaque année un permis pour les petits navires commerciaux comme l'Aventure 6,en s'appuyant sur une déclaration écrite du représentant autorisé (RA). Le Règlement sur le transport maritime de passagers du Québec ne confère pas à la Commission des transports le pouvoir d'exiger des preuves supplémentaires de conformité réglementaire.
  4. Sur plusieurs navires de l'entreprise, la fonction d'appel sélectif numérique du radiotéléphone à très haute fréquence n'était pas configurée.
  5. Même si diverses exigences réglementaires et opérationnelles font en sorte que les opérateurs de navire devraient communiquer et maintenir une veille radio sur 5 fréquences différentes lorsqu'ils font de l'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, bon nombre des navires de l'entreprise sont équipés d'un seul radiotéléphone très haute fréquence avec système de veille double.
  6. Sur la plupart des navires de la flotte de l'entreprise, les bouées de sauvetage étaient arrimées de telle façon qu'elles ne pouvaient pas être déployées rapidement.
  7. Les opérateurs de l'entreprise n'avaient pas l'habitude d'utiliser le cordon de sécurité coupe-moteur sur les navires qui en étaient pourvus.
  8. Souvent, les opérateurs de navire de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins ne respectent pas le Règlement sur les abordages lorsqu'ils naviguent à l'intérieur d'une zone d'observation dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.
  9. Certaines entreprises de l'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ne fournissent pas des vêtements de flottaison adéquats pour protéger les membres d'équipage et les passagers contre l'état de choc dû à l'eau froide et l'hypothermie. L'adéquation des vêtements fournis varie énormément d'une entreprise à l'autre.
  10. L'industrie des excursions d'observation des mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ne déclare pas toujours les événements maritimes, ce qui limite la capacité des autorités concernées à repérer des problèmes de sécurité et à prendre des mesures appropriées.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 31 janvier 2017, le BST a envoyé à Croisières Essipit la Lettre d'information sur la sécurité maritime no 01/17 relative à l'installation et à la configuration de certains dispositifs de sécurité à bord des navires. Une copie de cette lettre a été envoyée à Transports Canada, à Parcs Canada, à Parcs Québec (Sépaq), à la Commission des transports du Québec et à 5 autres entreprises qui effectuent à titre commercial des excursions d'observation de mammifères marins dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. La lettre d'information sur la sécurité portait sur l'installation et la configuration d'équipement de sécurité particulier, et elle signalait des problèmes de sécurité qui exigeaient des correctifs immédiats, avant le début de la saison 2017.

Plus précisément, les problèmes signalés étaient l'arrimage inadéquat des bouées de sauvetage, la configuration incomplète du système d'appel sélectif numérique sur les radiotéléphones à très haute fréquence, l'absence d'un dispositif de remontée à bord sur des navires qui devaient en avoir un, la non-utilisation du cordon de sécurité coupe-moteur par les opérateurs de navire, et les lacunes dans l'exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité présenté aux passagers.

4.1.2 Croisières Essipit

À la suite de l'événement, après avoir reçu la Lettre d'information sur la sécurité maritime no 01/17, Croisières Essipit a modifié l'emplacement et le dispositif d'arrimage des bouées de sauvetage sur toute sa flotte, a acquis du nouveau matériel radiotéléphonique avec la capacité d'appel sélectif numérique, a doté les navires d'échelles amovibles servant de dispositif de remontée à bord, et a modifié l'exposé avant départ relatif aux mesures de sécurité que reçoivent les passagers de manière à y inclure les renseignements qui manquaient.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Le rapport a été officiellement publié le

Annexes

Annexe A – Lieu de l'événement

Source : Service hydrographique du Canada et Google Earth, avec annotations du BST
Lieu de l'événement

Annexe B – Événements antérieurs

M07L0120 – Le 11 septembre 2007, le navire à passagers Famille Dufour a heurté le navire Cavalier Royal qui était accosté au quai de Baie-Sainte-Catherine (Québec). Des vents forts et une mer agitée avaient été signalés dans le secteur au moment de la collision.

M08L0075 – Le 29 mai 2008, un passager a été blessé à bord du navire à passagers Sentinelle II lorsque ce dernier a rencontré une grosse vague.

M09L0154 – Le 2 septembre 2009, un passager a été blessé à bord du navire à passagers Sentinelle III alors que le navire rencontrait des vents de 20 à 30 nœuds et des vagues de 1,2 m à 1,5 m.

M09L0173 – Le 18 septembre 2009, le navire à passagers Grand Fleuve a heurté le quai pendant des manœuvres d'accostage au quai de Tadoussac (Québec). Des vents de 30 à 40 nœuds avaient été signalés dans le secteur au moment de l'impact. Plusieurs passagers ont subi des blessures.

M10L0100 – Le 28 juillet 2010, un passager a été blessé à bord du navire à passagers Tadoussac III alors que le navire rencontrait des vents de 25 à 30 nœuds et des vagues de 1,82 m de hauteur.

M11L0139 – Le 4 octobre 2011, trois passagers ont été blessés à bord du Tadoussac III alors que le navire faisait face à des vents de 30 à 35 nœuds et des vagues de 1,82 m.

M13L0108 – Le 15 juillet 2013, le navire à passagers Grand Charlevoix, qui transportait 38 personnes, s'est échoué sur la batture aux Alouettes près de Baie-Sainte-Catherine (Québec); la coque du navire a été perforée. À la suite de l'échouement, le compartiment moteur a été inondé et le navire s'est trouvé désemparé. Les 36 passagers ont été évacués sur d'autres navires d'excursion; on n'a signalé aucun blessé. Le BST a conclu qu'au moment de l'événement, le radar était défectueux, le compas magnétique était instable, aucun plan de voyage n'avait été établi, et la position du navire n'était pas surveillée ni consignée sur une carte marine. De plus, il n'y avait pas de plan d'évacuation à bord et les membres d'équipage n'ont pas donné d'instructions aux passagers sur le port des gilets de sauvetage ni sur la procédure d'évacuation du navire. L'enquête a déterminé que les membres d'équipage ne possédaient pas les certificats requis pour effectuer les tâches qui leur étaient assignées.

M16C0101 – Le 21 juillet 2016, un passager a été blessé à bord du navire à passagers C14378QC, lorsque ce dernier a rencontré une grosse vague par des vents de 20 nœuds.