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Rapport d'enquête ferroviaire R16H0024

Collision entre un train et un véhicule d'entretien
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises 100-03
Véhicule rail-route 53705
Point milliaire 118,36, subdivision de Nemegos
Nemegos (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 6 mars 2016, vers 15 h 40 (heure normale de l'Est), le train de marchandises 100-03 du Chemin de fer Canadien Pacifique circulait vers l'est à environ 35 mi/h lorsqu'il a heurté un véhicule rail-route immobilisé au point milliaire 118,36. Le contremaître et l'opérateur de machine avaient quitté le véhicule rail-route juste avant la collision. Il n'y a eu ni blessé ni déraillement. Le véhicule rail-route a été détruit. La locomotive de tête du train 100-03 a subi des dommages mineurs.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le 6 mars 2016, un contremaître et un opérateur de machine (employés d'entretien de la voie) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) déneigeaient des aiguillages à différents endroits de la subdivision de Nemegos. Au cours de la journée, le contremaître avait reçu 5 permis d'occuper la voie (POV) du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF), afin d'assurer la protection du matériel de déneigement et du véhicule rail-route 53705 (le véhicule).

Vers 15 h Note de bas de page 1, après avoir effectué des travaux sur la voie d'évitement de Kinogama, près de Nemegos (Ontario), l'opérateur de machine a immobilisé le matériel de déneigement à l'extrémité est de la voie de garage. Avant de retourner à son lieu d'affectation (le centre d'hébergement à Ramsey [Ontario]), l'équipe d'entretien de la voie devait se rendre à Chapleau (Ontario) pour ravitailler le véhicule en carburant, ce qui nécessiterait environ 3 heures. Dans le véhicule immobilisé sur la voie d'évitement, le contremaître a passé en revue les 2 POV qui étaient toujours en vigueur. Le premier POV protégeait le mouvement des employés d'entretien de la voie sur la voie d'évitement signalisée, entre les signaux 1094B (point milliaire 109,4) et 1105B (point milliaire 110,5). Le second POV protégeait leur mouvement sur la voie principale, entre les signaux 1093 (point milliaire 109,3) et 1106 (point milliaire 110,6).

Après avoir immobilisé le matériel de déneigement et discuté entre eux, les employés d'entretien de la voie se sont rendu compte qu'il aurait fallu le garer à l'extrémité ouest de la voie de garage. L'opérateur de machine a alors déplacé le matériel de déneigement à l'extrémité ouest de la voie de garage et l'a immobilisé de nouveau.

Une fois revenu au véhicule, l'opérateur de machine est entré du côté conducteur pour se charger de la conduite; le contremaître était assis du côté passager. Le contremaître a indiqué que, pour retirer le véhicule de la voie, ils devaient circuler vers l'ouest sur la voie principale jusqu'au passage à niveau au point milliaire 118,60. L'opérateur de machine s'est rendu à l'aiguillage ouest de la voie d'évitement de Kinogama. Après que le contremaître a orienté l'aiguillage pour la voie principale, le véhicule s'est engagé sur la voie principale et s'est arrêté au-delà des aiguilles. Le contremaître a ensuite remis l'aiguillage en position de manœuvre électrique et a repris place à bord du véhicule. La radio était réglée au canal d'entretien de la voie Note de bas de page 2, et aucun message n'a été diffusé pour indiquer que le véhicule s'engageait sur la voie principale. Le véhicule a commencé à se déplacer vers le passage à niveau, circulant hors de ses limites d'autorisation sur une distance d'environ 8 milles.

Le train de marchandises 100-03 du CP (le train) se composait de 2 locomotives de tête, 1 locomotive télécommandée et 80 wagons chargés. Il pesait 10 841 tonnes et mesurait 11 928 pieds de longueur. L'équipe de train se composait d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train. Les 2 membres de l'équipe répondaient aux exigences de leurs postes respectifs, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.

Vers 15 h 5, le train a quitté Chapleau (point milliaire 136,4) et a circulé vers l'est dans la subdivision de Nemegos (figure 1). Entre Chapleau et Nemegos, l'équipe du train a diffusé 6 messages radio sur le canal d'attente des trains Note de bas de page 3.

Figure 1. Carte du lieu de l'événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
Figure 1. Carte du lieu de l'événement (Source : Association des chemins de fer du Canada,  <em>Atlas des chemins de fer canadiens</em>, avec annotations du BST)

Environ 5 minutes après la diffusion du dernier message radio, alors que le train s'engageait dans la courbe à gauche au point milliaire 118,50 à environ 42 mi/h, l'équipe du train a aperçu un véhicule s'approchant sur la voie principale à environ 750 pieds devant le train. L'équipe du train a serré les freins d'urgence. Environ au même moment, les employés d'entretien de la voie ont aperçu le train qui s'approchait. L'opérateur de machine a immobilisé le véhicule (point milliaire 118,36) et a placé le sélecteur de vitesse à la position de stationnement. Les 2 employés d'entretien de la voie ont rapidement quitté le véhicule. Environ 6 secondes plus tard, le train, qui roulait à environ 35 mi/h, a heurté le véhicule immobilisé. Il n'y a eu aucun blessé et le train n'a pas déraillé. La locomotive a subi des dommages mineurs. Le véhicule a été détruit (figures 2 et 3).

Figure 2. Vue de l'avant du véhicule rail-route après la collision
Figure 2. Vue de l'avant du véhicule rail-route après la collision
Figure 3. Vue du côté du véhicule rail-route après la collision
Figure 3. Vue du côté du véhicule rail-route après la collision

Au moment de l'événement, la visibilité était bonne et il y avait un peu de poudrerie. La température était de 1,1 °C, et les vents soufflaient à 28 km/h.

1.2 Résumé des événements

Le tableau 1 présente un résumé des événements survenus le 6 mars 2016, établi à partir de diverses sources : le consignateur d'événements de la locomotive Note de bas de page 4, la caméra orientée vers l'avant de la locomotive de tête du train, les données sur les signaux qui ont été téléchargées, des mesures prises sur place, et des enregistrements des communications radio.

Tableau 1. Résumé des événements
Heure Événement
7 h
  • Au début de leur quart de travail, les employés d'entretien de la voie ont tenu une séance d'information sur les travaux de la journée.
8 h 10 (heure approximative)
  • Les employés d'entretien de la voie sont arrivés à Sultan.
8 h 10 à 12 h 10
  • Les employés d'entretien de la voie ont effectué diverses tâches d'entretien à Sultan.
12 h 10
  • Les employés d'entretien de la voie ont quitté Sultan sur la voie principale sous l'autorisation d'un POV jusqu'à Kinogama.
  • Le contremaître a obtenu un POV pour la voie d'évitement signalisée de Kinogama.
13 h 46 (heure approximative)
  • Le contremaître a reçu un POV pour la voie principale à Kinogama, entre les signaux extérieurs (points milliaires 109,3 et 110,6).
  • Le contremaître a reçu la permission du CCF de mettre l'aiguillage à double commande en position de manœuvre manuelle pour nettoyer l'aiguillage.
15 h (heure approximative)
  • Les employés d'entretien de la voie ont terminé leurs travaux d'entretien aux aiguillages à Kinogama.
  • L'opérateur de machine a stationné le matériel de déneigement à l'extrémité est de la voie de garage pendant que le contremaître attendait dans le véhicule, qui se trouvait sur la voie d'évitement signalisée.
15 h 5
  • Le train de marchandises 100-03 du CP a quitté Chapleau.
15 h 5 (heure approximative)
  • L'opérateur de machine est retourné au véhicule.
  • En consultant l'indicateur, les employés d'entretien de la voie se sont rendu compte que le matériel de déneigement aurait dû être stationné à l'extrémité ouest de la voie de garage.
  • L'opérateur de machine est sorti du véhicule.
15 h 10 (heure approximative)
  • L'opérateur de machine a déplacé le matériel de déneigement jusqu'à l'extrémité ouest de la voie de garage.
  • Le contremaître a conduit le véhicule jusqu'à l'extrémité ouest de la voie d'évitement pour aller chercher l'opérateur de machine.
15 h 15 (heure approximative)
  • En consultant le registre des POV, le contremaître a constaté que le POV 2213 portait la mention « main track » (voie principale) et a cru à tort que les limites d'autorisation sur la voie principale s'étendaient jusqu'à Nemegos.
15 h 20 (heure approximative)
  • L'opérateur de machine est monté à bord du véhicule du côté conducteur et a pris le volant du véhicule.
  • Le contremaître, qui était maintenant assis du côté passager, a informé l'opérateur de machine de circuler vers l'ouest.
15 h 22 (heure approximative)
  • Le contremaître a orienté l'aiguillage pour que le véhicule puisse s'engager sur la voie principale.
  • Après que le véhicule s'est engagé sur la voie principale, le contremaître a remis l'aiguillage en position de manœuvre électrique. Le véhicule a ensuite quitté Kinogama.
15 h 22 (heure approximative)
  • À Devon, l'équipe du train de marchandises 100-03 du CP a annoncé par radio le signal d'approche.
15 h 24 (heure approximative)
  • À l'extrémité ouest de Devon, l'équipe du train a annoncé par radio le signal d'entrée.
15 h 33 (heure approximative)
  • À Nemegos, l'équipe du train a annoncé par radio le signal d'approche.
15 h 35 (heure approximative)
  • À l'extrémité ouest de Nemegos, l'équipe du train a annoncé par radio le signal d'entrée.
15 h 40 min 43 s
  • Le train de marchandises 100-03 du CP a actionné le sifflet à l'approche du passage à niveau du point milliaire 118,60.
15 h 41 (heure approximative)
  • Environ au point milliaire 118,50, alors que le train s'engageait dans la courbe, l'équipe du train a aperçu le véhicule devant elle sur la voie principale.
15 h 41 (heure approximative)
  • L'opérateur de machine a aperçu le train et en a informé le contremaître.
15 h 41 (heure approximative)
  • L'équipe du train a serré les freins d'urgence.
15 h 41 (heure approximative)
  • L'opérateur de machine a immobilisé le véhicule, et les employés d'entretien de la voie en sont sortis précipitamment.
15 h 41 min 4 s
  • Le train a heurté le véhicule.

1.3 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Nemegos se compose d'une voie principale simple qui s'étend, en direction ouest, de Cartier (Ontario) (point milliaire 0,0) à Chapleau (point milliaire 136,4). Dans les environs du lieu de l'événement à l'étude, la vitesse maximale permise pour les trains de marchandises est de 60 mi/h. Toutefois, la vitesse limite est réduite à 50 mi/h pour les trains de plus de 7500 tonnes; c'était le cas pour le train en cause dans l'événement (qui pesait 10 841 tonnes).

Les mouvements de train sur la subdivision de Nemegos sont régis par la commande centralisée de la circulation (CCC), autorisée par le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et supervisée par un CCF en poste à Calgary (Alberta).

1.4 Système de contrôle des trains

Dans un système de CCC, la circulation des trains est régie par des indications des signaux. Les CCF surveillent leur territoire sur des écrans d'ordinateur depuis leur poste de travail. Pour les activités d'entretien de la voie, les mouvements des véhicules utilisés à cette fin sont généralement protégés à l'aide de POV ou de protections prévues (règle 842/42 du REF).

Chaque subdivision s'affiche dans son intégralité (y compris les voies d'évitement, les signaux et les limites d'autorisation des trains) à l'écran du système de CCC. Lorsqu'il y a présence d'un train dans un canton ou à un emplacement contrôlé Note de bas de page 5, une indication s'affiche à l'écran, ce qui permet de connaître l'emplacement du train alors qu'il passe à ces endroits. Si un train franchit un emplacement contrôlé qui se trouve hors de sa zone d'autorisation, un avertissement sonore et visuel se déclenche à l'écran du système de CCC. L'écran du système de CCC affiche également les zones d'application des POV. Toutefois, comme la plupart des véhicules d'entretien (comme le véhicule rail-route en cause dans l'événement) n'activent pas le système de signalisation, l'emplacement de ces véhicules n'est pas indiqué à l'écran du CCF. L'écran du CCF ne permet pas à lui seul de savoir si un véhicule d'entretien circule hors de ses limites d'autorisation.

1.6 Permis d'occuper la voie

Un POV est une « [a]utorisation transmise pour protéger les véhicules d'entretien et les travaux en voie Note de bas de page 6 » permettant l'occupation d'une voie principale ou d'une voie d'évitement signalisée afin d'effectuer des travaux. En territoire CCC, les POV sont protégés par des indications des signaux. Le contremaître doit donc dégager la voie avant que les trains puissent être autorisés à circuler.

Les équipes des trains ne reçoivent pas d'information sur les POV dans leur bulletin de marche tabulaire (BMT) Note de bas de page 7. De même, les employés d'entretien de la voie ne connaissent généralement pas la fréquence et l'emplacement des trains à moins que le CCF leur transmette ces renseignements.

Dans l'événement à l'étude, le contremaître a demandé au CCF de l'information sur la circulation ferroviaire dans les environs à 4 reprises au cours de la journée. Le CCF a avisé le contremaître du passage du train 421, qui est passé vers 10 h 30. Après le passage du train 421, le contremaître a été avisé à quelques reprises du passage prévu d'un autorail diesel Budd Note de bas de page 8, qui est passé vers 13 h 40. Le contremaître n'avait pas été informé du passage du train 100-03.

Le processus lié aux POV comprend un certain nombre d'étapes à suivre pour réduire les risques qu'un véhicule rail-route et des employés d'entretien de la voie circulent hors d'une zone de protection. Pour que le système des POV fonctionne correctement, les employés doivent non seulement avoir une connaissance générale des étapes du processus lié aux POV, mais doivent aussi, pour chaque POV, suivre la séquence prévue de ces étapes, rester au fait des étapes qui ont été effectuées, et cerner et effectuer les étapes restantes.

Au CP, en général, les POV sont émis par radio par les CCF, et inscrits dans le registre de POV des contremaîtres. Le Rule Book for Engineering Employees (manuel des règles pour les employés du service de l'ingénierie) du CP indique notamment ce qui suit :

[Traduction]

Réception d'un POV

  1. Lorsqu'il demande un POV, le contremaître doit communiquer au CCF le nom du contremaître, la ou les voies à occuper et la zone à protéger.
  2. Après avoir répété correctement, le CCF répondra alors : « Complété » et communiquera ses initiales, ce qui doit être consigné et confirmé par le contremaître.
  3. Le POV n'entre pas en vigueur tant que le terme « Complété » et les initiales du CCF n'ont pas été communiqués, et on ne peut pas y donner suite tant qu'il n'est pas entré en vigueur Note de bas de page 9.

La règle 854 du REF, intitulée « Un seul véhicule d'entretien – Obligations du contremaître », comprend l'énoncé suivant :

Avant de se servir d'un POV, le contremaître responsable d'un seul véhicule d'entretien doit :

  1. lire à haute voix le POV à tous les employés accompagnant le véhicule d'entretien; et
  2. demander aux employés qui détiennent un certificat de compétence valide en matière de règlement d'exploitation, de lire le POV et d'y apposer leurs initiales. Note de bas de page 10

Les 2 employés d'entretien de la voie auraient dû savoir qu'ils avaient besoin d'un nouveau POV avant de quitter la voie d'évitement de Kinogama. L'opérateur de machine n'a pas demandé de vérifier la zone d'application du POV. Le contremaître n'a pas demandé de nouveau POV. S'il avait obtenu un nouveau POV, il aurait été tenu de le lire à haute voix et de demander à l'opérateur de machine de le lire et d'y apposer ses initiales.

1.6 Défis logistiques que doivent relever les employés d'entretien de la voie dans le nord de l'Ontario

La subdivision de Nemegos traverse une région relativement isolée dans le nord de l'Ontario. Dans cette région, le chemin de fer et ses employés doivent souvent relever des défis pour satisfaire aux exigences opérationnelles.

La subdivision de Nemegos se compose d'une voie principale simple. Comme les passages à niveau sont généralement très éloignés les uns des autres dans cette subdivision Note de bas de page 11, les employés d'entretien de la voie prenant place dans des véhicules d'entretien (y compris les véhicules rail-route) doivent parfois parcourir de grandes distances pour s'engager sur la voie et la dégager. Étant donné que les trains de marchandises ont généralement la priorité, les véhicules d'entretien doivent parfois attendre un certain temps avant d'obtenir la permission d'occuper la voie principale et de se rendre à un endroit où ils peuvent dégager la voie.

Le quart de travail d'un employé d'entretien de la voie dure généralement 11,25 heures. Dans le cadre de certaines activités d'entretien, les employés passent la majeure partie de leur journée de travail à se déplacer pour se rendre aux emplacements de travail ou en revenir, et à attendre dans des voies d'évitement pour permettre le passage des trains.

Pendant leurs affectations, la plupart des employés d'entretien de la voie logent dans les lieux d'hébergement du chemin de fer ou dans des hôtels. Dans le nord de l'Ontario, la couverture cellulaire peut être intermittente ou nulle. En cas d'urgence, les employés d'entretien de la voie doivent compter sur les radios fournies par le chemin de fer.

1.7 Exigences visant les employés d'entretien de la voie

1.7.1 Séance d'information sur les travaux

Dans son Engineering Safety Rule Book (manuel de sécurité à l'intention des employés du service de l'ingénierie), le CP indique notamment ce qui suit :

[Traduction]

  1. Les employés doivent prendre part à une séance d'information sur les travaux avant de commencer à travailler, et si la tâche ou les conditions de travail changent.

    La séance d'information sur les travaux comprend :
    • une discussion portant sur le plan de travail général;
    • la tâche à accomplir;
    • la responsabilité individuelle de chaque employé;
    • les dangers présents ou possibles;
    • les façons d'éliminer les dangers ou de s'en protéger;
    • les autres parties qui prennent part aux travaux doivent également y assister, au besoin Note de bas de page 12.

L'employé responsable (le contremaître, dans l'événement à l'étude) doit diriger la séance d'information sur les travaux. Après la séance d'information sur les travaux, il faut remplir un document intitulé Engineering on Track Safety/Task Assessment Booklet (livret de l'ingénierie – sécurité en voie et évaluation de la tâche) du CP (le livret). Ce livret contient de nombreux formulaires de 2 pages indiquant les éléments que l'employé responsable doit aborder pendant la séance d'information sur les travaux et l'évaluation des tâches. Ce livret indique notamment ce qui suit :

[Traduction]

Il faudra organiser une nouvelle séance d'information sur la sécurité en voie chaque fois que :

Dans l'événement à l'étude, le contremaître a tenu une séance d'information sur les travaux avec l'opérateur de machine au début de leur quart de travail, avant de quitter le centre d'hébergement de Ramsey, abordant les travaux à accomplir avant la fin du quart. Il n'y a eu aucune autre séance d'information sur les travaux au cours de la journée.

La tenue de séances d'information sur les travaux avec les collègues constitue un moyen de protection, car les membres d'un groupe partageant les mêmes objectifs passent en revue divers éléments concernant leurs tâches d'une manière normalisée (p. ex., à l'aide d'un formulaire normalisé). Lorsque des personnes discutent de détails d'une activité et y réfléchissent à l'avance, il est d'autant plus probable qu'elles s'en souviendront plus tard. Il faut tenir des séances d'information sur les travaux lorsque les tâches ou les conditions de travail changent. Ainsi, une séance d'information sur les travaux doit être tenue lorsqu'on obtient un nouveau POV pour étendre des autorisations applicables à la voie.

1.7.2 Manœuvre d'un aiguillage à double commande

Pour faciliter le nettoyage des aiguillages à double commande Note de bas de page 14 de la voie d'évitement de Kinogama, les employés d'entretien de la voie ont demandé et obtenu la permission du CCF de mettre l'aiguillage en position de manœuvre manuelle, conformément à la règle 815 du REF qui comprend notamment l'énoncé suivant :

Lorsqu'il faut faire passer un véhicule d'entretien sur un aiguillage à double commande :

  1. l'aiguillage doit être orienté par le CCF, sauf quand ce dernier permet au contremaître de le manœuvrer à la main; et
  2. lorsqu'un aiguillage à double commande est manœuvré manuellement par le contremaître, et après que le véhicule d'entretien a dégagé les aiguilles, le contremaître doit s'assurer que le levier sélecteur est ramené à la position de manœuvre électrique et cadenassé, puis en informer le CCF immédiatement. Note de bas de page 15

La règle 10.2 du Rule Book for Engineering Employees du CP, intitulée « Track Unit Operation » (exploitation des véhicules d'entretien) comprend notamment l'énoncé suivant :

[Traduction]

Aiguillages – À double commande et à manœuvre électrique

[…]

  1. Lorsqu'un aiguillage est manœuvré à la main, une fois que le véhicule d'entretien a libéré les aiguilles, le contremaître doit s'assurer :
    1. s'il s'agit d'un aiguillage à double commande, qu'il a été remis en position de manœuvre électrique;
    2. que le CCF est immédiatement informé. Note de bas de page 16

Dans l'événement à l'étude, après avoir immobilisé le matériel de déneigement sur la voie de garage, les employés d'entretien de la voie se sont approchés de l'aiguillage à double commande à l'extrémité ouest de la voie d'évitement de Kinogama et s'y sont immobilisés. Le contremaître a quitté le véhicule et a orienté l'aiguillage (qui était déjà en position de manœuvre manuelle) pour que le véhicule puisse s'engager sur la voie principale. Le contremaître a fait signe à l'opérateur de machine d'avancer sur la voie principale au-delà des aiguilles. Après avoir remis l'aiguillage à double commande en position normale, le contremaître l'a remis en position de manœuvre électrique. Le CCF n'a pas été informé que l'aiguillage avait été remis en position de manœuvre électrique et verrouillé.

1.7.3 Message radio relatif à l'occupation de la voie principale

Un contremaître qui est sous la protection d'un POV doit diffuser un message radio sur le canal d'attente des trains avant de s'engager sur la voie principale. Le Rule Book for Engineering Employees du CP indique ce qui suit :

[Traduction]

Message radio en vertu d'un POV

Sous la protection d'un POV, avant d'occuper toute voie principale ou de franchir des panneaux indicateurs de gare en territoire ROV (régulation d'occupation de la voie) ou CCC, l'employé responsable d'un véhicule d'entretien doit, à la première occasion, communiquer les renseignements suivants sur le canal d'attente des trains désigné dans l'indicateur :

  1. véhicule d'entretien, opérateur, personne responsable ou équipe;
  2. endroit;
  3. direction;
  4. désignation de la voie;
  5. zone d'application d'un POV.

Nota : Cette transmission doit être faite immédiatement avant d'occuper la voie, sauf lorsque l'encombrement des ondes radio l'empêche. Dans un tel cas, le véhicule d'entretien peut avancer et faire la transmission requise à la première occasion Note de bas de page 17.

Dans l'événement à l'étude, le contremaître n'a pas diffusé de message radio sur le canal d'attente des trains avant de s'engager sur la voie principale.

1.7.4 Surveillance radio continue

Tous les véhicules d'entretien du CP sont dotés de radios. De plus, chaque contremaître d'une équipe d'entretien de la voie a habituellement une radio portative. Lorsqu'un contremaître travaille dans la zone d'un POV et communique avec d'autres employés d'entretien de la voie, les radios sont réglées au canal d'entretien de la voie.

La règle 119 du REF, intitulée Écoute permanente, précise (en partie) ce qui suit :

  1. Les contremaîtres nommés dans [...] un POV ou une feuille de libération doivent régler leur radio en « mode balayage » lorsqu'elle n'est pas utilisée pour communiquer avec un autre employé, autrement leur radio doit être réglée pour l'écoute du canal d'attente désigné applicable. Note de bas de page 18

Dans l'événement à l'étude, le contremaître n'avait pas réglé la radio en mode balayage pour permettre l'écoute du canal d'attente désigné. En mode balayage, les radios surveillent tous les canaux.

En ce qui concerne les équipes de trains, les radios dans la cabine des locomotives sont généralement réglées au canal d'attente des trains. Ainsi, les équipes de trains n'entendent généralement pas les communications diffusées sur le canal d'entretien de la voie.

1.8 Employés d'entretien de la voie

Dans l'événement à l'étude, le contremaître avait commencé à travailler au CP en 1989 et y avait occupé différents postes avant de se qualifier pour le poste de contremaître en 2002. L'opérateur de machine travaillait au CP depuis 1986 et avait occupé différents postes d'entretien de la voie au fil des années.

Les 2 employés répondaient aux exigences de leurs postes respectifs.

1.8.1 Contrôle de l'efficacité

Pour assurer la conformité à l'exploitation ferroviaire, la direction des chemins de fer effectue périodiquement un contrôle de l'efficacité. Une réussite ou un échec est attribué à l'employé pour chaque contrôle. Lorsqu'un employé fait l'objet d'un contrôle d'efficacité, on lui donne immédiatement de la rétroaction, en cas aussi bien de réussite que d'échec. Lorsqu'un échec se produit, l'employé reçoit de l'encadrement verbal pour améliorer sa compréhension et son respect de la règle. Dans le cas d'échecs plus graves, l'employé peut être tenu de revoir les règles et reprendre l'examen, ou faire l'objet de mesures disciplinaires. Dans tous les cas, on effectue un suivi auprès de l'employé, y compris un nouveau contrôle, dans les 7 jours suivant l'échec initial.

Au cours des 12 mois précédents, le contremaître avait fait l'objet de 52 contrôles. Dans certains cas, il avait fait l'objet de plus d'un contrôle à la fois. Le nombre de contrôles dont le contremaître avait fait l'objet n'était pas inhabituel et correspondait au nombre de contrôles dont les contremaîtres du CP faisaient typiquement l'objet. L'opérateur de machine avait fait l'objet de 31 contrôles. Certains de ces contrôles avaient été faits simultanément (c.-à-d., lorsque les 2 employés travaillaient ensemble). Certains contrôles portaient sur la documentation, y compris les formulaires et des formalités telles que la prise par écrit d'un POV. D'autres contrôles portaient sur les communications radio et étaient effectués à distance, par surveillance de la radio. Comme le contremaître devait remplir la plupart des documents et effectuer la plupart des communications radio, il avait fait l'objet de contrôles de l'efficacité plus fréquemment que l'opérateur de machine.

Au cours des 12 mois précédents, le contremaître avait échoué à 9 contrôles et l'opérateur de machine, à 3 contrôles. Parmi les causes d'échec figuraient :

1.8.2 Mesures disciplinaires

Au moment de l'événement à l'étude, en vertu du système disciplinaire du CP, les situations étaient examinées au cas par cas pour déterminer quelles mesures disciplinaires s'imposaient. La portée de ces mesures disciplinaires était fondée sur les circonstances et la gravité du problème. Les mesures disciplinaires peuvent comprendre un avertissement, des points d'inaptitude, une suspension ou le congédiement.

Depuis 2006, le contremaître dans l'événement à l'étude avait fait l'objet de mesures disciplinaires à 7 reprises. Pendant cette même période, l'opérateur de machine avait fait l'objet de mesures disciplinaires une fois. Le tableau 2 présente un résumé des dossiers disciplinaires des 2 employés.

Tableau 2. Résumé des situations menant à des mesures disciplinaires
Situation menant à des mesures disciplinaires Contremaître Opérateur de machine
Manquement à plusieurs règles et instructions Congédié pendant 2 mois (juillet 2013) Points d'inaptitude (juillet 2013)
Utilisation inadéquate de matériel Points d'inaptitude (à 3 reprises)
Immobilisation inadéquate d'un véhicule d'entretien Points d'inaptitude
Manquement à une règle capitale Points d'inaptitude
Talonnage d'un aiguillage Points d'inaptitude

1.9 Aptitude au travail

1.9.1 Règles et procédures

Au Canada, en vertu du Règlement concernant les postes essentiels à la sécurité ferroviaire approuvé par Transports Canada (TC), un poste essentiel à la sécurité est :

  1. un poste directement relié à la marche des trains sur une voie principale ou dans le service de manœuvre; et
  2. un poste relié au contrôle de la circulation ferroviaire. Note de bas de page 19

Selon l'article 4 du Règlement médical pour les postes essentiels à la sécurité ferroviaire, pour occuper un poste essentiel à la sécurité :

En vertu de ces règles, les postes d'entretien de la voie ne sont pas considérés comme étant essentiels à la sécurité.

Toutefois, selon les procédures médicales relatives à l'aptitude au travail du CP, un poste lié à la sécurité est un poste au sein d'un chemin de fer où un rendement inadéquat peut à l'occasion engendrer des risques pour la sécurité du public ainsi que pour celle des employés, des clients, des employés des clients, des biens ou l'environnement. Les postes liés à la sécurité font l'objet d'un examen périodique permettant de tenir compte de tout changement apporté aux tâches. Tous les employés (syndiqués ou non) qui assument de telles fonctions, comme les contremaîtres et les opérateurs de machines, sont réputés occuper des postes liés à la sécurité. Bien qu'il n'existe pas d'exigences relatives à la vérification de l'aptitude médicale continue des employés occupant un poste lié à la sécurité, tous les employés (y compris ceux qui occupent un poste essentiel à la sécurité) sont responsables de leur propre santé. Ils sont aussi tenus de faire appel à leur supérieur, à un professionnel de la santé, aux organismes de santé et de sécurité au travail ou au Programme d'aide aux employés et à leur famille s'ils sont préoccupés au sujet de leur aptitude à exécuter leurs tâches ou s'ils sont incapables de les exécuter. Les employés occupant un poste lié à la sécurité doivent aviser leur superviseur de toutes les limitations ou restrictions propres à leur travail et satisfaire à toutes les exigences de surveillance médicale applicables.

1.9.2 Science de la fatigue

En vertu de l'article 28 du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) Note de bas de page 21, les chemins de fer doivent appliquer les principes de la science de la fatigue et mettre en place une méthode pour le faire. Lorsqu'ils établissent l'horaire de travail d'un employé dont l'horaire doit satisfaire à des exigences définies, les chemins de fer doivent tenir compte des principes suivants :

  1. la fatigue humaine est un phénomène physiologique;
  2. la vigilance humaine est affectée par les rythmes circadiens;
  3. le rendement humain diminue en fonction des heures de veille et de la dette de sommeil accumulée;
  4. les humains ont des besoins physiologiques de base minimaux pour ce qui est du sommeil.

Les exigences de l'article 28 s'appliquent aux horaires des employés d'entretien de la voie dans les situations suivantes :

  1. Elle [la compagnie de chemin de fer] inclut, dans son système de gestion de la sécurité, une méthode pour l'application des principes de la science de la fatigue lorsqu'elle établit les horaires des employés dont elle exige qu'ils travaillent suivant un horaire qui, selon le cas :
    1. ne leur est pas communiqué au moins soixante-douze heures à l'avance;
    2. exige qu'ils travaillent au-delà de leur horaire normal;
    3. exige qu'ils travaillent entre minuit et 6 h. Note de bas de page 22

Dans le cas du contremaître et de l'opérateur de machine en cause dans l'événement à l'étude, leur horaire leur était communiqué au moins 72 heures à l'avance, ils devaient rarement travailler au-delà de leur horaire normal, et ils travaillaient le quart de jour. Ainsi, les exigences ne s'appliquaient pas à eux.

Des recherches ont démontré que la fatigue liée au manque de sommeil peut diminuer le rendement d'une personne en ce qui concerne la mémoire et la prise de décisions Note de bas de page 23. De plus, les heures de travail effectuées au-delà de la semaine de travail « normale » de 40 heures sont liées à des risques accrus de blessure au travail Note de bas de page 24. Selon une analyse Note de bas de page 25, les personnes qui travaillent plus de 64 heures par semaine courent 88 % plus de risques de subir un accident que les personnes qui travaillent moins de 40 heures par semaine. En vertu de la partie III du Code canadien du travail (CCT), le maximum d'heures qu'on peut demander ou permettre à la plupart des employés de travailler par semaine est de 40 heures. Le CCT comprend des dispositions relatives aux modifications apportées aux horaires en raison de la nature du travail, qui permettent une moyenne de 48 heures de travail par semaine au cours d'une période de 2 semaines.

Dans le nord de l'Ontario, comme la majeure partie du réseau ferroviaire du CP traverse des régions isolées, les employés d'entretien de la voie ont des semaines de travail comprimées. Dans l'événement à l'étude, le contremaître et l'opérateur de machine travaillaient pendant des périodes de 7 jours suivies de 7 jours de congé, se rendant sur place en voiture au début de chaque période de travail (le temps de déplacement à destination et au retour du lieu de travail éloigné n'était pas considéré comme des heures de travail). Pendant leurs heures de repos, les employés étaient logés dans le centre d'hébergement local du CP. Les quarts de jour prévus à l'horaire étaient d'environ 11,25 heures; habituellement, ils commençaient à 7 h et se terminaient à 18 h 15. Les employés effectuaient des heures supplémentaires au besoin seulement. Avec un minimum d'heures supplémentaires, une semaine de travail était d'environ 78,75 heures, plus les déplacements. Parmi les aspects positifs d'un tel horaire qui peuvent réduire les risques de fatigue, on retrouve la prédictibilité, le travail de jour et les jours de congé consécutifs entre les périodes de travail.

Lorsqu'il effectue 7 quarts de jour consécutifs, un travailleur doit pouvoir bénéficier d'un sommeil de nuit réparateur pour prévenir toute fatigue accumulée. Toutefois, si un travailleur dort moins d'heures que nécessaire, ou si son sommeil entre ses quarts de jour est de mauvaise qualité, il peut accumuler un déficit de sommeil chronique, ce qui peut causer de la fatigue. Cette fatigue liée au manque de sommeil peut augmenter les risques d'incident ou d'accident Note de bas de page 26.

Le jour de l'accident, les employés d'entretien de la voie effectuaient le 6e de leurs 7 quarts prévus. De plus, le contremaître avait effectué un quart en heures supplémentaires avant le début de sa semaine de travail normale. Pour se rendre de leur domicile au centre d'hébergement, l'opérateur de machine et le contremaître devaient conduire 5,25 heures et 3,25 heures, respectivement. Ils covoituraient généralement jusqu'au centre d'hébergement le jour précédant leur premier quart de travail, avec l'opérateur de machine au volant. Ils rentraient chez eux immédiatement après leur 7e quart de travail Note de bas de page 27, ce qui signifie qu'ils étaient éveillés et effectuaient des tâches liées à la sécurité, y compris conduire un véhicule automobile, pendant au moins 16,5 heures ce jour-là.

Une analyse quantitative de l'historique de travail et de repos des employés d'entretien de la voie a été effectuée en utilisant le logiciel FAST (Fatigue Avoidance Scheduling Tool ou outil de gestion en vue d'éviter la fatigue) Note de bas de page 28. Il a été établi qu'il est peu probable que le niveau de fatigue de l'opérateur de machine ait été considérable l'après-midi de l'événement à l'étude. Quant au contremaître, certains facteurs de risque liés à la fatigue étaient présents ce jour-là.

1.9.3 Programme de gestion de la fatigue au Chemin de fer Canadien Pacifique

Les exigences relatives à l'établissement de programmes de gestion de la fatigue sont énoncées dans les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire Note de bas de page 29. En vertu de ces exigences, le CP et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada ont établi un programme de gestion de la fatigue (PGF) qui aborde divers sujets : sensibilisation et formation, pratiques d'établissement des horaires, situations d'urgence, stratégies destinées à assurer la vigilance, environnements de repos, politiques de mise en œuvre, évaluation des PGF et de l'efficacité de la gestion des équipes Note de bas de page 30.

Le programme est fondé sur le principe de la responsabilité partagée pour la gestion de la fatigue et indique que les solutions résident dans une combinaison de responsabilité et d'habilitation, à l'échelle des individus et de l'entreprise, pour la gestion de la fatigue Note de bas de page 31. Le PGF part de ce principe, établissant les rôles et responsabilités à l'échelle du réseau.

Les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire actuelles et le PGF du CP ne s'appliquent pas aux employés d'entretien de la voie, dont fait partie l'équipe du véhicule d'entretien.

1.9.4 Rythme circadien et rendement

En raison des variations physiologiques du corps humain qui sont synchronisées avec un rythme circadien (quotidien), le moment de la journée peut avoir d'importantes répercussions sur la vigilance et le rendement d'une personne. Ce cycle de 24 heures permet au corps de se préparer à l'activité le jour et de récupérer la nuit.

L'événement à l'étude s'est produit vers 15 h 30, c'est-à-dire pendant le creux circadien de l'après-midi Note de bas de page 32. À ce moment-là, certaines personnes peuvent ressentir une fatigue plus prononcée qu'à d'autres moments de la journée, ce qui peut avoir des répercussions sur leur rendement Note de bas de page 33.

1.9.5 Évaluation polysomnographique

Au cours des 5 mois précédant l'événement à l'étude, le contremaître avait connu régulièrement des périodes de sommeil de piètre qualité et de courte durée.

Après l'événement à l'étude, le contremaître a fait l'objet d'une évaluation polysomnographique (du sommeil). Cette évaluation a permis de constater que le contremaître souffrait d'une légère apnée obstructive du sommeil (AOS) et d'un léger syndrome des mouvements périodiques des membres.

1.9.5.1 Apnée obstructive du sommeil

L'AOS est une affection médicale qui se caractérise par une obstruction partielle ou complète des voies respiratoires pendant le sommeil faisant qu'une personne se réveille pendant de courtes périodes pour respirer. Ce sommeil fragmenté peut se traduire par une diminution du rendement pendant les périodes d'éveil et est lié à des risques accrus d'accidents de travail Note de bas de page 34 et de véhicules automobiles Note de bas de page 35 Note de bas de page 36. On estime que 4 % des hommes et 2 % des femmes souffrent d'AOS Note de bas de page 37. Certaines estimations indiquent une incidence plus élevée d'AOS chez les hommes d'âge moyen, et surtout chez ceux qui ont un surplus de poids. Selon ces estimations, jusqu'à 10 % des hommes âgés de 40 à 60 ans pourraient en être atteints Note de bas de page 38. De plus, l'AOS est plus fréquente chez les personnes qui ronflent Note de bas de page 39, et des liens clairs ont été établis entre cette affection et l'obésité Note de bas de page 40. Parmi les options de traitement pour l'AOS, on retrouve la perte de poids, la ventilation spontanée en pression positive continue Note de bas de page 41, les orthèses d'avancée mandibulaire et la chirurgie des voies respiratoires supérieures.

Après l'événement à l'étude, le contremaître a reçu un diagnostic d'AOS légère et présentait les facteurs de risque suivants : ronflements, problèmes de sommeil, indice de masse corporelle élevé, âge moyen. L'évaluation polysomnographique a permis de constater des perturbations du sommeil liées à l'AOS se produisant principalement pendant le premier tiers de la période de sommeil (nocturne).

1.9.5.2 Syndrome des mouvements périodiques des membres

Le syndrome des mouvements périodiques des membres est un trouble du sommeil qui se caractérise par des épisodes périodiques de mouvements répétitifs involontaires des membres pendant le sommeil Note de bas de page 42. Ces mouvements des membres peuvent entraîner des périodes d'agitation et des réveils dont les personnes peuvent ne pas être conscientes. Dans d'autres cas, les personnes atteintes de ce syndrome peuvent avoir de la difficulté à s'endormir et/ou rester endormies en raison des mouvements de leurs membres. Les personnes atteintes du syndrome des mouvements périodiques des membres risquent davantage que les autres de souffrir de fatigue et de somnolence excessive pendant le jour, en raison de leur sommeil fragmenté Note de bas de page 43. La prévalence de ce syndrome chez les personnes d'âge moyen et les aînés se situe entre 4 % et 11 % Note de bas de page 44. On sait que le syndrome des mouvements périodiques des membres et l'AOS peuvent être concomitants.

Après l'événement à l'étude, le contremaître a reçu un diagnostic de léger syndrome des mouvements périodiques des membres qui perturbait quelque peu son sommeil, et ce, particulièrement pendant les 2 derniers tiers de la période de sommeil (nocturne).

1.10 Prise de décisions et conscience de la situation

Pour favoriser l'efficacité de la prise de décisions, les personnes doivent bien comprendre leurs objectifs, leurs décisions et leurs besoins en information. De plus, l'efficacité de la prise de décisions d'une personne dépend de la justesse de sa conscience de la situation (c.-à-d. de la perception des éléments dans un environnement au cours d'une période et dans un espace donnés, de la compréhension de leur signification et de la projection de leur état futur Note de bas de page 45). Une conscience précise de la situation permet à une personne d'effectuer des prédictions informées et justes relativement aux conséquences potentielles de ses décisions. Quand une personne reçoit de l'information qu'elle s'attendait à recevoir, elle a tendance à réagir rapidement et sans commettre d'erreurs. Cependant, quand une personne reçoit de l'information contraire à ses attentes, son rendement peut être lent ou inapproprié Note de bas de page 46.

Dans l'événement à l'étude, le contremaître ne savait pas que le train 100-03 passerait dans la région. Il croyait que la zone du POV 2213 s'étendait jusqu'à Nemegos. L'équipe d'entretien de la voie avait prévu quitter Kinogama et retirer le véhicule d'entretien de la voie au passage à niveau du point milliaire 118,60, ce qui nécessitait l'obtention d'un nouveau POV. Au moment où le contremaître aurait dû obtenir un nouveau POV, les employés d'entretien de la voie s'affairaient à déplacer le matériel de déneigement sur la voie de garage (de l'extrémité est à l'extrémité ouest).

1.10.1 Contrôle du respect de la zone des permis d'occuper la voie en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

Les conflits entre des trains et des véhicules d'entretien sont des événements dont la probabilité est faible, mais qui comportent des risques élevés. Pour prévenir ces conflits en territoire CCC, diverses règles ont été intégrées au REF :

L'application efficace du REF n'est possible que dans un environnement de travail qui peut être surveillé adéquatement. Même si les employés d'entretien de la voie faisaient l'objet de contrôles périodiques, ils travaillaient souvent seuls (en petites équipes) à des endroits relativement isolés. Les chances que les manquements au REF soient décelés régulièrement étaient donc faibles.

En décembre 2013, l'équipe du véhicule d'entretien en cause dans l'événement à l'étude avait contrevenu à plusieurs règles et instructions du chemin de fer. L'opérateur de machine avait reçu des points d'inaptitude pour ces manquements. Le contremaître avait d'abord été congédié du chemin de fer, en raison d'une accumulation de manquements au règlement (depuis 2006) pour lesquels il avait reçu des points d'inaptitude. En février 2014, le contremaître avait été réengagé et avait retrouvé son poste.

1.11 Technologies de protection des véhicules d'entretien

1.11.1 Commande intégrale des trains

Le système de commande intégrale des trains (positive train control, ou PTC) est une technologie en cours de développement visant à prévenir :

Un système PTC comprend des fonctions permettant :

Aux États-Unis, la collision entre un train de voyageurs de Metrolink et un train de marchandises de l'Union Pacific à Chatsworth (Californie) en septembre 2008 a entraîné l'adoption de la Rail Safety Improvement Act of 2008 . Cette loi rendait obligatoire l'installation, au plus tard en 2015, du PTC sur les lignes ferroviaires à risque plus élevé aux États-Unis. Toutefois, en raison d'un certain nombre de défis techniques, l'échéance de la mise en œuvre du PTC a été reportée au 31 décembre 2018, et pourrait être encore repoussée, au cas par cas, par les chemins de fer individuels, avec la permission de la Federal Railroad Administration (FRA) Note de bas de page 47. De plus, la FRA doit certifier cette technologie et son application pour chaque chemin de fer avant qu'elle puisse être utilisée en service commercial.

Au Canada, il n'existe actuellement aucun système PTC en usage sur les chemins de fer de marchandises ou de voyageurs, et aucune installation d'un tel système n'est prévue pour les chemins de fer de compétence fédérale. Cependant, le CP et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) sont tous deux tenus de satisfaire aux exigences relatives au PTC dans leurs activités aux États-Unis. Le CP prévoit une mise en œuvre intégrale du PTC dans son réseau américain d'ici la fin de 2018.

Toutefois, pour protéger les véhicules d'entretien de la voie et permettre l'arrêt automatique du matériel roulant avant une collision, le système PTC doit être en mesure de détecter les véhicules d'entretien sur la voie. Parmi les technologies qui pourraient servir à la détection des véhicules d'entretien, on retrouve :

1.11.2 Shuntage des rails par le matériel ferroviaire

Une source d'alimentation (circuit de voie) transmet un courant électrique dans les rails pour détecter l'occupation de la voie. Il y a un shunt lorsque le courant électrique passe d'un rail à l'autre, comme lorsque les roues et les essieux non isolés d'un wagon permettent le passage du courant entre les rails.

Les voies sont divisées en cantons de différentes longueurs qui sont séparés les uns les autres par des joints isolants. En territoire CCC, des signaux ferroviaires se trouvent à l'entrée de chaque canton pour régir la circulation des trains et assurer des intervalles adéquats entre les trains. Quand un train entre dans un canton libre, le signal affiche une indication permissive. Cependant, si un autre train ou un autre véhicule établissant un relais entre les rails (fermant le circuit) occupe le canton devant, ou si la continuité électrique des rails est interrompue en raison de la rupture d'un rail ou de l'ouverture d'un aiguillage, le système génère une séquence de signaux informant l'équipe qu'elle doit arrêter le train ou ralentir suffisamment pour pouvoir s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité (figures 4 et 5).

Au Canada, comme les roues de la plupart des véhicules d'entretien sont isolées, ces véhicules ne font pas passer le courant entre les rails. Ainsi, la plupart des véhicules d'entretien n'activent pas les signaux ferroviaires Note de bas de page 48, et les CCF ne peuvent pas les suivre sur leurs écrans.

Figure 4. Canton de voie occupé
Figure 4. Canton de voie occupé
Figure 5. Canton de voie libre
 Figure 5. Canton de voie libre

Un autre avantage du shuntage des rails par les véhicules d'entretien est l'activation du système d'avertissement de passage à niveau aux passages à niveau à protection active. De 2010 à 2016, 17 collisions (annexe A) entre des véhicules d'entretien et des véhicules routiers sont survenues au Canada à des passages à niveau dotés d'un système d'avertissement de passage à niveau (feux clignotants et cloche, ou feux clignotants, cloche et barrières) qui ne fonctionnait pas au moment de l'accident.

Le 1er mars 2016, le BST a envoyé la lettre d'information sur la sécurité ferroviaire 04/16 à Transports Canada après qu'une collision est survenue entre un véhicule routier et du matériel de déneigement du CP (véhicule d'entretien) au passage à niveau public de la route Dennison, au point milliaire 105,19 de la subdivision de Winchester, près de Bedell (Ontario) (événement R16H0017 du BST). Le système d'avertissement de passage à niveau ne fonctionnait pas au moment où la collision est survenue. Cette lettre indiquait notamment ce qui suit :

[Traduction]

Comme des dispositifs de signalisation automatiques sont installés aux passages à niveau où le volume du trafic routier justifie l'utilisation de moyens de protection supplémentaires, les conducteurs de véhicules routiers s'attendent à recevoir un avertissement suffisant pour qu'ils puissent s'arrêter avant le passage à niveau. Ainsi, l'activation de dispositifs de signalisation automatiques avant qu'un véhicule d'entretien ne s'engage dans un passage à niveau correspondrait aux attentes des conducteurs de véhicules routiers.

Il y a toutefois des limites au shuntage des rails par les véhicules d'entretien. Par exemple, lorsque les roues du véhicule d'entretien n'établissent pas un contact efficace avec le rail (p. ex., si la surface du rail est rouillée ou si les roues se soulèvent au-dessus de dépôts de neige, de sable, de saleté ou de feuilles mortes), le relais peut être intermittent. Dans de telles circonstances, l'occupation de la voie peut être détectée de manière intermittente ou ne pas être détectée.

Aux États-Unis, le chemin de fer Union Pacific exige maintenant que tout son matériel roulant ferroviaire, y compris les véhicules d'entretien, soit doté d'un dispositif de shuntage. D'autres chemins de fer américains exigent l'utilisation de dispositifs de shuntage lorsque du personnel travaille sur la voie (figure 6). Ces dispositifs de shuntage sont habituellement installés manuellement et servent à protéger les équipes d'entretien de la voie. Ce système de protection de la voie fait en sorte que les trains reçoivent un signal d'arrêt absolu à l'approche de cantons où travaillent des employés. Les dispositifs de shuntage ne sont pas conçus pour protéger les employés d'entretien de la voie lorsqu'ils circulent sur la voie, car il faut les installer sur la voie, puis les retirer avant de quitter le canton. Par conséquent, l'utilisation de dispositifs de shuntage n'aurait pas prévenu l'événement à l'étude car le véhicule d'entretien effectuait un déplacement.

Figure 6. Dispositif de shuntage
Figure 6. Dispositif de shuntage
1.11.2.1 Recommandation du National Transportation Safety Board sur le shuntage

Le 29 janvier 1988, un train d'Amtrak circulant vers le nord a heurté du matériel d'entretien de la voie à Chester (Pennsylvanie). Le mécanicien de locomotive du train a subi de graves blessures. Huit membres de l'équipe du train et 15 voyageurs ont subi des blessures mineures. À la suite de son enquête sur cet événement, le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a émis la recommandation suivante à l'intention de l'American Railway Engineering Association (AREA) :

Déterminer des méthodes pour assurer un shuntage adéquat des circuits des systèmes de signalisation par la machinerie d'entretien circulant sur la voie et ajouter ces méthodes au manuel des pratiques recommandées.
Recommandation R-89-005 du BST

Note de bas de page 49

Le 14 juin 1989, en réponse à cette recommandation, l'AREA a notamment indiqué ce qui suit :


Recommandation M##-## du BST

[Traduction]

La décision d'utiliser du matériel isolé ou non est une décision qu'il vaut mieux laisser aux différents chemins de fer en fonction des particularités de leurs règles de sécurité et procédures d'entretien, telles qu'établies par leurs services d'exploitation, de signalisation et d'entretien de la voie. La principale mesure de sécurité doit prendre la forme d'ordres écrits qui interdisent l'exploitation simultanée imprévue de trains et de matériel d'entretien de la voie sur une même voie. Pour les raisons susmentionnées, l'AREA est d'avis qu'il ne convient pas de recommander des pratiques suivant les suggestions du NTSB. L'AREA croit que, dans l'intérêt de la sécurité, il vaut mieux qu'elle ne prenne aucune mesure relativement aux questions mentionnées par le NTSB dans sa recommandation de sécurité R-89-5.

Le 15 novembre 1989, le NTSB a déterminé que la réponse de l'AREA était inacceptable. Le NTSB a notamment indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Le NTSB est toujours d'avis que la protection offerte par le système de cantonnement automatique est essentielle à la prévention des accidents causés par une erreur humaine, comme il l'a indiqué dans son rapport sur l'accident d'Amtrak à Chester (Pennsylvanie) à l'origine de cette recommandation. […] Jusqu'à ce qu'il soit possible d'assurer un niveau suffisant de protection contre les intrusions sur des voies hors service à l'aide d'équipement non isolé et de dispositifs positifs de shuntage, la protection dépendra seulement des procédures. Le Safety Board est d'avis que le règlement d'exploitation d'Amtrak et les instructions relatives à la protection de l'équipement d'entretien sur la voie doivent toujours être considérés comme la principale mesure de sécurité, et, dans la mesure du possible, les procédures doivent être conçues pour réduire au minimum les risques d'erreur humaine. Note de bas de page 50

Récemment, le 3 avril 2016, un accident similaire s'est produit lorsque le train de voyageurs 89 d'Amtrak roulant à 106 mi/h a heurté une machine d'entretien de la chaussée (une pelle rétrocaveuse) près de Chester (Pennsylvanie). L'opérateur de la pelle rétrocaveuse et un superviseur des travaux d'entretien ont subi des blessures mortelles. Des 7 membres d'équipage et 337 voyageurs à bord, 41 personnes ont été conduites à l'hôpital. Le NTSB poursuit son enquête sur cet événement. Parmi les lacunes de sécurité qui ont été décelées, le NTSB a constaté qu'on n'avait pas utilisé de dispositif de shuntage d'appoint Note de bas de page 51.

1.11.3 Détection d'équipement et technologie GPS

Certains chemins de fer utilisent la technologie GPS pour situer l'équipement sur la voie et en assurer la surveillance. À l'avenir, cette technologie pourrait être intégrée dans un système anticollision.

À la suite d'une collision entre 2 trains survenue en 1996 près de Sept-Îles (Québec) (rapport d'enquête R96Q0050 du BST), le Chemin de fer QNS&L (QNS&L) a conçu un système anticollision basé sur la technologie GPS. Le QNS&L a mis en œuvre ce détecteur de proximité dans son réseau ferroviaire en juillet 1997. Le détecteur utilise la technologie GPS pour situer toutes les locomotives et tous les véhicules d'entretien sur la voie. Il fournit des avertissements sonores et visuels aux opérateurs de matériel se trouvant à une distance donnée des trains, et déclenche un freinage compensateur si les équipes des trains ne réagissent pas aux avertissements. Sauf dans le cadre d'essais de portée limitée, aucun système semblable n'a été mis en œuvre sur d'autres chemins de fer canadiens.

Aux États-Unis, au début des années 2000, le chemin de fer Burlington Northern Santa Fe (BNSF) a mis en œuvre un système anticollision (nommé « Hy-Rail Limits Compliance System ») pour ajouter une couche de sécurité supplémentaire à l'exploitation de véhicules rail-route sur des voies principales en service en recourant à la technologie GPS. Ce système surveille l'emplacement des véhicules rail-route relativement à leur zone de circulation autorisée. Lorsqu'un véhicule s'approche de la limite de sa zone de circulation autorisée, les employés d'entretien sont alertés. Si un véhicule dépasse ses limites d'autorisation, une alarme continue retentit et le système avise le répartiteur.

En 2004, le BNSF a commencé à tester le système de gestion électronique des trains (Electronic Train Management System, ou ETMS), une technologie anticollision qui utilise des données GPS et un logiciel pour déterminer l'emplacement des trains et s'assurer qu'ils ne dépassent pas leurs limites d'autorisation et la limite de vitesse autorisée. Ces 2 systèmes mis au point pour le BNSF sont basés sur des technologies semblables. L'ETMS est un système PTC approuvé qui constitue la base du système I-ETMS (Interoperable Electronic Train Management System, ou système interopérable de gestion électronique des trains), également un système PTC approuvé, que la plupart des chemins de fer de marchandises des États-Unis ont adopté, y compris le CP et le CN sur leurs lignes ferroviaires aux États-Unis.

Le CP a installé des dispositifs GPS dans la plupart de ses véhicules d'entretien. Toutefois, le véhicule d'entretien en cause dans l'événement à l'étude n'était pas doté d'un tel dispositif. Le CP recueille des données GPS, mais les utilise principalement à des fins de gestion du parc. Les données GPS n'étaient pas utilisées pour permettre au CCF, aux équipes d'exploitation ou aux employés d'entretien de la voie de surveiller les véhicules sur la voie.

1.11.4 Permis d'occuper la voie électroniques

En mai 2012, à la suite d'événements où des véhicules d'entretien ont dépassé leurs limites d'autorisation, le CN a mis en œuvre un système de permis d'occuper la voie électroniques. Le système est utilisé par les CCF et des employés d'entretien qualifiés en vertu des règlements. Un ordinateur portable affichant l'écran de la CCC a été installé dans chaque véhicule d'entretien.

Lorsqu'il faut occuper la voie, le contremaître peut demander un POV en sélectionnant à l'écran le tronçon de voie requis. Si le CCF approuve le POV électronique, il signale l'autorisation, et le tronçon de voie faisant l'objet du POV s'affiche (en jaune) à l'écran de la CCC. Les autres POV, ainsi que les trains et leur itinéraire prévu, sont également affichés à l'écran de la CCC.

À bord du véhicule d'entretien, l'écran de la CCC est affiché en temps quasi réel, le système actualisant l'écran toutes les 7 secondes. L'information est stockée sur l'ordinateur portable pendant 72 heures, puis est téléversée dans une base de données centrale.

Le système de POV électroniques a toutefois certaines limitations. Par exemple, comme ce système nécessite une couverture cellulaire Note de bas de page 52, il n'est pas possible de l'utiliser dans certains secteurs isolés du réseau ferroviaire, comme dans le nord de l'Ontario. De plus, ce système ne peut pas détecter des renseignements inexacts, par exemple une mauvaise voie (en territoire à voies multiples) ou un point milliaire hors de la zone d'autorisation du POV, ni ne peut intervenir en cas de saisie d'information inexacte.

Au moment de l'événement à l'étude, le CP travaillait à la mise au point d'un système dit « d'employé responsable ». Le système a été lancé en juillet 2016 et sa généralisation est prévue en 2017 dans l'ensemble du réseau canadien du CP. Il permet aux employés qualifiés sur le terrain de demander et de recevoir des POV par voie électronique, à l'aide d'un ordinateur portable. Il offre un aperçu de la subdivision semblable à ce qui s'affiche à l'écran de la CCC, et indique les zones d'application des POV et l'emplacement des trains. Le système d'employé responsable nécessite une communication entre l'ordinateur portable et le bureau des CCF par l'intermédiaire d'une connexion cellulaire ou d'un point d'accès Wi-Fi. Il ne convient pas pour certains secteurs isolés du réseau ferroviaire, par exemple, dans le nord de l'Ontario. On s'attend à ce que ce système réduise les risques d'erreurs de transcription ou la confusion en ce qui concerne les zones d'autorisation lorsque les employés demandent ou utilisent un POV du CCF, et lorsqu'ils protègent des sous-contremaîtres ou transmettent des instructions relatives à un mouvement. Au moment de l'événement à l'étude, le CP n'avait pas encore mis en œuvre le système d'employé responsable.

Les systèmes de POV électroniques du CN et du CP n'ont pas été conçus pour transmettre des avertissements aux employés d'entretien de la voie lorsqu'ils s'approchent de l'extrémité de la zone d'application d'un POV.

1.11.4.1 Événements similaires ayant touché des véhicules d'entretien

La base de données des événements ferroviaires du BST a été consultée pour repérer des événements similaires de dépassement des limites d'autorisation par des véhicules d'entretien survenus sur la période de 10 ans entre 2007 et 2016.

Au cours de cette période de 10 ans, 263 événements de ce type se sont produits (figure 7), soit 139 au CP et 124 au CN. De ces 263 événements, 16 ont donné lieu à une collision entre un train et un véhicule d'entretien sur la voie principale.

Figure 7. Nombre d'événements par 1000 milles de voie principale par année où des véhicules d'entretien du CP Note de bas de page 53 et du CN Note de bas de page 54 ont dépassé leurs limites d'autorisation, de 2007 à 2016
Figure 7. Nombre d'événements par 1000 milles de voie principale par année où des véhicules d'entretien du CP  et du CN  ont dépassé leurs limites d'autorisation, de 2007 à 2016

Dans les 5 ans depuis la mise en œuvre du système de POV électroniques au CN en 2012, le CN n'a constaté aucune réduction supplémentaire de la fréquence de ces événements. Pendant cette même période de 5 ans, le CP a connu une augmentation de 28 % de ces événements. Certains de ces changements pourraient découler d'une augmentation des activités d'entretien ou d'autres facteurs.

1.12 Système de gestion de la sécurité du Chemin de fer Canadien Pacifique

TC a élaboré le Règlement sur le SGS, en vertu duquel les chemins de fer sont responsables de la gestion de leurs risques pour la sécurité.

Les alinéas 5e) et 5g) du Règlement sur le SGS indiquent ce qui suit :

La compagnie de chemin de fer élabore et met en œuvre un système de gestion de la sécurité qui comprend :

[…]

  1. un processus pour cerner les préoccupations en matière de sécurité Note de bas de page 55;

[…]

  1. un processus pour mettre en œuvre et évaluer les mesures correctives Note de bas de page 56 […] Note de bas de page 57

De plus, l'article 13 du Règlement sur le SGS indique ce qui suit :

La compagnie de chemin de fer effectue, de façon continue, des analyses de son exploitation ferroviaire pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, y compris toute tendance actuelle, nouvelle tendance ou situation répétitive. Les analyses reposent, à tout le moins, sur les éléments suivants :

  1. tout signalement d'accidents ferroviaires;
  2. tout document interne relatif aux accidents ferroviaires;
  3. tout signalement de blessures;
  4. les résultats de toute inspection effectuée par la compagnie de chemin de fer ou un inspecteur de la sécurité ferroviaire;
  5. tout signalement, fait par les employés de la compagnie de chemin de fer et reçu par elle, des infractions ou des dangers pour la sécurité;
  6. toute plainte relative à la sécurité qui est reçue par la compagnie de chemin de fer;
  7. toute donnée provenant de technologies de surveillance de la sécurité;
  8. les conclusions du rapport annuel visé au paragraphe 29(3);
  9. les constatations figurant dans tout rapport d'audit. Note de bas de page 58

L'alinéa 15(1)a) du Règlement sur le SGS indique ce qui suit :

La compagnie de chemin de fer effectue une évaluation des risques dans les circonstances suivantes :

  1. lorsqu'elle cerne une préoccupation en matière de sécurité dans son exploitation ferroviaire à la suite des analyses effectuées en vertu de l'article 13 [...] Note de bas de page 59

Dans le cadre du SGS du CP, des données sur la sécurité sont recueillies et analysées pour discerner les nouvelles tendances, y compris les situations répétitives où la sécurité est compromise. Rien n'indique que le CP avait constaté la tendance à l'augmentation des dépassements des limites d'autorisation par des véhicules d'entretien, et ce, même si le CP avait commencé à travailler sur son système d'employé responsable.

1.13 Liste de surveillance du BST

La gestion de la sécurité et la surveillance resteront sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • Les entreprises qui possèdent un SGS doivent démontrer que celui-ci fonctionne bien (c'est-à-dire qu'il permet de cerner les dangers et que des mesures efficaces d'atténuation des risques sont mises en œuvre).
  • Si les entreprises ne peuvent gérer efficacement la sécurité, TC doit non seulement intervenir, mais le faire de façon à changer les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

Gestion de la sécurité et surveillance est un enjeu de la Liste de surveillance 2016. Il incombe à toutes les entreprises de transport de gérer les risques de sécurité liés à leurs activités.

Certaines entreprises considèrent que leurs mesures de sécurité sont appropriées tant qu'elles sont conformes aux exigences de la réglementation. Or, la réglementation ne suffit pas, à elle seule, à prévenir tous les risques uniques à une activité particulière. C'est la raison pour laquelle le BST a maintes fois souligné les avantages du SGS, cadre reconnu à l'échelle internationale pour permettre aux entreprises de gérer efficacement les risques et de rendre leur exploitation plus sécuritaire.

Le passage à un SGS doit être accompagné d'une surveillance réglementaire appropriée. Puisque les organismes de réglementation devront traiter avec des entreprises ayant différentes capacités ou différents niveaux d'engagement en matière de gestion préventive des risques, cette surveillance doit être équilibrée. Elle doit inclure la vérification en amont des processus de gestion de la sécurité, une formation pratique et théorique continue et des contrôles habituels permettant d'assurer le respect de la réglementation en vigueur.

1.14 Examen du véhicule d'entretien par le Laboratoire technique du BST

Le véhicule d'entretien (véhicule rail-route) en cause dans l'événement à l'étude était une camionnette de location Ford F350 2015 à quatre roues motrices, cabine double et boîte longue, ayant accumulé 15 000 km.

Le véhicule endommagé a été examiné par le Laboratoire technique du BST. Il a été établi que :

1.14.1 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

Ni l'état de la voie ni la conduite du train 100-03 n'ont contribué à l'événement à l'étude. L'analyse portera donc principalement sur les moyens de protection administratifs relatifs aux employés d'entretien de la voie, sur les facteurs de risque liés à la fatigue et sur les technologies de protection des véhicules d'entretien.

2.1 L'accident

La collision s'est produite lorsque le véhicule d'entretien a été exploité au-delà du signal extérieur de la voie principale à l'ouest de la voie d'évitement de Kinogama sans avoir obtenu un permis d'occuper la voie (POV) pour protéger le mouvement.

Les employés d'entretien de la voie se préparaient à quitter les lieux parce qu'ils avaient terminé les travaux à la voie d'évitement de Kinogama, et ils devaient se rendre à Chapleau pour ravitailler le véhicule rail-route en carburant avant de retourner à Ramsey. Toutefois, ils se sont rendu compte qu'ils avaient garé le matériel de déneigement au mauvais endroit au moment où le contremaître aurait dû s'assurer qu'il avait les limites appropriées avant de partir. Les employés se sont affairés à garer le matériel de déneigement au bon endroit. La nécessité d'obtenir un nouveau POV désignant la zone jusqu'à Nemegos et d'effectuer une nouvelle séance d'information sur les travaux leur a échappé.

Lorsque l'opérateur de machine a pris place dans le véhicule après avoir garé le matériel de déneigement à l'extrémité ouest de la voie de garage, le contremaître, croyant que la zone d'application du POV en vigueur s'étendait jusqu'à Nemegos, lui a indiqué qu'ils pouvaient circuler vers l'ouest jusqu'au passage à niveau du point milliaire 118,60 pour dégager la voie. Toutefois, avant de quitter la voie d'évitement, les employés d'entretien n'ont ni tenu de nouvelle séance d'information sur les travaux conformément aux exigences du Engineering on Track Safety/Task Assessment Booklet du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), ni passé en revue les termes du POV. Comme les employés d'entretien de la voie n'avaient pas discuté de la zone d'application du POV avant de quitter la voie d'évitement de Kinogama, la méprise du contremaître sur ses limites n'a pas été constatée. Néanmoins, comme l'opérateur de machine avait lu et paraphé le POV précédent, il aurait dû savoir qu'il fallait obtenir un nouveau POV avant de quitter la voie d'évitement, et qu'il fallait tenir une nouvelle séance d'information sur les travaux pour consulter et parapher le nouveau POV. Ainsi, comme l'opérateur de machine n'a pas demandé à consulter et parapher le POV comme il devait le faire, les employés d'entretien de la voie ont perdu une autre occasion de constater qu'ils n'étaient pas autorisés à s'engager sur la voie principale.

Ce jour-là, vu les travaux de déneigement à effectuer sur la voie d'évitement de Kinogama, l'aiguillage à double commande devait être manœuvrée et réorientée à plusieurs reprises. Le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) leur avait donc permis de prendre les commandes de l'aiguillage en le plaçant à la position de manœuvre manuelle. Après les travaux de la journée, les employés d'entretien de la voie devaient remettre l'aiguillage en position de manœuvre électrique, puis en aviser le CCF. Les employés d'entretien de la voie n'ont pas avisé le CCF qu'ils avaient remis l'aiguillage à double commande en position de manœuvre électrique comme l'exigeait la règle 10.2 du Rule Book for Engineering Employees du CP.

Le Rule Book for Engineering Employees du CP exige que, chaque fois qu'un véhicule d'entretien s'engage sur une voie principale, l'équipe d'entretien de la voie diffuse un message radio sur le canal d'attente des trains. Ce message doit comprendre différents renseignements, dont son emplacement, la direction du mouvement, la destination et la zone d'application du POV. La diffusion de ce message constitue une mesure de sécurité supplémentaire; elle permet aux employés d'entretien de la voie de se rappeler leurs limites d'autorisation et d'avertir les trains et les autres véhicules d'entretien à proximité de l'approche de leur mouvement. Il permet à toutes les parties concernées de maintenir leur conscience de la situation. Toutefois, dans l'événement à l'étude, les employés d'entretien de la voie n'ont pas diffusé de message radio pour signaler qu'ils s'engageaient sur la voie principale.

De plus, selon la règle 119 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), les radios de l'équipement d'entretien de la voie doivent être réglées en mode balayage pour capter les messages diffusés par les trains à proximité. Les employés d'entretien de la voie n'avaient pas réglé leur radio en mode balayage. Les mesures de protection supplémentaires ont été neutralisées du fait que les employés d'entretien de la voie n'ont pas appelé le CCF pour l'aviser de l'état de l'aiguillage à double commande, diffusé un message avant de s'engager sur la voie principale, et réglé leur radio en mode balayage.

Au CP, comme les véhicules rail-route de ce type ne font pas le shuntage des rails, ils n'activent pas les signaux du système de commande centralisée de la circulation (CCC) et ne sont pas indiqués à l'écran du CCF. Ainsi, après avoir quitté la voie d'évitement de Kinogama, le véhicule d'entretien a parcouru environ 8 milles sans apparaître à l'écran du CCF et sans être détecté par l'équipe du train de marchandises circulant en sens opposé.

Près du point milliaire 118,50, alors que le train et le véhicule d'entretien abordaient la courbe en sens opposés, l'équipe du train a aperçu le véhicule d'entretien et a déclenché un freinage d'urgence. Environ au même moment, les employés d'entretien de la voie ont aperçu le train et ont immédiatement immobilisé le véhicule d'entretien.

Comme la fonction de verrouillage automatique et le dispositif de verrouillage de sécurité pour enfants du véhicule d'entretien étaient réglés de manière à faciliter l'évacuation, les employés d'entretien de la voie ont pu quitter le véhicule assez facilement. Environ 6 secondes plus tard, comme il était trop tard pour qu'il s'arrête, le train 100-03 a heurté le véhicule d'entretien immobilisé.

2.2 Moyens de protection administratifs

Les contrôles de l'efficacité effectués au cours des 12 mois précédant l'événement à l'étude avaient permis de constater qu'à au moins une autre occasion, les 2 employés s'étaient servis d'un POV qu'ils n'avaient pas paraphé et rempli.

Plus tôt au cours de la journée, le CCF et le contremaître avaient eu plusieurs discussions concernant le mouvement des trains. Pendant ces discussions, le contremaître n'était pas au courant du passage du train 100-03 dans le secteur. Comme tous les trains qu'ils attendaient étaient passés, le contremaître pensait qu'il n'y aurait pas d'autres trains au cours de l'après-midi.

Comme l'exigent le REF et différentes procédures du CP, il y avait plusieurs moyens de protection pour aider à détecter et corriger des erreurs ainsi que pour améliorer la conscience de la situation. Toutefois, dans l'événement à l'étude, les employés d'entretien de la voie n'ont pas utilisé tous les moyens de protection disponibles :

Si on ne respecte pas constamment les règles et les procédures des chemins de fer concernant la circulation de véhicules d'entretien en voie principale, les moyens de protection administratifs permettant de détecter les erreurs et d'accroître la conscience de la situation peuvent être neutralisés, ce qui augmente le risque de collisions entre des trains et des véhicules d'entretien.

2.3 Facteurs de risque liés à la fatigue

Selon leur horaire de travail, les employés d'entretien de la voie devaient effectuer 7 quarts de 11,25 heures en 1 semaine, pour un total de 78,75 heures, et ils bénéficiaient ensuite d'une semaine de congé. Le temps nécessaire au déplacement entre le domicile et le lieu de travail éloigné (de 6,5 à 10,5 heures) n'était pas considéré comme du temps de travail, mais dans les faits, il portait à environ 90 heures par semaine le temps total consacré à des activités liées à la sécurité (dont la conduite d'un véhicule automobile).

Par rapport à une semaine de 40 heures, les semaines de travail prolongées sont associées à des risques accrus d'accident. Si cet horaire de 7 jours de travail suivis de 7 jours de congé facilite les travaux d'entretien de la voie en région éloignée, il nécessite la compression d'un grand nombre d'heures de travail en une période relativement courte. Dans une telle situation, si la qualité ou la durée du sommeil nocturne est réduite pour quelque raison que ce soit, un travailleur s'expose au cours de la journée à des risques accrus de fatigue et à la diminution de rendement qui y est associée. Pour réduire les risques de fatigue dans ces circonstances, un travailleur doit bénéficier chaque jour d'un sommeil nocturne de bonne qualité et d'une durée suffisante.

On a analysé les heures de travail et de repos des employés dans les 7 jours qui ont précédé l'accident et les facteurs connexes. Il a été établi que l'après-midi de l'événement à l'étude, il est peu probable que l'opérateur de machine ait été sujet à une fatigue particulière. Le contremaître présentait quant à lui certains facteurs de risque liés à la fatigue. Il avait accumulé un certain déficit de sommeil en raison de constantes perturbations de la durée et de la qualité du cycle de sommeil nocturne causées par une légère apnée obstructive du sommeil et un léger syndrome des mouvements périodiques des membres. De plus, comme l'événement à l'étude s'est produit pendant le creux circadien de l'après-midi, il était d'autant plus probable que le contremaître soit fatigué au moment de prendre la décision de quitter la voie d'évitement de Kinogama.

Une analyse quantitative de l'historique de travail et de repos du contremaître a été effectuée en utilisant le logiciel FAST (Fatigue Avoidance Scheduling Tool). L'analyse FAST a permis de constater que, dans la période précédant l'accident, le rendement du contremaître se situait probablement dans la plage de rendement d'une personne normale ayant manqué une nuit complète de sommeil. Au moment de prendre la décision de quitter la voie d'évitement de Kinogama, le niveau de fatigue du contremaître et ses répercussions négatives sur son rendement étaient influencés par un certain nombre de facteurs interdépendants, y compris les effets combinés probables de 2 troubles du sommeil (considérés comme étant légers), le moment de la journée (un creux circadien) et un horaire de travail exigeant.

2.4 Protection des véhicules d'entretien

Au Canada, les véhicules d'entretien n'activent pas les signaux, et leur occupation de la voie n'est pas indiquée à l'écran du CCF. Par conséquent, si des véhicules d'entretien dépassent leurs limites d'autorisation, les trains ou autres mouvements peuvent ne pas être conscients de leur présence, ce qui peut mener à des collisions. Il existe des technologies pouvant offrir un avertissement des mouvements qui s'approchent et permettent de détecter et de situer le matériel roulant se trouvant sur un tronçon donné pour aider à réduire les risques associés aux erreurs humaines.

Au moins un chemin de fer aux États-Unis utilise des véhicules d'entretien non isolés qui font le shuntage entre les rails et de ce fait activent les signaux et les rendent visibles pour les autres trains et le CCF. Ces véhicules activent aussi la signalisation des passages à niveau. On peut aussi utiliser des dispositifs de shuntage pour protéger les équipes de travail, mais ces dispositifs permettent habituellement de protéger les employés d'entretien de la voie pendant qu'ils travaillent dans un canton donné, et non les employés se déplaçant sur la voie. Dans certaines circonstances, l'utilisation de véhicules d'entretien non isolés et de dispositifs de shuntage constitue un moyen efficace pour détecter des employés et du matériel d'entretien se trouvant sur la voie, et ainsi contribuer à atténuer le risque de mouvements non protégés de véhicules d'entretien.

La technologie du système mondial de positionnement (GPS) peut aussi fournir au CCF, aux équipes de trains et aux autres équipes d'entretien de la voie un moyen fiable de détecter du matériel roulant sur la voie. Par exemple, le détecteur de proximité mis au point par le Chemin de fer QNS&L (QNS&L) utilise cette technologie. De plus, intégrée à un système de commande intégrale des trains (PTC), cette technologie pourrait assurer une protection complète de l'équipement d'entretien de la voie en immobilisant automatiquement les trains avant une collision.

Les systèmes de POV électroniques peuvent contribuer à réduire le nombre de dépassements des limites d'autorisation par des véhicules d'entretien. Toutefois, on ne peut pas les utiliser dans les régions sans couverture cellulaire.

Dans l'événement à l'étude, le chemin de fer observait les employés d'entretien de la voie et les soumettait à des contrôles de l'efficacité de façon régulière et uniformisée. Au cours des 12 mois précédents, le contremaître avait fait l'objet de 52 contrôles. Un tel nombre de contrôles n'était pas inhabituel; il correspondait au nombre normal de contrôles des autres contremaîtres du CP. L'opérateur de machine avait fait l'objet de 31 contrôles. Certains contrôles portaient sur la documentation, y compris les formulaires et des formalités telles que la prise par écrit d'un POV. D'autres contrôles portaient sur les communications radio et étaient effectués à distance en écoutant la radio. Au cours des 12 mois précédents, le contremaître avait échoué à 9 contrôles et l'opérateur de machine, à 3 contrôles. Malgré ces contrôles et ces échecs nombreux, l'équipe a continué à enfreindre certaines règles.

Comme de nombreuses équipes de véhicules d'entretien travaillent dans un grand réseau ferroviaire et qu'aucune technologie n'est utilisée pour surveiller leur emplacement, il peut être difficile de détecter les infractions aux règles liées à la zone d'application des POV, particulièrement dans des régions isolées, comme dans le nord de l'Ontario. Une surveillance en temps réel permet au CCF et à d'autre matériel roulant de détecter tout dépassement des limites d'autorisation et d'agir en conséquence. Si on ne met pas en œuvre des moyens de protection physiques offrant des avertissements ou permettant d'intervenir lorsque des véhicules d'entretien dépassent la zone d'application de leur POV, des situations dangereuses causées par des erreurs humaines peuvent passer inaperçues, ce qui augmente le risque de collisions entre des trains et des véhicules d'entretien.

2.5 Mise en œuvre de mesures correctives par le Chemin de fer Canadien Pacifique

Dans sa Liste de surveillance, le BST insiste sur l'importance de la mise en œuvre efficace de systèmes de gestion de la sécurité (SGS) pour assurer la détection préventive des dangers et le maintien des risques à un niveau acceptable.

Selon le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS), les chemins de fer sont responsables de la gestion de leurs risques pour la sécurité, et doivent établir un processus leur permettant de repérer les préoccupations en matière de sécurité et de mettre en œuvre et d'évaluer les mesures correctives. En vertu du Règlement sur le SGS, les chemins de fer doivent aussi analyser leurs activités ferroviaires pour déceler les tendances actuelles, les nouvelles tendances et les situations répétitives.

Dans le cadre du SGS du CP, des données sur la sécurité sont recueillies et analysées pour discerner les nouvelles tendances, y compris les situations répétitives compromettant la sécurité. Rien n'indique que le CP avait constaté la tendance à la hausse du nombre de dépassements des limites d'autorisation par des véhicules d'entretien. Toutefois, le CP avait commencé à travailler sur son système d'employé responsable, visant à atténuer les risques pour la sécurité dans la conduite de véhicules d'entretien. Si on n'examine pas périodiquement les données sur la sécurité ferroviaire pour en dégager les tendances établies, les nouvelles tendances et les situations répétitives, et si des mesures correctives appropriées ne sont pas prises, des risques pour la sécurité peuvent passer inaperçus et ne pas être atténués, ce qui augmente les risques d'accident.

2.6 Postes essentiels à la sécurité

Au Canada, les employés d'entretien de la voie ne sont pas considérés comme occupant des postes essentiels à la sécurité. Par conséquent, ces employés ne sont pas assujettis à des exigences supplémentaires, comme des examens médicaux périodiques permettant d'évaluer leur aptitude au travail, y compris de déterminer s'ils souffrent de troubles du sommeil. En vertu des procédures médicales relatives à l'aptitude au travail du CP, le contremaître et l'opérateur de machine étaient réputés occuper des postes liés à la sécurité. Par conséquent, ils étaient responsables de leur propre santé et devaient eux-mêmes signaler toute préoccupation relativement à leur aptitude à exécuter leurs tâches. Si les employés d'entretien de la voie qui accomplissent des tâches essentielles à la sécurité ou qui sont responsables de la sécurité d'employés travaillant sur la voie ou à proximité de la voie ne sont pas assujettis à des exigences médicales plus strictes, il est possible que des troubles médicaux sous-jacents, y compris des troubles du sommeil qui ont des répercussions sur le rendement des employés, ne soient pas détectées, ce qui augmente le risque d'accidents.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. La collision s'est produite lorsque le véhicule d'entretien a été exploité au-delà du signal extérieur de la voie principale à l'ouest de la voie d'évitement de Kinogama sans avoir obtenu un permis d'occuper la voie pour protéger le mouvement.
  2. Comme les employés d'entretien de la voie n'avaient pas discuté de la zone d'application du permis d'occuper la voie avant de quitter la voie d'évitement de Kinogama, la méprise du contremaître sur ses limites n'a pas été constatée.
  3. Comme l'opérateur de machine n'a pas demandé à consulter et parapher le permis d'occuper la voie comme il devait le faire, les employés d'entretien de la voie ont perdu une autre occasion de constater qu'ils n'étaient pas autorisés à s'engager sur la voie principale.
  4. Les mesures de protection supplémentaires ont été neutralisés du fait que les employés d'entretien de la voie n'ont pas appelé le contrôleur de la circulation ferroviaire pour l'aviser de l'état de l'aiguillage à double commande, diffusé un message avant de s'engager sur la voie principale, et réglé leur radio en mode balayage.
  5. Après avoir quitté la voie d'évitement de Kinogama, le véhicule d'entretien a parcouru environ 8 milles sans apparaître à l'écran du contrôleur de la circulation ferroviaire et sans être détecté par l'équipe du train de marchandises circulant en sens opposé.
  6. Au moment de prendre la décision de quitter la voie d'évitement de Kinogama, le niveau de fatigue du contremaître et ses répercussions négatives sur son rendement étaient influencés par un certain nombre de facteurs interdépendants, y compris les effets combinés probables de 2 troubles du sommeil (considérés comme étant légers), le moment de la journée (un creux circadien) et un horaire de travail exigeant.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si on ne respecte pas constamment les règles et les procédures des chemins de fer concernant la circulation de véhicules d'entretien en voie principale, les moyens de protection administratifs permettant de détecter les erreurs et d'accroître la conscience de la situation peuvent être neutralisés, ce qui augmente le risque de collisions entre des trains et des véhicules d'entretien.
  2. Si on ne met pas en œuvre des moyens de protection physiques offrant des avertissements ou permettant d'intervenir lorsque des véhicules d'entretien dépassent la zone d'application de leur permis d'occuper la voie, des situations dangereuses causées par des erreurs humaines peuvent passer inaperçues, ce qui augmente le risque de collisions entre des trains et des véhicules d'entretien.
  3. Si on n'examine pas périodiquement les données sur la sécurité ferroviaire pour en dégager les tendances établies, les nouvelles tendances et les situations répétitives, et si des mesures correctives appropriées ne sont pas prises, des risques pour la sécurité peuvent passer inaperçus et ne pas être atténués, ce qui augmente les risques d'accident.
  4. Si les employés d'entretien de la voie qui accomplissent des tâches essentielles à la sécurité ou qui sont responsables de la sécurité d'employés travaillant sur la voie ou à proximité de la voie ne sont pas assujettis à des exigences médicales plus strictes, il est possible que des troubles médicaux sous-jacents, y compris des troubles du sommeil qui ont des répercussions sur le rendement des employés, ne soient pas détectées, ce qui augmente le risque d'accidents.

3.3 Autres faits établis

  1. Comme la fonction de verrouillage automatique et le dispositif de verrouillage de sécurité pour enfants du véhicule d'entretien étaient réglés de manière à faciliter l'évacuation, les employés d'entretien de la voie ont pu quitter le véhicule assez facilement.
  2. Dans certaines circonstances, l'utilisation de véhicules d'entretien non isolés et de dispositifs de shuntage constitue un moyen efficace pour détecter des employés et du matériel d'entretien se trouvant sur la voie, et ainsi contribuer à atténuer le risque de mouvements non protégés de véhicules d'entretien.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.2 Transports Canada

Le 8 mars 2016, Transports Canada (TC) a envoyé une lettre de non-conformité relativement à la règle 803 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) au Chemin de fer Canadien Pacifique (CP).

Le 15 avril 2016, le CP a répondu à cette lettre en indiquant ce qui suit :

Dans le cadre de la surveillance effectuée par TC, le bureau régional de l'Ontario de TC avait constaté que les dépassements des limites d'autorisation par des véhicules d'entretien du CP constituaient un problème en 2016 et 2017. En conséquence, 6 inspections ont été effectuées pour évaluer la conformité à la règle 803 du REF. Aucune non-conformité au REF n'a été décelée au cours de ces inspections.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Collisions entre des véhicules d'entretien et des véhicules routiers survenues de 2010 à 2016 à des passages à niveau dotés d'un système d'avertissement de passage à niveau qui ne fonctionnait pas

Numéro d'événement Date Emplacement Résumé
R10T0074 20 avril 2010 Point milliaire 304,29, subdivision de Kingston, Whitby (Ontario) Un véhicule d'entretien (cramponneuse) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulant vers l'ouest sur la voie principale sud a heurté un véhicule au passage à niveau public de la rue South Blair. Aucune blessure n'a été signalée.
R10W0307 25 octobre 2015 Point milliaire 0,45, subdivision de Letellier, Winnipeg (Manitoba) Une régaleuse à ballast du CN circulant vers le nord a heurté une voiture au passage à niveau de l'avenue Windemere. Personne n'a été blessé.
R11Q0049 21 septembre 2011 Point milliaire 143,22, subdivision de Mont-Joli, Saint-Simon (Québec) Un véhicule d'entretien du CN circulant vers l'est à 20 mi/h a heurté un véhicule au passage à niveau public de la rue de la Gare. Aucune blessure n'a été signalée.
R11W0287 16 décembre 2011 Point milliaire 2,58, subdivision de Rosetown, Saskatoon (Saskatchewan) Un véhicule a heurté un morceau de rail que transportait une grue Speed Swing du CN au passage à niveau public de la route 60. Aucune blessure n'a été signalée.
R12E0102 14 août 2012 Point milliaire 236,42, subdivision de Wainwright, Lindbrook (Alberta) Un véhicule rail-route du CN a heurté un véhicule au passage à niveau public de la route secondaire 630. Aucune blessure n'a été signalée.
R12W0243 26 octobre 2012 Point milliaire 3,23, subdivision de Winnipeg Beach, Winnipeg (Manitoba) Un véhicule a heurté une régaleuse à ballast du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) au passage à niveau public Templeton. Le seul occupant du véhicule a subi des blessures mineures.
R13T0013 28 janvier 2013 Point milliaire 25,87, subdivision de Galt, Mississauga (Ontario) Un véhicule rail-route du CP a heurté un véhicule au passage à niveau public de la route Ninth Line. Aucune blessure n'a été signalée.
R13V0150 4 novembre 2013 Point milliaire 58,93, subdivision de Telkwa, Broman Lake (Colombie-Britannique) Une dégarnisseuse du CN a heurté un véhicule en franchissant un passage à niveau à Broman Lake. Le seul occupant du véhicule a subi des blessures mineures et a été conduit à l'hôpital. La dégarnisseuse n'a pas été endommagée et n'a pas déraillé.
R14C0021 10 janvier 2014 Point milliaire 32,30, subdivision de Red Deer, Crossfield (Alberta) Un véhicule circulant vers l'ouest a heurté un véhicule rail-route du CP à un passage à niveau public. Personne n'a été blessé.
R14E0180 1er octobre 2014 Point milliaire 44,20, subdivision de Grande Prairie, Grande Prairie (Alberta) Un véhicule a heurté une bourreuse Mark IV d'un sous-traitant du CN à un passage à niveau public. Personne n'a été blessé. La bourreuse a subi des dommages.
R15W0217 7 janvier 2015 Point milliaire 4,89, subdivision de Warman, Saskatoon (Saskatchewan) Un véhicule rail-route du CN circulant vers le nord pour inspecter la voie a été heurté par un véhicule circulant vers l'est à un passage à niveau public. Le véhicule a heurté la porte du conducteur du véhicule rail-route. Personne n'a été blessé. Les 2 véhicules ont subi des dommages.
R15D0042 9 avril 2015 Point milliaire 14,17, subdivision de Sorel, Varennes (Québec) Un véhicule circulant vers le sud a heurté une cramponneuse hydraulique du CN circulant vers l'est à 4 mi/h au passage à niveau public de la rue de la Marine. La machine du CN occupait les trois-quarts du passage à niveau public lorsque l'impact s'est produit. Personne n'a été blessé, et la machine n'a pas subi de dommages.
R15T0125 9 juin 2015 Point milliaire 29,30, subdivision de Galt, Milton (Ontario) Un véhicule d'entretien du CP qui reculait vers l'ouest sur la voie sud a dérapé et a heurté un véhicule circulant vers le nord à un passage à niveau public. Personne n'a été blessé. Le véhicule a subi des dommages.
R16H0017 18 février 2016 Point milliaire 105,19, subdivision de Winchester, Bedell (Ontario) Un véhicule de déneigement du CP circulant vers l'est dans la subdivision de Winchester a heurté une camionnette circulant vers le nord au passage à niveau public de la route Dennison. Le conducteur du véhicule a subi des blessures et a été conduit à l'hôpital.
R16W0129 22 juin 2016 Point milliaire 12,02, subdivision d'Oak Point, Winnipeg (Manitoba) Une camionnette a heurté une régaleuse à ballast circulant dans la subdivision d'Oak Point du chemin de fer Prairie Dog Central au passage à niveau public de la route Perimeter. Personne n'a été blessé, et il n'y a pas eu de déraillement ou de fuite.
R16M0038 18 octobre 2016 Subdivision 0,18, subdivision de Springhill, Truro (Nouvelle-Écosse) Une régaleuse à ballast du CN circulant vers l'ouest dans la subdivision de Springhill s'est immobilisée à un passage à niveau public, puis s'y est engagée. Une voiture circulant vers le sud a heurté le véhicule d'entretien. Personne n'a été blessé, et le matériel n'a pas subi de dommages.
R16E0111 15 novembre 2016 Point milliaire 34,51, subdivision de Brazeau, Red Deer Junction (Alberta) Un camion circulant vers l'est a heurté un réchauffeur de rails (véhicule d'entretien) du CN circulant vers le sud à un passage à niveau public dans la subdivision de Brazeau. Il n'y a eu ni blessure ni déraillement. Le réchauffeur de rails a subi des dommages.