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Rapport d'enquête maritime M99M0161

Chavirement et naufrage avec perte de vie
du bateau de pêche Wet N' Wild II
Baie Malpeque (Île-du-Prince-Édouard)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'équipage du Wet N' Wild II était occupé à remettre en place des écailles d'huîtres, des huîtres, du limon et du gravier dans une zone située au sud de l'île Bird dans la baie Malpeque. Le pont plate-forme où le chargement était arrimé s'est brusquement affaissé, et le bateau a donné de la bande. Dans l'espoir de se rendre à un quai sur l'île Lennox, le patron a viré le bateau de bord et a présenté le côté bas du bateau au vent.

Avec la bonne brise qui se levait et la mer courte, le bateau incliné a embarqué des paquets de mer et a chaviré. Un des cinq occupants s'est noyé.

Aucune pollution n'a été signalée.

This report is also available in English

Renseignements de base

Nom « WET N' WILD II »
Numéro de permis 809852
Port dimmatriculation Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard
Pavillon Canada
Type Détroit de Northumberland modifié
Construction Composite verre-résine
Jauge bruteNote de bas de page 1 14,97 tonneaux
Longueur 12,13 m
Largeur 4,27 m
Tirant deau (au moment du naufrage) inconnu
Construction 1993
Groupe propulseur 1 diesel Cummins produisant 321 kW
Équipage 2 personnes
Nombre de passagers 3 passagers
Propriétaire enregistré M. B. C. Hutt
Alberton (Île-du-Prince-Édouard)

Le bateau

Le Wet N' Wild II était un bateau non ponté typique du détroit de Northumberland, mais avec un dévers modifié à l'avant. Comme il jaugeait moins de 15 tonneaux, il n'était pas assujetti aux inspections réglementaires de Transports Canada, et il n'avait pas été inspecté.

Le Wet N' Wild II avait été récemment équipé d'un pont plate-forme temporaire pour faciliter le chargement et le déchargement du chargement en pontée. La plate-forme se trouvait à quelque 0,68 m au-dessus du pont du coffre étanche. Cette plate-forme était constituée de contre-plaqué de 2,5 cm d'épaisseur, recouvert de tôle, posé sur une armature de madriers de 5 cm x 15 cm. Elle s'étendait sur 4,27 m, de plat-bord à plat-bord, et du tableau arrière jusqu'à la timonerie, sur une distance de 4,87 m, ce qui lui donnait une superficie d'environ 20,8 m². Selon l'information recueillie, la plate-forme était soutenue par 39 madriers verticaux de 5 cm x 10 cm, et elle était attachée au plat-bord en composite verre-résine par deux crochets en acier fileté de chaque côté. La partie recourbée du crochet était accrochée à la lèvre intérieure du plat-bord. La partie droite (verticale) traversait la plate-forme et était fixée en place sur la face supérieure par une rondelle et un écrou.

La plate-forme installée sur le Wet N' Wild II était utilisée sans problème depuis plusieurs années sur un bateau similaire. On s'était également servi de cette plate-forme, sans problème, la veille du chavirement, de même qu'au cours d'un voyage précédent le jour de l'accident. La plate-forme n'avait pas été conçue par des professionnels, et aucun calcul n'avait été fait pour déterminer le nouveau centre de gravité du bateau après l'installation de la plate-forme et une fois la cargaison embarquée.

Déroulement du voyage

Le 1er décembre 1999, le Wet N' Wild II est chargé d'une cargaison d'écailles d'huîtres, de limon et de gravier à Ellerslie (Île-du-Prince-Édouard), au quai de la Prince Edward Island Shellfish Association. Aucun délai n'est fixé pour l'immersion, ni par le patron-propriétaire ni par l'affréteur, la Prince Edward Island Shellfish Association. Le bateau quitte le quai vers 8 h 45,Note de bas de page 2 pour son second voyage de la journée, à destination d'un secteur situé au sud de l'île Bird. Vers 9 h 15, le bateau rencontre du mauvais temps dans une zone non abritée entre l'île Lennox et l'île Bird et commence à rouler légèrement. À un moment donné, les crochets métalliques se détachent de la lèvre intérieure du plat-bord, et la plate-forme s'affaisse. Quand la cargaison ripe brusquement sur tribord, le bateau donne de la bande sur tribord.

Le patron-propriétaire du bateau tente alors diverses manoeuvres; il fait notamment des changements de route et de cap pour minimiser les effets de la gîte. Pendant ce temps, on s'efforce de diminuer la gîte en pelletant la cargaison pour la jeter par-dessus bord. Toutefois, tous ces efforts sont infructueux, et le patron-propriétaire met le cap vers un quai désaffecté sur l'île Lennox; or quand le bateau a commencé à donner de la bande sur tribord, le côté tribord était le côté sous le vent. Résultat, quand le bateau vire de bord, le côté tribord devient le côté au vent et le bateau commence à embarquer des paquets de mer par-dessus le plat-bord. Une tentative pour assécher le pont du coffre à l'aide d'une pompe portative échoue. Le bateau chavire rapidement avant de couler.

Après le chavirement du Wet N' Wild II, quatre occupants du bateau s'accrochent les uns aux autres et se cramponnent à la coque du bateau retournée. Le cinquième occupant flotte à plat ventre dans l'eau à côté du bateau. Les efforts pour lui venir en aide échouent parce que ses jambes sont, semble-t-il, prises sous le plat-bord.

D'un point d'observation sur la côte à environ 100 m de distance, un pêcheur de l'île Lennox voit que le Wet N' Wild II commence à prendre de la gîte et il commence à s'inquiéter pour la sécurité du bateau. Témoin du chavirement, il met promptement son doris à l'eau et ramène les survivants sur la terre ferme. Ceux-ci sont conduits à un hôpital des environs où ils sont examinés par un médecin et ensuite autorisés à rentrer chez eux. Le corps de la victime a été repêché près de la côte. L'autopsie a déterminé que l'homme était mort par noyade.

Photo 1. Le Wet N' Wild II avec un chargement typique le 30 novembre 1999
Le Wet N' Wild II avec un chargement typique le 30 novembre 1999

Les cinq personnes à bord du bateau accidenté étaient des connaissances et des amis. Pour ce voyage, en plus du patron-propriétaire et d'un membre d'équipage, trois autres personnes étaient montées à bord pour la balade et pour aider à déverser la cargaison dans l'eau. Personne à bord ne portait de gilet de sauvetage au moment de l'accident; un des survivants portait une combinaison de flottaison. Aucun des occupants n'était bon nageur.

Il y avait trois gilets de sauvetage à bord du bateau quand il a coulé. Deux de ces gilets de sauvetage bleus ont été repêchés par des gendarmes du détachement local de la Gendarmerie royale du Canada; il s'agissait de gilets non approuvés par Transports Canada.

Même s'il n'en avait pas besoin pour assurer la conduite du bateau, le patron-propriétaire était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche de quatrième classe délivré en 1996. Il avait aussi été titulaire d'un brevet de capitaine de petite embarcation, qui avait expiré en 1997. Il possédait 17 années d'expérience de la pêche, surtout de la pêche au homard et, au cours de cette période, il avait été propriétaire de deux autres bâtiments d'un type similaire au Wet N' Wild II. Quand il se livrait à la pêche au homard, il n'emmenait qu'un homme d'équipage. Au moment de l'accident, le bateau faisait le transport d'écailles d'huîtres en vrac. Le programme d'études pour l'obtention du brevet de capitaine de pêche ne traite pas de la construction et du saisissage de plates-formes comme celle qui était utilisée sur le bateau au moment de l'accident.

Le bateau avait été loué par la P.E.I. Shellfish Association pour remettre en place 127 m3 d'écailles d'huîtres, de limon et de gravier qui avaient été dragués dans deux zones au sud de l'île Bird (voir l'Annexe A pour le croquis du secteur de l'accident). Il est normal de draguer un secteur qui n'est pas activement utilisé par ceux qui font la récolte des huîtres. Les matériaux ainsi dragués sont déchargés sur la terre ferme où ils sont étendus en terrain découvert pour être exposés aux éléments pendant l'hiver. Après cette période de «purification», ces éléments sont ensuite immergés à nouveau dans une zone où, étendus sur le fond de la baie Malpeque, ils forment un lit propice à la croissance de nouvelles huîtres. Cette méthode est reconnue pour pour stimuler la croissance des huîtres dans cette région de l'île du Prince-Édouard. Normalement, le nombre d'huîtres vivantes dans les éléments dragués est assez réduit, mais en 1999, le pourcentage d'huîtres vivantes était supérieur à la normale, et on a demandé à la P.E.I. Shellfish Association de remettre en place les éléments dragués en décembre au lieu d'attendre jusqu'au printemps suivant.

Les éléments dragués ont été chargés sur le pont plate-forme où ils formaient un tas oblong de 1 m à 1,2 m de hauteur. Le poids exact du chargement en pontée n'a pas été noté. Un échantillon de la cargaison de 0,016 m3 pesait 15,4 kg. Si l'on suppose que le chargement en pontée était prismatique et s'amenuisait sur les côtés et aux extrémités, et qu'il avait un volume d'environ 8,7 m3, on estime que la cargaison devait peser quelque 8 347 kg. On estime que la plate-forme, la quincaillerie et la pompe portative devaient peser ensemble quelque 1 000 kg. Le centre de gravité vertical de la cargaison a été estimé à quelque 0,53 m au-dessus du plat-bord.

À cause du franc-bord réduit, on avait bouché les deux dalots percés dans le tableau pour assécher le pont du coffre pour empêcher l'eau d'envahir la coque.

Une pompe portative avait été embarquée et arrimée juste derrière l'entrée de la timonerie. Elle était munie d'un boyau d'aspiration à la mer de 10 cm et d'un tuyau de refoulement de 5 cm. Le tuyau de refoulement devait servir à arroser la cargaison pour qu'elle s'écoule par-dessus bord et qu'elle s'étende également sur le fond de la baie.

Selon l'information recueillie, lors du premier voyage effectué le jour de l'accident, le chargement en pontée était plus important que celui du second voyage. La cargaison avait été réduite pour le second voyage à cause du fort vent que la météo annonçait.

Le patron-propriétaire estime que le vent soufflait de l'est-nord-est de 20 à 25 noeuds au moment du chavirement. Les conditions météorologiques consignées à Summerside, la station d'enregistrement la plus proche de la baie Malpeque, étaient les suivantes (entre 8 h 49 et 9 h 53): vent du 030° entre 31 et 34 noeuds avec des rafales de 41 à 44 noeuds.

Analyse

Les bateaux du type utilisé dans le détroit de Northumberland ont fait leur preuve pour diverses activités de pêche. Avec une lourde cargaison, le franc-bord du bateau est si réduit que le pont du coffre et les dalots sont immergés. Ce type de bateau n'est donc pas fait pour transporter de lourdes cargaisons.

Le poids du pont plate-forme et du chargement qu'on y avait placé se trouvait à élever le centre de gravité du bateau. Malgré cela, on n'avait pas consulté de professionnel pour la conception ou la construction de la plate-forme, et ni vérification technique ni calcul de la stabilité n'avaient été faits. Le pont plate-forme était renforcé en dessous (par des madriers appuyés sur le pont du coffre) afin de pouvoir supporter son propre poids et celui de la cargaison. La structure était aussi fixée au rebord intérieur du plat-bord en composite verre-résine, mais les points d'ancrage n'étaient pas assez solides pour supporter les forces qui s'exerçaient sur eux.

Ni le patron-propriétaire ni l'affréteur n'ont pu fournir une évaluation exacte du poids du chargement en pontée. Le centre de gravité du chargement (et l'élévation conséquente du centre de gravité du bateau) ne peut être calculé qu'approximativement. Toutefois, le poids de la cargaison et de la plate-forme augmentait le tirant d'eau et réduisait le franc-bord au point que les dalots et le pont du coffre se trouvaient immergés. On avait donc bouché les dalots avant le départ pour empêcher l'eau de pénétrer à l'intérieur de la coque. Il était ainsi inévitable que l'eau embarquée par-dessus le plat-bord demeure emprisonnée à bord. L'effet de carène liquide ainsi créé, de même que le poids de l'eau emprisonnée, ont dû causer une élévation virtuelle additionnelle du centre de gravité du bateau. Comme le centre de gravité était déjà haut, l'effet de carène liquide et le poids de la cargaison déplacée étaient suffisants pour faire chavirer le bateau.

Comme le pont plate-forme avait été utilisé sans problème sur un autre bateau, et même sur le Wet N' Wild II la veille de l'accident, le patron pouvait éprouver un faux sentiment de sécurité. Par conséquent, l'équipage n'était pas pleinement conscient des dangers liés à la présence d'une plate-forme mal construite et mal ancrée.

Depuis le 30 juillet 1999, le Règlement sur l'armement en équipage pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada exige un brevet de capitaine de pêche de quatrième classe pour assurer la conduite de bateaux de 60 tonneaux de jauge brute (tjb) et plus. Le Wet N' Wild II jaugeait 14,97 tjb. Le patron-propriétaire du bateau était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche de quatrième classe, même s'il n'avait pas besoin d'un tel brevet pour assurer la conduite d'un bateau de ce tonnage. Les examens pour la délivrance de ce brevet ne vérifient pas les connaissances du candidat ni sa compréhension de la stabilité des navires.

Comme le bateau jaugeait moins de 15 tjb, le propriétaire n'était pas tenu en vertu des règlements de le faire inspecter par Transports Canada et il n'avait pas proposé de se soumettre à une telle inspection sur une base volontaire.

Faits établis

  1. Le Wet N' Wild II se livrait à une activité pour laquelle il n'avait pas été conçu.
  2. La plate-forme n'avait pas été dessinée ou construite par des professionnels et on n'avait pas fait vérifier la stabilité par des spécialistes, même si le poids de la plate-forme et du chargement se trouvait à élever le centre de gravité du bâtiment.
  3. Les dispositions d'ancrage de la plate-forme au plat-bord étaient incapables de résister aux forces générées par le poids de la cargaison et les mouvements du bateau en mer.
  4. Comme les dalots étaient bouchés, l'eau embarquée dans le pont du coffre y demeurait emprisonnée; l'effet de carène liquide qui en résultait ainsi que le poids de cette eau réduisaient d'autant plus la stabilité du bateau.
  5. Lorsque le patron-propriétaire a mis le cap sur le quai de l'île Lennox, il s'est trouvé à exposer le côté tribord (le côté bas) du Wet N' Wild II, au vent et aux vagues, rendant ainsi le bâtiment plus vulnérable à embarquer de l'eau dans le pont du coffre.
  6. Le navire n'avait pas été inspecté, et les règlements n'exigeaient pas qu'il fasse l'objet d'inspections.
  7. Ni le patron-propriétaire ni l'affréteur ne connaissaient le poids de la cargaison embarquée.
  8. Même si ce n'est pas nécessaire pour un bateau de ce tonnage, le patron-propriétaire était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche de quatrième classe.
  9. L'examen pour la délivrance du brevet de capitaine de pêche de quatrième classe ne vérifie pas les connaissances du candidat sur la stabilité des navires.
  10. Les gilets de sauvetage repêchés après le naufrage n'étaient pas d'un type approuvé et ils n'avaient pas été utilisés.

Causes et facteurs contributifs

Alors que le Wet N' Wild II faisait route vers l'île Bird, la plate-forme sur laquelle la cargaison était arrimée s'est affaissée. Le chargement s'est alors déplacé sur tribord et le bateau a donné de la bande de ce côté. Les effets combinés du ripage de la cargaison, du poids de l'eau embarquée et emprisonnée sur le pont et de l'effet de carène liquide consécutif ont provoqué le chavirement et le naufrage du Wet N' Wild II, dont le centre de gravité était déjà élevé. Divers autres facteurs ont contribué à l'accident : le navire était utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles il avait été conçu; le patron, qui manquait de connaissances en matière de stabilité, n'a pas fait vérifier la stabilité de son bateau par des spécialistes; la plate-forme n'était pas ancrée assez solidement pour résister aux forces s'exerçant sur elle; les dalots étaient bouchés, et l'eau embarquée est restée emprisonnée sur le pont; le côté bas du navire a été exposé au vent et aux vagues.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A— Croquis du secteur de l'accident