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Rapport d'enquête maritime M98W0245

Chute d'une embarcation de sauvetage
du vraquier Iolcos Grace
Mouillage « K »
port de Vancouver (Colombie-Britannique)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Pendant un exercice d'embarcation, l'embarcation de sauvetage complètement fermée de bâbord est tombée à l'eau. Le croc avant s'est ouvert prématurément; l'embarcation a piqué du nez et a basculé au-delà de l'axe vertical. Le croc arrière s'est alors ouvert. L'embarcation est tombée d'une hauteur d'environ sept mètres et a heurté l'eau sur le côté, avant de chavirer et de se mettre à flotter à l'envers. L'embarcation transportait six occupants : quelques-uns ont réussi à évacuer l'embarcation, d'autres ont été repêchés par des plongeurs. Le sixième occupant a été repêché par les plongeurs, mais il avait succombé à ses blessures.

Renseignements de base

« IOLCOS GRACE » Embarcation no 2
Numéro officiel 37082 Sans objet
Port d'immatriculation Panama Sans objet
Pavillon Panama Sans objet
Type Vraquier Embarcation de sauvetage complètement fermée
Jauge bruteNote de bas de page 1 38 022 tonneaux Sans objet
Longueur 233,7 m 6,5 m
Tirant d'eau 7,25 m Sans objet
Construction 1990, Hitachi Zosen Corporation, Maizuru, Japon 1989, Shigi Shipbuilding Co. Ltd., Osaka, Japon
Groupe propulseur Un moteur diesel de 7 620 BHP (ch au frein) Un moteur diesel
Équipage 22 personnes Peut accueillir 25 personnes comme embarcation de sauvetage et 6 personnes comme canot de secours.
Propriétaires Magnum Maritime S.A.
Panama
Sans objet

Équipage du Iolcos Grace

Au moment de l'accident, le Iolcos Grace avait un équipage de 22 personnes composé notamment de Grecs, d'Ukrainiens et de Philippins. Les communications à bord se faisaient en anglais, qui était une langue seconde pour tous les membres de l'équipage. En avril 1998, le navire avait changé de propriétaires et avait reçu un nouvel équipage. En septembre 1998, d'autres officiers et matelots avaient été remplacés. Le navire était armé en personnel et exploité conformément à la réglementation en vigueur.

L'embarcation de sauvetage no 2

Les embarcations de sauvetage du Iolcos Grace sont complètement fermées et faites de plastique renforcé à la fibre de verre. Conçues pour servir à la fois d'embarcations de sauvetage et de bateaux de secours, leur poids estimatif à la mise à l'eau est de 4 500 kg comme embarcation de sauvetage avec 25 occupants et de 3 075 kg comme canot de secours avec 6 occupants. On utilise des paires de bossoirs fabriqués par la Manabe Zoki Co. Ltd. pour mettre les embarcations à l'eau; les crocs situés à chaque bout s'ouvrent simultanément grâce à un levier situé à bord de l'embarcation de sauvetage.

L'accident

Alors que le Iolcos Grace attendait un poste à quai à Vancouver (C.-B.), le capitaine a ordonné d'exécuter un exercice d'embarcation à 10 h, le lundi 9 novembre; il s'agissait du premier exercice complet d'embarcation qu'il commandait depuis son arrivée sur le navire en septembre 1998. Tous les membres de l'équipage sauf ceux qui étaient de quart y ont participé. Il s'agissait du premier exercice complet exécuté avec embarquement dans les embarcations depuis le transfert du navire à ses nouveaux propriétaires sept mois plus tôt. Seuls quelques membres de l'équipage avaient un peu d'expérience avec les embarcations de sauvetage complètement fermées. Lors des exercices d'embarcation précédents, on avait simplement amener l'embarcation vide au niveau du pont des embarcations en se servant du treuil. Aucun document n'indique ce qu'il faut faire pour manoeuvrer l'embarcation une fois au niveau du pont des embarcations.

On a d'abord amené l'embarcation de tribord, avec cinq personnes à bord, commandées par le deuxième officier. Ce dernier a amené l'embarcation en agissant sur le câble de frein de treuil à distance, qui passe à l'intérieur de l'embarcation. Pendant l'opération, le second mécanicien a remarqué que l'embarcation descendait plus rapidement que d'habitude, et comme il était proche du treuil de bossoir, il a abaissé la manette de frein pour engager le frein d'arrêt et ralentir la descente. Quand l'embarcation est arrivée au niveau de l'eau, on a ouvert les crocs puis on a manoeuvré l'embarcation au moteur. On a ensuite récupéré l'embarcation puis on l'a replacée à poste aux bossoirs.

L'équipage s'est ensuite préparé à amener l'embarcation de bâbord. Selon l'information recueillie, le second, qui était le responsable à bord de l'embarcation et qui avait remarqué la vitesse de descente de l'embarcation de tribord avant que le deuxième mécanicien intervienne, aurait demandé au capitaine de placer quelqu'un proche du frein de treuil pendant la mise à l'eau, mais cela n'a pas été fait. Six hommes, dont le second, le deuxième mécanicien, le quatrième mécanicien, le maître d'équipage, un graisseur et le garçon de cabine, sont montés à bord de l'embarcation pendant qu'elle était à poste aux bossoirs. Tout d'abord, lorsque le second a exercé une traction sur le câble du frein de treuil à distance, l'embarcation n'a pas bougé, et cela même quand le maître d'équipage et le graisseur lui ont prêté main-forte. Le second a alors utilisé son émetteur radio pour prévenir le capitaine que le frein ne se desserrait pas, mais l'embarcation a commencé à bouger un peu et le capitaine a donné au second l'ordre de l'amener. Lorsque le second a exercé une traction sur le câble du frein à distance, l'équipage de l'embarcation a senti que l'embarcation s'écartait largement des bossoirs.

Des membres de l'équipage sur le pont des embarcations ont vu l'embarcation de sauvetage se balancer violemment à quelques reprises pendant qu'elle descendait jusqu'à environ 3 m sous les têtes de bossoirs. Pendant qu'elle se balançait, l'embarcation a heurté le bord du pont, et le croc avant s'est ouvert. Le troisième officier, qui se trouvait sur l'aileron de passerelle, a vu l'embarcation basculer au-delà de la verticale et commencé à se retourner. Tout le poids de l'embarcation reposait maintenant sur le croc arrière qui s'est alors ouvert, et l'embarcation est tombée en vrille et a heurté l'eau sur le côté avant de chavirer. Avant que l'embarcation chavire, le quatrième mécanicien et le maître d'équipage ont réussi à sortir par la porte latérale, mais la porte s'est refermée derrière eux et ils n'ont pas réussi à l'ouvrir pour que les autres puissent sortir. La porte semblait bloquée de l'intérieur.

Le graisseur et le second mécanicien ont fini par ouvrir la porte et ils sont sortis de l'embarcation. Une embarcation de plaisance les a aussitôt recueillis. Entre-temps, les membres de l'équipage qui se trouvaient sur le pont du navire avaient amené deux échelles de corde, et trois d'entre eux étaient descendus porter secours à leurs coéquipiers dans l'eau. L'aéroglisseur de la Garde côtière canadienne (GCC) est arrivé sur les lieux 35 minutes après l'accident, avec des plongeurs à bord. Les plongeurs ont réussi à pénétrer à l'intérieur de l'embarcation de sauvetage pour secourir le second. Un bateau-école de plongée local est aussi arrivé avec d'autres plongeurs qui ont aidé les plongeurs de la GCC à arrimer l'embarcation. Après avoir passé les garants autour de la quille, l'embarcation a été soulevée légèrement pour que les plongeurs puissent pénétrer à l'intérieur en toute sécurité. Les plongeurs ont réussi à pénétrer dans l'embarcation mais ils n'ont pas réussi à déplacer les débris à l'intérieur pour sortir le garçon de cabine. L'embarcation a ensuite été soulevée pour permettre à deux remorqueurs de se placer sous l'embarcation pour pouvoir la déposer sur leurs ponts arrière. Cependant, le courant a déplacé les remorqueurs qui ne se trouvaient plus exactement sous les garants lorsque l'embarcation a été amenée sur leurs ponts arrière. L'embarcation a roulé en bas des ponts des remorqueurs et est tombée à l'eau côté droit en l'air, ce qui a permis aux plongeurs de sortir le garçon de cabine. Toutefois, celui-ci était blessé à la tête et à la poitrine et il ne respirait plus. Toutes les tentatives pour le réanimer ont été infructueuses. Selon le rapport d'autopsie, il est mort « d'asphyxie par compression mécanique » consécutive à un choc à la poitrine.

Le maître d'équipage et le quatrième mécanicien ont été légèrement blessés, tandis que le graisseur a subi des lacérations aux bras et au dos. Tous trois ont pu sortir de l'hôpital après avoir été traités pour un état de choc et des coupures. Les trois membres de l'équipage qui étaient descendus par l'échelle de corde pour aller prêter assistance ont été recueillis par des embarcations sur les lieux et ils ont également reçus des soins avant de pouvoir sortir de l'hôpital. Le second mécanicien a été hospitalisé pour des fractures aux bras et aux côtes. Il a pu sortir de l'hôpital le lendemain de l'accident. Le second a été hospitalisé pendant plusieurs jours pour des blessures aux jambes et aux bras.

Mécanisme de largage à point unique

Photo 1. Mécanisme de largage à point unique
Mécanisme de largage à point unique

Les crocs aux extrémités de l'embarcation de sauvetage s'insèrent dans des ferrures d'appui, et, une fois les crocs dégagés, le poids de l'embarcation fait pivoter les crocs en position ouverte.Le mécanisme de verrouillage des crocs en mode de hissage est constitué de cames et de cliquets. Le réglage des cames et des cliquets est commandé par des câbles Bowden reliés au mécanisme de largage qui se trouve le long du tambour machines, sous le siège du patron d'embarcation. Le mécanisme de manoeuvre est composé d'un secteur qui pivote jusqu'à mi-longueur environ, exerçant une traction sur les câbles Bowden, lesquels, à leur tour, escamotent, à l'avant et à l'arrière, un levier de came, ce qui fait sortir le cliquet du croc. Le secteur est aussi percé de deux trous, et une goupille de sécurité s'y insère pour verrouiller le secteur en position de hissage ou en position de réarmement. Le secteur est actionné par un levier qui fait saillie au-dessus du plancher de la cabine mais qui est muni de charnières permettant de le replier dans le plancher quand on ne s'en sert pas. Il faut enlever la goupille de sécurité qui bloque le secteur en position de hissage avant que le levier puisse être actionné pour ouvrir les crocs; le bras long du levier est maintenu en position rabattue par une autre goupille de sécurité.

Le réglage des câbles Bowden intérieurs à l'extrémité du secteur se fait au moyen d'une tige à filetage à gauche et à droite reliant deux manilles qui assurent, au moyen de goupilles, la liaison entre le câble intérieur et le secteur. Les câbles Bowden extérieurs peuvent être réglés en dégageant les brides d'extrémité pour déplacer le câble dans la direction désirée.

Les embarcations de sauvetage du Iolcos Grace n'étaient pas munies d'un mécanisme de largage à verrouillage hydrostatique pour empêcher l'ouverture prématurée des crocs, et un tel dispositif n'était pas obligatoire. Les embarcations de sauvetage de la Shigi Shipbuilding Co. Ltd. qui sont de construction plus récente sont munies d'un tel dispositif de verrouillage hydrostatique exigé par la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) depuis 1994.

Consignes d'utilisation

Des dessins et des textes en japonais et en anglais dans le manuel d'utilisation ainsi que des affiches à bord de l'embarcation montrent comment ouvrir et réarmer les crocs. Toutefois, rien n'indique aux utilisateurs quand il faut réarmer les crocs ou comment il faut attacher l'embarcation aux poulies. Les manuels ISM (Code international de gestion de la sécurité) des propriétaires ne fournissent pas non plus d'instructions sur la façon de réarmer les crocs.

Lors d'un exercice, une fois que l'embarcation est libérée et s'est éloignée des garants, il faut réarmer les crocs pour qu'ils soient prêts à être attachés aux poulies volantes au moment de hisser l'embarcation à bord. Pour réarmer les crocs, il faut bloquer le secteur en position de réarmement à l'aide de la goupille de sécurité. Le secteur peut alors exercer une poussée sur les câbles Bowden intérieurs, replaçant les leviers de cames et les cliquets en position de verrouillage. Pour que le mécanisme soit correctement réarmé, les crocs avant et arrière doivent être maintenus simultanément en position verrouillée pour permettre aux câbles, aux cames et aux cliquets de bien s'engager. Comme le câble Bowden extérieur n'est maintenu qu'aux extrémités dans une bride (qui peut pivoter) il est possible de repousser le levier en position de réarmement même si les crocs ne sont pas complètement rendus à la position de verrouillage. Lorsque cela se produit, les dispositifs de réglage des câbles intérieurs peuvent bouger vers le haut ou vers le bas et les brides des câbles extérieurs peuvent pivoter, comme cela a été constaté sur le dispositif de réglage arrière de l'embarcation de bâbord. Lorsque l'embarcation est prête à être accrochée aux garants, l'anneau de la poulie volante est poussé sous le croc, au-delà d'une tige pivotante à contrepoids qui bloque l'anneau en place et l'empêche de se décrocher.

Cette procédure n'est pas décrite dans les manuels qui se trouvaient à bord du navire et aucun des officiers de pont ne connaissait la bonne méthode pour réarmer les crocs ou pour les attacher aux poulies volantes. Les deuxième et troisième officiers croyaient qu'il fallait accrocher l'embarcation aux garants puis réarmer les dispositifs de verrouillage des crocs. Or, lorsque les crocs sont attachés à la poulie volante, il est extrêmement difficile de s'assurer que les cliquets sont bien engagés dans le mécanisme de verrouillage du croc. Le jeu dans les câbles peut donner l'impression que les crocs sont verrouillés en position alors que ce n'est que le secteur qui est en position de réarmement.

L'avertissement suivant figure dans l'un des manuels d'utilisation fournis par le constructeur du Iolcos Grace :

Avertissement, ne manoeuvrez pas le câble de commande à distance de façon saccadée pour ne pas faire osciller l'embarcation.

En août 1997, la Shigi Shipbuilding Co. Ltd. a diffusé un avis concernant un accident similaire. L'avis proposait des mesures correctives détaillées pour le réarmement adéquat du dispositif de largage sur le même type d'embarcation de sauvetage. Cet avis n'est pas parvenu au propriétaire du Iolcos Grace.

Inspection des embarcations de sauvetage après l'accident

L'embarcation de sauvetage de tribord a été inspectée alors qu'elle était à poste aux bossoirs et que les braguets étaient en place. Sous le plancher, la goupille de sécurité du secteur était en position de réarmement; le secteur pouvait donc se déplacer sous l'effet des vibrations ou d'un contact accidentel. En outre, le levier de came avant au bout du câble Bowden intérieur était mal réglé, ce qui explique que le cliquet n'était pas complètement enclenché pour bloquer le croc. Le croc arrière présentait un défaut de réglage un peu moins important. Les agents canadiens de contrôle par l'État du port ont immobilisé le navire jusqu'à ce que les câbles et les mécanismes de verrouillage aient été bien réglés et qu'on se soit assuré qu'ils fonctionnaient correctement. Ce travail a été exécuté par des consultants à terre..Une inspection de l'embarcation de sauvetage de bâbord a été faite deux jours après l'accident alors que l'embarcation était à flot. On a constaté que la coque avait été perforée du côté tribord sous le secteur commandant l'ouverture du croc. Le trou avait été fait par le dispositif de réglage du câble commandant l'ouverture du croc arrière qui avait pénétré dans la coque. Un examen des mécanismes de commande des crocs situés sous le pont a permis de constater que compte tenu de la position du levier de came avant, le cliquet ne devait être que partiellement engagé dans le croc, tandis que le mécanisme arrière était en position d'ouverture complète, le dispositif de réglage de l'extrémité intérieure du câble reposant contre la coque. L'axe assurant la liaison entre le dispositif de réglage du câble avant et le secteur sous le plancher n'avait pas de goupille fendue pour le maintenir en place et l'empêcher de tomber. Le croc avant ne présentait des signes d'usure que sur 25 % de l'aire d'enclenchement du cliquet. Normalement, le cliquet devait pénétrer d'environ 25 mm, mais les signes d'usure n'indiquaient qu'une pénétration à long terme inférieure à 6 mm au bout. Le croc arrière ne présentait aucun signe d'usure dans la zone de contact et il semblait y avoir eu plein contact au niveau du cliquet. La goupille de sécurité qui aurait dû maintenir le secteur en position verrouillée était manquant, alors que la goupille qui bloquait le levier de commande replié dans le plancher de la cabine maintenait toujours celui-ci dans son support.

Lorsque l'embarcation de bâbord a été sortie de l'eau, on a constaté que la zone au droit de la perforation de la coque avait été réparée récemment car on y voyait des traces de peinture fraîche. Le capitaine avait décelé la perforation deux semaines avant l'accident et avait demandé aux mécaniciens de la réparer. Pour procéder à ces réparations, on avait sablé l'extérieur de la coque avant d'appliquer par l'extérieur un amalgame plasti-métallique breveté. Ni le capitaine ni les mécaniciens qui ont effectué les réparations n'ont examiné l'intérieur de la coque pour trouver la cause de la perforation, supposant tous qu'elle était due à une cause extérieure. Le manuel de l'embarcation de sauvetage fourni avec l'embarcation présente la méthode à suivre (avec description et illustration) pour réparer une coque en plastique renforcé de verre. Il s'agit d'appliquer un romaillet à pénétration complète, en plaçant une latte support pour maintenir en place le matériau de réparation. Pour ce faire, le mécanicien aurait dû pénétrer dans l'embarcation pour placer la latte support à l'intérieur de la coque, là où l'on a retrouvé le dispositif de réglage lors de l'inspection après l'accident.

Exercices d'embarcation

Les registres du navire montrent qu'un exercice d'embarcation a eu lieu le 26 août 1998 et qu'un exercice d'embarcation et d'incendie a eu lieu le 8 septembre, mais rien n'indique que les embarcations aient été amenées le 26 août ou le 8 septembre. Les registres indiquent qu'un exercice d'embarcation a eu lieu le 3 octobre et que les embarcations de sauvetage ont été amenées au niveau du pont des embarcations et que les moteurs ont été mis en marche. Il y a eu un autre exercice d'embarcation le 2 novembre et les embarcations de sauvetage ont également été amenées sur le pont des embarcations à ce moment-là, et les moteurs ont été mis en marche. Conformément au Code international de gestion de la sécurité (Code ISM), des registres concernant l'évaluation faite par le capitaine des exercices d'embarcation, d'incendie et d'urgence étaient tenus à bord du navire. Le capitaine avait indiqué dans son évaluation que l'équipage ne connaissait pas bien les procédures d'urgence et qu'il avait besoin de formation supplémentaire pour combler cette lacune.

Le Protocole de 1978 relatif à la Convention SOLAS prévoit, à la section 3.6 de la Règle 18 qui traite de la formation et des exercices d'urgence, pour tous les navires qui effectuent un voyage international :

Chaque embarcation de sauvetage doit être mise à l'eau avec, à son bord, l'équipage chargé de la faire fonctionner et elle doit être manoeuvrée dans l'eau au moins une fois tous les trois mois au cours d'un exercice d'abandon du navire.

Selon l'information recueillie, tous les membres de l'équipage de l'embarcation portaient des gilets de sauvetage et des casques de sécurité lors de l'exercice d'embarcation qui a mené à l'accident du 9 novembre 1998; les survivants affirment qu'ils ont également utilisé les ceintures de sécurité. Les casques de sécurité n'étaient pas munis de mentonnières.

Registre d'entretien des embarcations de sauvetage

Les registres du navire indiquent qu'on procédait à des vérifications hebdomadaires et mensuelles des approvisionnements et de l'équipement des embarcations de sauvetage. Les mêmes registres montrent également que les mécanismes de largage, les poulies de bossoir, les garants et l'accastillage des embarcations étaient graissés tous les mois. Il n'y a nulle mention que la coque de l'embarcation de sauvetage de bâbord aurait fait l'objet de réparations ni qu'il y aurait eu un mauvais réglage des câbles Bowden. Au contraire, les inscriptions de la « liste de vérification/registre d'entretien des engins de sauvetage » indiquent que les crocs et le mécanisme de largage étaient en bon état.

Freins de treuil des embarcations de sauvetage

Les treuils sont munis de deux freins, un frein manuel et un frein automatique à régulation de vitesse centrifuge. Le frein manuel maintient l'embarcation dans une position donnée et on le desserre en soulevant une manette placée à côté du treuil. Ce frein est aussi commandé par des câbles de traction à distance, l'un à l'avant des bossoirs sur le pont des embarcations et l'autre à l'intérieur du canot. Lorsque le canot est amené, le frein à régulation de vitesse centrifuge dose la descente en fonction de la masse du canot. Ce frein peut être réglé selon différentes charges. Le sabot de frein comporte cinq trous d'articulation constituant différents points de pivotement pour le sabot. La vitesse de révolution du frein (vitesse qui détermine la force avec laquelle le frein est projeté vers l'extérieur pour entrer en contact avec le tambour de frein) change selon le point de pivotement.

Inspection de la Société de classification

Le navire possédait un Certificat de sécurité du matériel d'armement pour navire de charge en état de validité et ayant été délivré par le Registre des navires de Corée sous l'autorité du Gouvernement de la République de Panama le 17 août 1998. L'inspection périodique de l'équipement de sécurité avait été faite par un inspecteur de la Société de classification le 14 avril 1998. Les registres du navire montrent que les embarcations de sauvetage avaient été amenées et récupérées lors de cette inspection; il s'agit du dernier exercice complet d'embarcation en bonne et due forme qui ait été consigné.

Certificat ISM

La publication de la Chambre internationale de la marine marchande intitulée « Guidelines on the application of the IMO International Safety Management Code » vise à aider les compagnies à mettre sur pied un système de gestion de la sécurité. L'article 6 porte sur les ressources et le personnel. On y conseille que le propriétaire tienne des registres concernant les certificats de l'équipage et que, lorsqu'il détermine la composition de l'équipage d'un navire, il tienne compte des éléments suivants :

  • l'équipage doit être capable d'exécuter en toute sécurité les tâches requises par les opérations normales ou d'urgence;
  • l'équipage doit bien connaître le navire et son équipement;
  • les besoins de formation des membres de l'équipage doivent être identifiés.

Après une vérification ISM par le Nippon Kaiji Kyokai (NKK), un Certificat ISM avait été délivré au navire le 27 septembre 1998, environ six semaines avant l'accident. Certains des membres de l'équipage étaient à bord du navire depuis au moins six semaines, d'autres depuis environ six mois. Ni le second officier ni le troisième officier ne connaissait la bonne marche à suivre pour placer les crocs.

Autres accidents

Cet accident n'est pas un cas isolé. Le manque d'entretien et/ou le manque de connaissance des procédures de largage et de récupération des embarcations de sauvetage complètement fermées a été identifié comme un facteur dans plusieurs accidents. On peut notamment citer les accidents mettant en cause les navires Kayak et Maersk Pomor sur lesquels a fait enquête le bureau de l'Inspector of Marine Accidents de Canberra en Australie, de même que d'autres accidents sur lesquels le BST a fait enquête, notamment les accidents mettant en cause le Farandole (Rapport no M96L0043 du BST), le Sir Wilfred Grenfell (M92N5015), le Taverner (M93N5017) et le Oceanic Mindoro (M93W1021). Le Bureau craint que le mauvais fonctionnement du mécanisme de largage, qu'il soit attribuable à un mauvais entretien ou à de mauvaises méthodes, compromette la sécurité de l'équipage, lors d'exercices périodiques ou dans une situation d'urgence. En août 1992, après un accident mettant en cause le navire de la GCC Sir Wilfred Grenfell, le Bureau a publié la Lettre d'information sur la sécurité maritime 22/92 dans laquelle il presse la GCC de s'assurer que les équipages connaissent bien les procédures d'entretien et d'exploitation. En février 1994, après l'accident mettant en cause le paquebot côtier mixte Taverner, le Bureau a envoyé l'Avis de sécurité maritime 01/94 à Transports Canada pour souligner la nécessité de sensibiliser les armateurs à l'importance d'un bon entretien préventif des mécanismes de largage des embarcations de sauvetage et pour s'assurer que les inspecteurs suivent des méthodes appropriées pour faire l'inspection des mécanismes de largage des embarcations de sauvetage.

Analyse

Le navire avait de nouveaux propriétaires depuis avril 1998, et même si quelques membres de l'équipage avaient de l'expérience avec les embarcations de sauvetage complètement fermées, les registres tenus depuis le changement de propriétaires n'indiquent pas que les embarcations aient été mises à l'eau et manoeuvrées au cours des exercices d'embarcation, comme l'exigent les règlements.

La description de la mise à l'eau de l'embarcation de tribord donnée par l'équipage laisse croire que le frein était réglé en fonction d'une embarcation vide. L'embarcation transportait moins que l'équipage nominal de six hommes en mode « canot de secours » soit une masse de 450 kg, et le poids additionnel des membres d'équipage a accéléré de façon alarmante la descente. Le frein régulateur de vitesse est réglable et il devrait être réglé en temps normal pour le poids maximum de l'embarcation quand elle est utilisée comme embarcation de sauvetage, c'est-à-dire pour une masse estimée de 1 875 kg, correspondant à un chargement de 25 personnes.

Le levier de commande du mécanisme de largage de l'embarcation de bâbord a été trouvé bloqué (par la goupille de sécurité) dans son support, ce qui indique que l'équipage de l'embarcation ne s'en est pas servi. Le croc avant s'est ouvert prématurément lorsque l'embarcation a heurté la muraille du navire pendant la descente. Ce choc violent peut avoir été précipité par l'interruption de la mise à l'eau; or, les instructions du constructeur contiennent une mise en garde à ce sujet; toutefois, cette interruption de la mise à l'eau n'était pas voulue. Si l'on en juge par la position sous le pont du mécanisme de verrouillage du croc avant de l'embarcation de bâbord, il est probable que le croc avant s'est ouvert parce que le levier de came était mal réglé et parce que le cliquet n'avait pas été complètement enclenché la dernière fois que les crocs ont été réarmés. Le croc arrière s'est ensuite ouvert en raison du poids de l'embarcation.

Les officiers de pont responsables de l'arrimage des embarcations ne savaient pas ce qu'il fallait faire pour réarmer les crocs dans les embarcations. Ils ne savaient pas non plus qu'avant d'accrocher une embarcation aux garants, il faut réarmer les crocs. Le manque de connaissances du fonctionnement du mécanisme de largage est confirmé par le fait que le secteur de commande de l'embarcation de tribord a été laissé calé à la position de réarmement - et non de hissage - lorsque le bateau a été récupéré et remis à poste aux bossoirs. Comme les registres indiquent que les embarcations n'avaient pas été dégagées des garants depuis le changement de propriétaires, il est probable que le mauvais réglage du mécanisme de largage remonte à la récupération de l'embarcation de sauvetage lors de l'inspection d'avril 1998. En outre, l'inspection de l'embarcation à bord du navire n'avait pas été très minutieuse en ce sens qu'elle n'avait pas permis de déceler que les câbles Bowden étaient mal réglés ni de relever les signes d'usure sur le croc avant de l'embarcation de bâbord; cette usure n'est pas apparue du jour au lendemain. Une condition dangereuse est donc passée inaperçue pendant au moins sept mois, c'est-à-dire jusqu'à l'accident.

Les registres d'entretien à bord du navire étaient inexacts en ce sens qu'ils n'indiquaient pas que l'embarcation de bâbord avait été perforée ni que les câbles Bowden étaient mal réglés, tandis que les inscriptions relatives aux crocs et aux mécanismes de largage indiquaient que ceux-ci étaient en bon état. Le manuel ISM contient des consignes générales sur la mise à l'eau et la récupération d'une embarcation de sauvetage, et il ne fait nullement référence au manuel d'entretien et d'utilisation du constructeur. L'information qu'on retrouve dans ce dernier n'est pas claire et peut être difficile à comprendre; ainsi, au point 7 de la procédure de mise à l'eau, on peut lire : «To be adjusted lowering speed by remote control wire before the boat launch to the sea surface, and to be waterborned slowly ». Le manuel ne fournit pas beaucoup d'information non plus sur la façon de placer les crocs ou d'attacher l'embarcation aux garants.

Faits établis

  1. Le frein régulateur de vitesse du treuil de l'embarcation de sauvetage de tribord était mal réglé, et la vitesse de descente de l'embarcation a atteint une rapidité alarmante.
  2. Sur l'embarcation de tribord, qu'on avait récupérée avant de tenter d'amener l'embarcation de bâbord, la goupille de sécurité du secteur était restée à la position de réarmement, et les cames et les cliquets n'étaient pas bien réglés pour verrouiller fermement les crocs en position de hissage.
  3. Le dispositif de réglage du câble actionnant le croc arrière de l'embarcation de bâbord avait perforé la coque sous le secteur parce que le câble s'était déplacé à cause d'un mauvais réarmement du croc; cela s'était produit quelque temps avant l'accident, mais l'équipage n'avait pas cherché à en déterminer la cause.
  4. L'équipage ne connaissait pas la bonne méthode pour réparer le trou dans l'embarcation de sauvetage, et il n'a pas suivi les instructions du constructeur.
  5. Le croc avant de l'embarcation de bâbord n'avait pas été réarmé correctement la dernière fois que l'embarcation avait été dégagée des garants par un autre équipage.
  6. Le mécanisme de largage de l'embarcation de bâbord n'avait pas été réglé de façon à verrouiller solidement les crocs en position de hissage.
  7. Les manuels d'instruction du constructeur à bord du navire fournissaient des instructions incomplètes et pas très claires concernant les opérations de mise à l'eau et de récupération de l'embarcation de sauvetage. Le manuel ISM des propriétaires traite des procédures de mise à l'eau et de récupération en général et il ne fait nullement référence aux manuels d'utilisation du constructeur.
  8. Le navire avait reçu un Certificat ISM environ six semaines avant l'accident, et le personnel en place ne connaissait pas bien la méthode pour réarmer les crocs des embarcations de sauvetage.
  9. Le mauvais réglage du mécanisme de largage n'a été décelé ni par l'inspecteur de la Société de classification ni par l'équipage du navire, ce qui a permis à une condition dangereuse de passer inaperçue pendant au moins sept mois.
  10. Les registres des exercices d'embarcation et d'incendie tenus à bord du navire indiquent que les embarcations de sauvetage n'avaient pas été complètement dégagées des garants depuis que le navire avait changé de propriétaires en avril 1998, environ sept mois avant l'accident.
  11. Cinq des six membres de l'équipage à bord de l'embarcation de sauvetage ont été blessés; un a perdu la vie.

Causes et facteurs contributifs

Le Bureau a déterminé que pendant qu'on amenait l'embarcation de sauvetage de bâbord, le croc avant s'est ouvert prématurément parce qu'il n'avait pas été correctement réarmé en position verrouillée la dernière fois que l'embarcation avait été dégagée des garants. Les registres des exercices d'embarcation et d'incendie du navire indiquent que les embarcations de sauvetage n'avaient pas été complètement dégagées des garants depuis que le navire avait changé de propriétaires en avril 1998. Les éléments suivants ont joué un rôle dans l'accident : le fait que l'équipage ne connaissait pas bien la méthode pour réarmer les crocs; les consignes du manuel du constructeur relatives à la mise à l'eau et à la récupération de l'embarcation étaient incomplètes et difficiles à comprendre; les inspections faites par l'inspecteur de la Société de classification et le personnel du navire n'étaient pas assez minutieuses.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

  1. Le mécanisme de largage du croc de l'embarcation de sauvetage de tribord a été inspecté par un agent canadien de contrôle par l'État du port, et le Iolcos Grace a été immobilisé jusqu'à la fin des réparations. Des experts maritimes indépendants ont été embauchés pour surveiller les réparations qui ont été exécutées par des entrepreneurs à terre. On a corrigé le réglage des câbles et on a vérifié le bon fonctionnement des cames et des cliquets. Après la vérification du bon fonctionnement du largage et la remise en place du mécanisme de verrouillage du croc, le navire a été libéré par l'organisme de contrôle par l'État du port. Le navire a été équipé d'un radeau de sauvetage approuvé par l'inspecteur de l'État de pavillon pour remplacer temporairement l'embarcation de sauvetage endommagée.
  2. Transports Canada a publié le Bulletin de la Sécurité des navires 05/00 le 17 avril 2000 pour souligner l'importance de suivre les bonnes procédures pour larguer et rattacher les embarcations de sauvetage pendant et après les exercices.
  3. La Sécurité maritime de Transports Canada (TC) a communiqué avec les fabricants de dispositifs de hissage approuvés du Canada et leur a demandé d'examiner :
    1. la conception des dispositifs;
    2. leurs manuels d'entretien, d'utilisation et de formation en vue de récrire les procédures en langage simplifié ou d'utiliser des pictogrammes pour que les manuels soient plus faciles à comprendre et pour qu'il soit plus facile de s'y conformer, surtout pour les équipages de navire dont la langue de communication n'est pas l'anglais.
  4. Transports Canada a élaboré un document en vue de le présenter lors de la 44e session du Sous-comité de conception et d'équipement de navire de l'Organisation maritime internationale (OMI). Le document fait état des mesures recommandées au point 3 ci-dessus et propose que d'autres administrations agissent aussi en ce sens.
  5. En vertu du Programme d'inspection par l'État du port, les inspecteurs de la Sécurité maritime de TC ont reçu instruction de porter une attention toute spéciale à l'équipement de sauvetage et de voir à ce que toute déficience à cet égard soit corrigée, faute de quoi le navire devra être immobilisé.
  6. D'autres discussions ont lieu entre l'administration centrale de la Sécurité maritime de TC et les représentants de tous les bureaux régionaux concernant la section 3.6 de la Règle 18 du chapitre 3 (Fréquence des exercices d'abandon du navire) de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS). On aborde aussi la question de l'utilisation et de l'entretien des embarcations de sauvetage mises à l'eau en chute libre, y compris l'utilisation obligatoire d'une sangle d'immobilisation.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Photos

Photo 2. Vue de côté a bâbord de l'embarcation de sauvetage. L'enceinte étanche a été endommagée pendant la récupération.
Vue de côté a bâbord de l'embarcation de sauvetage. L'enceinte étanche a été endommagée pendant la récupération.
Photo 3. Le croc avant, tel qu'on l'a retrouvé après l'accident, en position de largage.
Le croc avant, tel qu'on l'a retrouvé après l'accident, en position de largage.