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Rapport d'enquête aéronautique A10Q0218

Atterrissage brutal après une panne moteur
de l'hélicoptère Bell 206B C-GIFV
exploité par Essor-Hélicoptères inc.
à Cap-Chat (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Synopsis

L'hélicoptère Bell 206B (immatriculation C-GIFV, numéro de série 2004) équipé d'un train d'atterrissage à patins élevés et exploité par Essor-Hélicoptères inc. décolle de Matane (Québec) avec le pilote et 4 passagers à son bord pour effectuer un vol conformément aux règles de vol à vue. L'aéronef survole la rive sud du fleuve Saint-Laurent à basse altitude en direction nord-est en vue de permettre aux passagers d'évaluer et de documenter les dommages causés par de fortes marées. Environ 27 minutes après le décollage, à 1131 heure normale de l'Est, l'hélicoptère subit une panne moteur (Rolls-Royce 250-C20B). Le pilote effectue une autorotation avec un virage à droite de plus de 180°. L'aéronef atterrit brutalement sur la plage. Le train d'atterrissage cède et l'hélicoptère s'immobilise sur le ventre. Un occupant subit des blessures graves, 2 occupants subissent des blessures légères et les 2 autres occupants sortent indemnes de l'accident.

Renseignements de base

Déroulement du vol

La veille de l'accident, le pilote effectue la visite extérieure de l'hélicoptère. Il vérifie tous les systèmes décrits dans le Rotorcraft Flight Manual (manuel de vol du giravion, RFM) et ne décèle aucune anomalie. . Le lendemain à 6 h 38Footnote 1, l'hélicoptère décolle de l'aéroport de Québec/Jean Lesage Internationale à destination de Rimouski où il atterrit à 8 h 20. Après l'ajout de 170 litres de carburant à l'aéronef, 4 passagers embarquent à bord. À 9 h 40, l'aéronef décolle en vue d'effectuer un vol de reconnaissance à basse altitudeFootnote 2 au dessus de la rive sud du fleuve Saint-Laurent en direction nord-est. Le vol a pour objet de documenter les dommages causés à l'environnement et aux propriétés par de très fortes marées survenues peu de temps auparavant.

Photo 1. Vue de l'épave
Photo of L'hélicoptère écrasé sur la grève enneigée, examiné par trois pompiers

À 10 h 42, le C-GIFV atterrit sur la rive du fleuve Saint-Laurent à 1 mille marin (nm) au nord de l'aéroport de Matane et le pilote ferme le moteur. À 11 h 04, l'hélicoptère reprend son vol de reconnaissance vers le nord-est. Environ 27 minutes plus tard, au moment où l'hélicoptère se trouve à quelque 120 pieds au-dessus du fleuve et 75 pieds de la rive à une vitesse de 70 nœuds, il y a une détonation suivie d'un lacet momentané vers la droite. Dans les instants suivants, une deuxième détonation se produit. Le pilote abaisse aussitôt le pas collectif et vire à droite pour effectuer un atterrissage sur la plage face au vent. Le klaxon bas régime rotor retentit lors de la descente. L'aéronef atterrit brutalement sur le sable et le train d'atterrissage se rompt (photo 1).

L'hélicoptère s'immobilise sur le ventre et le pilote ferme le moteur. Les passagers évacuent la cabine après l'arrêt des pales.

Conditions météorologiques

Les conditions météorologiques étaient propices au vol à vue. Selon les bulletins diffusés par le système automatisé d'observations météorologiques de Cap-Chat de 11 h et 12 h, le vent soufflait de l'ouest à 14 nœuds avec des rafales à 19 nœuds.

L'équipage de conduite

Le pilote totalisait environ 18 000 heures de vol sur hélicoptère, dont plus de 10 000 sur Bell 206. Il possédait les licences et les qualifications nécessaires, conformément à la réglementation en vigueur.

L'hélicoptère

Le Bell 206B avait été construit en 1976. Il totalisait environ 14 667 heures de vol. Les dossiers d'entretien de l'hélicoptère indiquent qu'il a été exploité et entretenu par la compagnie conformément aux règlements en vigueur et aux procédures de l'organisme de maintenance approuvé.

Toutes les consignes de navigabilité obligatoires et tout l'entretien nécessaire avaient été effectués. Aucune anomalie n'était inscrite dans le carnet de bord de l'aéronef. L'aéronef était équipé d'un tube de trop-plein qui permettait l'emport de 657,6 livres de carburant Jet A.

L'aéronef est muni d'un système d'alarme bas régime rotor qui est composé d'un klaxon d'avertissement et d'un voyant avertisseur LOW RPM. Le système se met en marche lorsque le régime du rotor est sous la limite de sécurité fixée à 90 % et le levier de pas collectif n'est pas complètement abaissé.

Le RFM de l'hélicoptère présente à la section 3 un diagramme hauteur/vitesse qui indique à l'aide d'un graphique les combinaisons de vitesse et de hauteur au-dessus du sol auxquelles les appareils peuvent se mettre en autorotation ou effectuer un atterrissage en toute sécurité après une perte de puissance moteur. Le diagramme est fondé sur l'hypothèse que le pilote est en mesure de mener à bien un atterrissage sans moteur en toute sécurité. Selon ce diagramme, à 120 piedsFootnote 3 au-dessus du sol, la vitesse minimale recommandée pour effectuer avec succès une autorotation est environ 45 mi/h. Comme tel, le diagramme hauteur/vitesse est élaboré en fonction d'essais progressifs menés par les pilotes d'essai du constructeur, au cours des essais en vol qui ont servi à la certification initiale.

Masse et centrage

La masse maximale autorisée était de 3200 livres. L'aéronef a décollé de l'aéroport de Rimouski avec le plein complet et 5 occupants à son bord. Selon l'évaluation du BSTFootnote 4, la masse réelle de l'aéronef était d'environ 3500 livres au moment du décollage de Rimouski et un peu moins de 3300 livres au moment du décollage de Matane. On estime la masse de l'aéronef à environ 3200 livres au moment de la panne moteur.

Examen de l'épave

L'aéronef avait une vitesse vers l'avant lorsqu'il a touché la plage. L'enfoncement des patins dans le sable a provoqué une décélération rapide suivie du basculement vers l'avant du mât rotor et de la transmission. Le déplacement de la transmission a causé la rupture du joint avant de l'arbre de transmission reliant le moteur à la transmission principale. Son déplacement a également causé le bris du boîtier et de l'arbre de la pompe hydraulique. L'examen de l'aéronef a révélé que tous les dommages observés sur le fuselage, sur l'ensemble rotor, sur les commandes de vol et sur la chaîne dynamique ont découlé de l'impact avec le sol.

Le moteur

Le moteur de modèle Rolls-Royce 250-C20B, numéro de série CAE-823531, installé sur l'hélicoptère accidenté avait été fabriqué par Detroit Diesel Allison, une division de General Motors Corporation. La société Rolls-Royce est actuellement titulaire du certificat de type délivré par la Federal Aviation Administration (FAA) pour ce modèle de moteur.

Le moteur, un turbomoteur de conception modulaire, comprend un compresseur, une boîte d'engrenage, une section turbine et une chambre à combustion (figure 1). Il a une puissance nominale sur l'arbre de 420 SHP (shaft horsepower).

Figure 1. Turbomoteur Rolls-Royce 250-C20B
Figure of Diagramme illustrant les diverses parties du moteur décrites dans le rapport

Le moteur est équipé de 2 détecteurs magnétiques de limailles. Le pilote n'a pas remarqué si le voyant avertisseur ENG CHIPFootnote 5 s'est illuminé pendant le vol. L'examen de l'aéronef a révélé que les détecteurs magnétiques de limailles étaient contaminés. La condition de l'aéronef après l'événement permettait l'utilisation de la batterie et un essai du système a démontré que chacun des 2 détecteurs déclenchait l'illumination de l'ENG CHIP.

Le livret moteur indique que le turbomoteur a été enlevé 3 fois de l'aéronef lors des 35 heures de vol précédant l'accident :

Démontage et examen du moteur

Le moteur a été retiré de l'hélicoptère accidenté puis démonté dans l'atelier du Laboratoire du BST à Ottawa. L'examen du moteur a donné lieu entre autres aux constatations suivantes :

Les modules, compresseur et turbine sont montés de part et d'autre de la boîte d'engrenage. Le démantèlement de ces modules permet d'entrevoir les roulements à billes no 2 et no 4; toutefois, leur emplacement et leur bague de rétention entravent la détection d'anomalies des billes pouvant être précurseures d'une défaillance prochaine.

Renseignement sur la révision du moteur

L'amortisseur de vibrations et les roulements à billes du turbomoteur sont entretenus selon une vérification de l'étatFootnote 10. Le roulement à billes no 2 totalisait 2244,4 heures et 3233 cycles Footnote 11 depuis sa mise en service le 13 novembre 2006. Normalement, on estime la durée en service de roulement à billes de 5000 et 10 000 heures. Le roulement à billes no 2 situé dans le diffuseur arrière du compresseur est utilisé comme roulement de butée (thrust bearing); il reprend la charge axiale propulsive générée par les roues à aubes du compresseur. De ce fait, le roulement à billes no 2 reprend la charge la plus élevée de tous les roulements à billes du turbomoteur.

À l'examen des doigts de l'amortisseur de vibrations, des marques de frottement ont été notées sur les doigts et la rondelle cuvette dans laquelle il est monté. La spécification du métal qui peut se détacher des doigts ou de la rondelle cuvette est différente de celle du métal des roulements.

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Analyse

Le roulement à billes no 2 du turbomoteur s'est désagrégé à la suite de la rupture par fatigue de sa cage de roulement. Étant donné qu'il est utilisé comme roulement de butée, son éclatement a entraîné le déplacement du compresseur vers l'avant. En conséquence, la roue à aubes a contacté le diffuseur. Le frottement qui s'en est suivi a provoqué une décélération importante et une perte de puissance. De plus, le mouvement propulsif du compresseur a occasionné son décrochage qui s'est manifesté par des détonationsFootnote 12.

Le bris d'un goujon de la boîte d'engrenage, la fissure de la veloute du compresseur et la rupture par fatigue de 3 doigts de l'amortisseur de vibration peuvent laisser penser que ces dommages ont été causés par une vibration anormale du moteur. Or, à la suite de la réparation du goujon et de la veloute, la vérification du turbomoteur sur banc d'essai n'a révélé aucune anomalie ou vibration hors limite. D'une part, ces résultats suggèrent qu'il est peu probable qu'une vibration moteur soit à l'origine de ces anomalies. D'autre part, on peut conclure que l'amortisseur de vibrations n'était pas fracturé au moment de la vérification sur banc d'essai. En conséquence, les ruptures successives des doigts de l'amortisseur de vibrations se sont produites pendant les 30 dernières heures de vol.

Puisque 3 de ses doigts s'étaient brisés moins de 30 heures de vol avant l'accident, l'efficacité de l'amortisseur de vibrations était amoindrie. Toutefois, on ne peut pas conclure hors de tout doute que le bris de l'amortisseur de vibration a causé la rupture du roulement à billes no 2. Cela dit, on ne peut exclure que la défaillance partielle d'une pièce qui a pour objet d'amortir les vibrations du moteur ait pu modifier la charge vibratoire du compresseur et provoquer ainsi l'augmentation de la charge du roulement à billes no 2 et la rupture par fatigue de sa cage de roulement.

Bien que, moins de 35 heures de vol avant l'accident, la boîte d'engrenages du turbomoteur ait été démontée 3 fois, aucune anomalie n'a été constatée. L'examen des roulements à billes et de l'amortisseur de vibration n'a pas été fait puisque les démontages n'avaient pas pour objet de vérifier leur état. Par conséquent, il est possible que le turbomoteur ait été remonté alors que l'état de ces composants exigeait leur remplacement.

Bien que le turbomoteur de l'hélicoptère était équipé d'un système de détection de particules métalliques en état de fonctionner, le pilote n'a pas remarqué l'illumination du voyant avant la perte de puissance alors que d'importantes quantités de limaille étaient générées par le glissement des billes du roulement no 2. Pourtant, 3,2 heures de vol avant l'accident, les détecteurs magnétiques de limailles ont capté de la poussière métallique provenant en moins grandes quantités des roulements à billes du moteur qui commençaient à se dégrader. En conséquence, il est possible que le voyant avertisseur ENG CHIP se soit illuminé sans que le pilote ne s'en rende compte.

Selon le diagramme hauteur/vitesse, la perte de puissance est survenue dans une plage d'utilisation permettant de réussir un atterrissage d'urgence sécuritaire. Au moment de la panne, 3 conditions d'utilisation représentaient un défi plus important qu'à la normale pour le pilote. Compte tenu de la hauteur de l'appareil, le pilote disposait de peu de temps pour abaisser le collectif, effectuer un virage de 180° afin de se placer face au vent et amortir la chute avant d'atterrir sur un terrain en pente. La panne a entraîné une baisse rapide du régime rotor à un point tel que le klaxon bas régime rotor a retenti lors de la descente. On peut déduire que le collectif n'était pas en butée basse et que le régime rotor a passé sous 90%.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le roulement à billes no 2 du turbomoteur s'est désagrégé à la suite de la rupture par fatigue de sa cage de roulement. Par conséquent, l'éclatement du roulement à billes no 2 a provoqué la perte de puissance du turbomoteur.
  2. La panne a entraîné une baisse rapide du régime rotor à un point tel que le klaxon bas régime rotor a retenti lors de la descente. Lorsque la panne moteur est survenue, le pilote n'avait pas assez d'altitude et vitesse pour effectuer un virage de 180° et amortir la chute avant d'atterrir sur un terrain en pente au vent. Par conséquent, l'atterrissage a été brutal.

Faits établis quant aux risques

  1. Bien que l'aéronef était exploité hors des zones comportant des risques élevés « à éviter » figurant sur le diagramme hauteur/vitesse, l'autorotation s'est soldée par un atterrissage brutal. En raison de facteurs d'exploitation autres que la vitesse et la hauteur, l'exploitation de l'hélicoptère à basse altitude mettait à risque un atterrissage sécuritaire en cas d'une panne moteur.
  2. L'utilisation d'un aéronef à l'extérieur des limites de masse et centrage indiquées par le constructeur peut réduire les performances d'un hélicoptère et créer une situation de surpuissance entraînant des dommages importants au moteur, à la cellule et à la chaîne dynamique.
  3. Un aéronef peut répondre aux performances du diagramme hauteur/vitesse lorsqu'il est chargé à sa masse limite. En conséquence, l'exploitation d'un aéronef en surcharge met à risque la réussite d'une autorotation effectuée à la suite d'une panne moteur.

Autre fait établi

  1. La dégradation des roulements à billes et de l'amortisseur de vibration n'a pas été constatée pendant l'examen de la boîte d'engrenage, puisque les 3 démontages du turbomoteur effectués dans les 31 heures de vol avant l'accident ne les exposaient pas et n'avaient pas pour objet de vérifier leurs états.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .