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Rapport d'enquête aéronautique A01C0230

Perte de maîtrise et collision avec le relief
Beech 95 Travel Air C-FCNU
exploité par Perimeter Aviation
à 2.4 nm au nord de l'aéroport international
de Winnipeg (Manitoba)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Beech 95 Travel Air, immatriculé C-FCNU et portant le numéro de série TD668, effectue un vol local de formation servant à mettre en pratique les procédures de vol sur un seul moteur dans le circuit de la piste 18 de l'aéroport international de Winnipeg. Peu après le virage en approche finale de la piste 18, soit vers la fin de la session de formation d'une heure qui était prévue, l'avion effectue une descente rapide et incontrôlée et percute le remblai d'un fossé du côté nord de l'avenue Jefferson à Winnipeg (Manitoba). L'avion rebondit avant de s'immobiliser à environ 70 pieds au nord-ouest du point d'impact initial, soit à 2,4 milles marins de la piste. Un incendie éclate après l'écrasement et consume presque entièrement la partie centrale des ailes et la cabine de l'appareil. L'appareil est détruit, et les deux pilotes, qui sont seuls à bord, subissent des blessures mortelles. L'écrasement se produit de jour à 9 h 54, heure avancée du Centre.

Renseignements de base

L'avion C-FCNU était utilisé pour des exercices de formation sur multimoteurs. L'appareil cumulait environ 13 784 heures de vol cellule, et selon un examen de la documentation disponible, il était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. D'après les calculs, la masse et le centrage au décollage se trouvaient dans les limites prescrites. C-FCNU n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol ou d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage, ce qui ne contrevenait pas à la réglementation.

L'instructeur et l'élève-pilote possédaient les qualifications nécessaires au vol de formation. En effet, l'instructeur était titulaire d'une licence canadienne de pilote de ligne en état de validité, d'une qualification de vol aux instruments du groupe I et d'une qualification d'instructeur de classe II, et l'élève-pilote était titulaire d'une licence canadienne de pilote professionnel en état de validité. Le vol en question était le premier vol de la journée pour les deux pilotes, et un examen des carnets de régulation des vols de la compagnie a révélé que les deux pilotes étaient suffisamment reposés. Le vol pendant lequel s'est produit l'accident devait comprendre des exercices de rétablissement après une panne moteur et des exercices d'approche à l'atterrissage sur un seul moteur. Ces exercices se trouvent dans le programme de formation de la compagnie approuvé par Transports Canada. Au cours du vol en question, la formation devait se dérouler selon les règles de vol à vue, le pilote ayant des références visuelles au sol et sur les autres appareils qui circulaient dans les environs.

Le bulletin météo donnant les conditions qui régnaient à Winnipeg à 10 hNote de bas de page 1, soit six minutes après l'accident, était le suivant : vents du 120 degrés à 5 noeuds; visibilité de 15 milles terrestres; quelques nuages à 25 000 pieds; température de 13 degrés Celsius; point de rosée de 6 degrés Celsius.

À 8 h 51, C-FCNU est autorisé à décoller, et les deux membres d'équipage commencent la séance de formation comme prévu. Ils effectuent une série de posés-décollés pendant environ une heure. Vers 9 h 52, le contrôleur de la tour de Winnipeg signalent aux membres de l'équipage de C-FCNU qu'ils sont numéro deux à l'atterrissage, message qui est suivi des mots « turbulence de sillage ». Un Airbus A320 qui avait été autorisé à l'atterrissage se trouve devant eux. L'instructeur mentionne qu'il a bien reçu les instructions et qu'ils les comprend. Il s'agit du dernier message reçu de C-FCNU.

À 9 h 52, l'appareil est en approche finale de la piste 18 à environ 500 pieds au-dessus du sol (agl) dans une assiette d'approche normale. Soudainement, l'avion se cabre, s'incline rapidement sur le côté et se met en piqué très prononcé dans la direction opposée, une manoeuvre qui est similaire à une vrille ou à un décrochage. Les données radar enregistrées à ce moment-là indiquent que la vitesse de l'avion diminue, passant de 130 à 100 mi/h, à une altitude de 1 300 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), soit environ 500 pieds agl. À 9 h 53 min 18 sec, le contact radar est perdu à un endroit correspondant au lieu de l'accident.

Le sillon laissé par l'épave et les traces au sol l'accompagnant indiquent que l'avion a percuté le côté nord de l'avenue Jefferson à un cap d'environ 310 degrés, les ailes à l'horizontale et dans un piqué d'environ 5 degrés. L'appareil a ensuite percuté le côté éloigné du fossé et a rebondit dans les airs, puis il a parcouru environ 70 pieds au cap de 310 degrés avant de s'immobiliser au cap de 30 degrés. L'avion s'est enflammé au moment de l'impact.

Le train d'atterrissage et les deux hélices ont été arrachés au moment de l'impact avec le fossé, et ces composants sont demeurés dans un rayon de 30 pieds les uns par rapport aux autres. L'hélice droite était presque entièrement enfouie dans la terre du remblai du fossé. Le train d'atterrissage devait être sorti puisqu'il a été arraché. Toutes les commandes moteur se trouvant dans le poste de pilotage ont été détruites.

Une inspection sur place des composants restants de l'avion a permis de révéler les trois faits anormaux suivants :

Les autres câbles de commande des moteurs et des hélices étaient dans une position qui correspondait à un réglage de puissance maximale.

Presque tout l'avion, y compris le poste de pilotage et une grande partie de la section centrale du fuselage, a été détruit par l'incendie qui a éclaté après l'impact. Aucun système avionique ni instrument desquels on aurait pu tirer des renseignements utiles, n'a été retrouvé intact. La plupart des circuits mécaniques, hydrauliques et électriques ont été détruits. Les pales des hélices ont été endommagées et rayées. Elles se sont détachées des moteurs au niveau des brides de fixation du vilebrequin en raison des forces découlant d'un cisaillement et d'une surcharge en traction. Les renseignements tirés de l'épave, principalement des traces laissées au sol, indiquent que l'avion était en train de se redresser d'un piqué très prononcé lorsque l'impact avec le fossé s'est produit.

Les résultats des autopsies indiquent que les deux pilotes ont péri à la suite de blessures dues à une décélération, et ce, avant que l'avion ne soit consumé. La nature des blessures subies par l'instructeur laisse croire que ce dernier se trouvait aux commandes au moment de l'impact. Rien n'indique qu'il y ait eu inhalation de fumée ni que des troubles médicaux aient entraîné une incapacité des pilotes. Les analyses toxicologiques des deux pilotes n'ont révélé aucune substance qui aurait pu causer une incapacité.

La vitesse minimale de contrôle en vol (Vmca) qui figure dans le manuel de l'exploitant du Beech 95 est de 80 mi/h. Cependant, Beechcraft a publié une vitesse minimale additionnelle associée aux opérations sur un seul moteur portant spécifiquement sur les exercices de panne moteur. Cette vitesse minimale, qui porte le nom de vitesse de sécurité monomoteur (Vsse), figure dans les procédures de Perimeter Aviation et est d'un minimum de 100 mi/h. Perimeter Aviation ordonne à ses instructeurs d'utiliser cette dernière vitesse, et même une vitesse minimale supérieure, soit 108 mi/h, lorsqu'ils effectuent des exercices sur un seul moteur.

La Circulaire d'information aux transporteurs aériens numéro 0051 93-06-22 de Transports Canada et la recommandation 92-03 du BST font toutes deux référence à la tendance de ce type d'avion à se mettre en vrille à basse vitesse. Ces documents identifient cette tendance comme étant un problème de sécurité potentiel et insistent sur le fait que cette particularité doit faire l'objet d'une sensibilisation accrue.

À la suite de l'accident en question, des essais en vol ont été effectués dans des conditions météorologiques similaires à bord d'un Beech 95 équipé et configuré de manière identique à l'appareil en question. Lorsque la sortie du train d'atterrissage a été commandée pendant une simulation de panne du moteur gauche, la vitesse de l'avion a diminué d'environ 30 mi/h.

Le programme de formation de Perimeter Aviation exige qu'un véritable arrêt de moteur soit effectué en vol au cours de la formation multimoteurs d'un élève-pilote. Les dossiers de la compagnie indiquent que cette consigne avait été respectée le 26 septembre dans le cas de l'élève-pilote en question. Il existait aussi une procédure de la compagnie interdisant, dans le cadre de la formation, les arrêts de moteur intentionnels près des aéroports. Une autre procédure exigeait que le personnel de maintenance soit mis au courant si un arrêt de moteur était prévu. Dans le présent cas, le personnel de maintenance n'avait pas été averti.

Même si C-FCNU n'était pas sous contrôle radar, il possédait un transpondeur en marche, ce qui a permis au radar d'enregistrer les mouvements de l'appareil. L'analyse des données radar a montré que :

Les données radar n'indiquent pas que l'avion a cessé de décélérer ou qu'il s'est stabilisé à une vitesse supérieure à 100 mi/h. Une telle stabilisation de la vitesse aurait indiqué que la décélération rapide faisait partie d'un segment prévu de l'approche et aurait permis d'éliminer, comme facteur dans le présent accident, la perte de maîtrise due à une diminution de la vitesse.

Les renseignements suivants sont tirés de la Publication d'information aéronautique - Canada (AIP) de Transports Canada.

La turbulence de sillage est provoquée par les tourbillons en bout d'ailes et est un dérivé de la portance. Les tourbillons les plus forts se produisent dans des conditions de masse élevée, de configuration lisse et de faible vitesse. Il est recommandé d'éviter les zones avant et derrière des autres aéronefs, spécialement à basse altitude où même une petite turbulence peut être désastreuse.

...la turbulence de sillage peut durer plus de deux minutes, que normalement, elle diminue après qu'elle se soit formée et qu'elle durera plus longtemps dans des conditions de vents calmes. Les aéronefs qui volent directement dans le centre d'un tourbillon formé en bout d'ailes tendront à rouler rapidement avec ceux-ci dans la direction du flux du tourbillon. Il est possible que les petits avions qui se trouvent confrontés à de larges tourbillons ne puissent se rétablir.

Il n'existe aucun critère d'espacement relatif à la turbulence de sillage pour les aéronefs qui évoluent selon les règles de vol à vue à l'arrivée. Il revient au pilote d'éviter la turbulence de sillage lorsqu'il évolue dans de telles circonstances. La seule procédure du contrôle de la circulation aérienne (ATC) concernant les aéronefs en VFR à l'arrivée est qu'un petit aéronef qui se pose derrière un aéronef de masse moyenne soit averti de la possibilité de se trouver dans de la turbulence de sillage à l'approche de la piste. Un tel avertissement a été l'objet du dernier message transmis par l'ATC au pilote de C-FCNU.

La technique recommandée aux pilotes pour éviter la turbulence de sillage consiste à suivre une trajectoire d'approche plus élevée que celle de l'avion qui les précède et de planifier de se poser au-delà de l'endroit où l'avion précédant a touché le sol.Note de bas de page 2 L'équipage de C-FCNU n'a pas suivi cette technique; il a effectué une approche à une altitude inférieure, ce qui l'a placé sous la trajectoire de l'avion qui le précédait.

Pendant un vol de formation intensive, un pilote est confronté à des tâches et à un processus mental qui aboutissent à une charge de travail de beaucoup supérieure à celle accompagnant un vol ordinaire ne servant pas à la formation. Les recherches en psychologie de l'aviation ont démontré que lorsque la charge de travail dans le poste de pilotage augmente, les pilotes font plus d'erreurs d'inattention. Ils oublient d'exécuter ce qu'ils prévoyaient faire et il ne remarquent pas les anomalies. Les experts en facteurs humains réfèrent souvent à une diminution de la conscience de la situation pour parler de l'effet combiné de ces erreurs.Note de bas de page 3

Analyse

Il est difficile de tirer des conclusions claires quant à la perte de maîtrise de l'appareil parce qu' il n'y avait pas d'enregistreur de données de vol à bord, qu'il a été impossible de procéder à des entrevues avec les pilotes et que de nombreux composants de l'avion ont été détruits dans l'incendie qui a éclaté après l'impact.

Les renseignements provenant du radar de l'ATC indiquent que l'avion a décéléré jusqu'à une vitesse qui s'approchait de la vitesse minimale de contrôle en vol. Il est probable que l'avion est passé d'une approche normale à une manoeuvre dont il était impossible de sortir, comme une vrille ou un décrochage. Il est toutefois difficile d'identifier avec précision ce qui a causé la manoeuvre impossible à maîtriser. Il y a eu une rapide décélération jusqu'à une vitesse qui s'approchait de la Vmca, sans stabilisation apparente de l'appareil et immédiatement avant le décrochage. Il est probable que l'avion a continué sa décélération sous la barre des 80 mi/h, soit la vitesse minimale de contrôle en vol. L'avion s'est alors trouvé dans un régime de vol où la maîtrise a été perdue sans possibilité de sortie. La position des commandes moteur - à l'exception du câble de richesse du moteur gauche et de l'interrupteur de la magnéto gauche - correspondait à la configuration normalement attendue pendant une tentative de rétablissement après un déséquilibre ou une perte d'altitude soudaine.

Le compensateur en direction avait été réglé à 15 unités vers la droite et le câble de richesse du moteur gauche était en position étouffoir. Ces deux points indiquent qu'il y a eu une simulation de panne moteur ou une véritable panne moteur avant la perte de maîtrise de l'avion. Les dommages subis par les hélices et les rayures inhérentes au calage des pales indiquent que la puissance et le régime des moteurs étaient élevés au moment de l'impact. Par conséquent, il est peu probable que la commande de richesse du moteur gauche ait été en position étouffoir et que l'interrupteur de la magnéto gauche ait été sur « OFF » avant l'impact. Il est probable que la commande de richesse du moteur gauche et l'interrupteur de la magnéto gauche ont été déplacés sous l'effet des forces d'impact ou qu'ils ont été frappés par des débris projetés à l'intérieur du poste de pilotage au moment de l'impact.

L'absence de tout message signalant une situation d'urgence à l'ATC réduit la probabilité qu'une panne moteur réelle se soit produite. Le compensateur en direction indique également qu'une vérification relative à une panne moteur simulée a été effectuée par les pilotes avant la perte de maîtrise. Il est donc peu probable qu'une panne moteur simulée soit à l'origine de la perte de maîtrise.

Les procédures du MANOPS ATC demandent aux contrôleurs d'avertir les pilotes de la présence de turbulence de sillage en utilisant l'expression « Attention turbulence possible » ou « Attention - turbulence de sillage ». Dans le cas présent, seuls les mots « turbulence de sillage » ont été utilisés après que la tour a fait part de l'état de la circulation aux pilotes. Cependant, le niveau d'expérience de l'instructeur et le message qu'il a donné en réponse à l'avertissement du contrôleur laissent croire qu'il a compris que ces mots avaient été prononcés en guise d'avertissement. Par conséquent, la phraséologie non normalisée du contrôleur n'a probablement pas contribué au fait que l'avion s'est peut-être retrouvé dans de la turbulence de sillage.

L'exploitation de l'avion en configuration simulée sur un seul moteur aurait placé l'avion dans un régime de vol à faible puissance et dans une assiette de vol asymétrique. Le vol à basse altitude et à faible puissance augmente grandement les difficultés à sortir d'un décrochage ou d'une assiette anormale. Par conséquent, même s'il est probable qu'une simulation de panne du moteur gauche n'est pas le facteur qui a entraîné la perte de maîtrise, cette situation aurait rendu difficile une sortie de décrochage ou un rétablissement de l'avion après un déséquilibre.

Puisque les pilotes de C-FCNU évoluaient en régime VFR, il leur incombait d'éviter la turbulence de sillage. Vu la charge de travail élevée dans le poste de pilotage en raison d'une formation relative à une panne moteur, il est probable que les pilotes de C-FCNU n'ont pas saisi l'importance du commentaire du contrôleur à propos de la turbulence de sillage ou, même en ayant compris, qu'ils n'ont pas senti le besoin de prendre des mesures au cas où il y aurait de la turbulence de sillage. Par conséquent, les pilotes ont continué à effectuer l'approche d'une manière qui les a sans aucun doute fait passer dans la turbulence de sillage de l'A-320. Les conditions de vents légers étaient propices à la persistence de la turbulence de sillage. Compte tenu de l'absence d'autres raisons possibles expliquant le déséquilibre de l'avion, il y a tout lieu de croire que ce dernier a probablement été confronté à de la turbulence de sillage, laquelle, combinée à la faible vitesse de l'appareil, a mené à un roulis provoqué par des tourbillons de bout d'ailes et à la perte de maîtrise que l'équipage n'a pu contrer.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les pilotes de C-FCNU ont perdu la maîtrise de l'avion à une altitude et dans une configuration de vol qui rendaient tout rétablissement impossible.
  2. La perte de maîtrise a sans aucun doute été le résultat d'une faible vitesse combinée à de la turbulence de sillage durant une approche au cours de laquelle il y avait simulation d'une panne moteur.

Faits établis quant aux risques

  1. Il n'existe, pour les ATC, aucun critère d'espacement en cas de turbulence de sillage visant les aéronefs VRF en approche, et plus particulièrement les aéronefs effectuant de la formation en VFR. Il existe un risque permanent que les aéronefs soient confrontés par mégarde à de la turbulence de sillage lorsqu'ils effectuent de la formation dans des zones où la circulation est dense et où se trouvent de plus gros avions.

Mesures de sécurité

Depuis l'accident en question, l'exploitant a étoffé les discussions entourant la turbulence de sillage durant les exposés avant vol et il a modifié les procédures d'exploitation normalisées (SOP) du Beech 95 pour y inclure les points suivants :

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .