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Avis de sécurité ferroviaire – 09/13

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Immobilisation du matériel et des trains laissés sans surveillance

Place du Centre
4e étage
200, promenade du Portage
Gatineau (Québec)
K1A 1K8  617-09/13

le 18 juillet 2013

M. Luc Bourdon (ASR)
Directeur général, Sécurité ferroviaire
Transports Canada
Immeuble Entreprise, 14e étage
427, avenue Laurier
Ottawa, Ontario
K1A 0N5

Dear Mr. Bourdon:

OBJET:
AVIS DE SÉCURITÉ FERROVIAIRE – 09/13
Immobilisation du matériel et des trains laissés sans surveillance

Vers 22 h 45, heure avancée de l'Est (HAE), le 5 juillet 2013, le train de marchandises MMA 2 de la compagnie Montreal, Maine & Atlantic (MMA) (le train) roulait vers l'est sur la subdivision Sherbrooke de la MMA, en route de Montréal vers Saint John (Nouveau-Brunswick). Le train mesurait 4701 pieds et pesait 10 287 tonnes. Il était composé de 5 locomotives de tête, d’une voiture VB utilisée pour l’équipement Locotrol nécessaire pour l’exploitation du train par un mécanicien de locomotive de la MMA opérant seul, d’un wagon couvert utilisé comme tampon, suivi de 72 wagons-citernes non pressurisés de marchandises dangereuses chargés de pétrole brut (Classe 3, UN 1267).

Vers 23 h, le train s’est arrêté à l’endroit désigné de changement d'équipe, au point milliaire 7,40 près de Nantes (Québec). Le mécanicien de la locomotive, opérant seul, a immobilisé le train et est parti pour la soirée, laissant la locomotive de tête déverrouillée et le train sans surveillance sur une voie principale ayant une pente descendante de 1,2 %.

À environ 23 h 50, un résident local a signalé un incendie sur la locomotive de tête (MMA 5017) au centre d'appel d'urgence 911. Par la suite, le service d'incendie local est intervenu, accompagné d’un autre employé de la MMA. Vers minuit, conformément aux pratiques d'exploitation établies, les procédures d'arrêt d'urgence ont été lancées sur la locomotive de tête, et l’incendie a été éteint. Après l’extinction de l’incendie, le deuxième employé de la MMA ainsi que le service d'incendie ont quitté le site, laissant encore le train sans surveillance.

Peu avant 1 h le 6 juillet 2013, le train a commencé à se déplacer. Il a accéléré en roulant à la dérive dans la pente descendante vers la ville de Lac-Mégantic (Québec), située 7,4 milles au sud-est de Nantes. Tout en voyageant à bien au-delà de la vitesse autorisée, le train a déraillé près du centre de Lac-Mégantic. Les locomotives se sont séparées du train et se sont immobilisées à environ ½ mille à l'est du déraillement. Le matériel qui a déraillé comprenait le wagon couvert (tampon) ainsi que 63 wagons-citernes.

Plusieurs des wagons-citernes déraillés ont perdu leur contenu, provoquant de multiples explosions suivies d’incendies. Environ 38 personnes sont mortes et 12 manquent toujours à l’appel. Le centre de la ville a subi d’importants dommages et environ 2000 personnes des environs ont été évacuées (événement n° R13D0054 du BST).

L’enquête en cours a déterminé que la force de freinage appliquée était insuffisante pour maintenir le train sur la pente descendante de 1,2 % entre Nantes et Lac-Mégantic.

Au fil des ans, le BST a mené des enquêtes sur un certain nombre d'accidents similaires de train à la dérive (voir l’annexe A). Chacune de ces enquêtes remet en question l’efficacité de la règle 112 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) approuvé par Transports Canada (TC), intitulée « Immobilisation du matériel roulant », ainsi que des procédures et pratiques normales d'exploitation des chemins de fer pour effectuer cette tâche.

Plus précisément, la règle 112 stipule :

  1. Lorsque du matériel roulant est laissé à un endroit quelconque, il faut serrer un nombre suffisant de freins à main pour en assurer l’immobilisation. Des instructions spéciales indiqueront le nombre minimum de freins à main à serrer aux endroits où le matériel roulant est laissé. Si le matériel roulant est laissé sur une voie d’évitement, il faut l’atteler au matériel roulant qui pourrait déjà s’y trouver, à moins que la présence d’un passage à niveau public ou une particularité des lieux oblige à les séparer.
  2. Avant d'utiliser un ou des freins à main pour immobiliser du matériel roulant laissé sur place ou arrêter un véhicule accompagné à sa destination, il faut en vérifier l'efficacité. Après avoir serré le ou les freins à main, il faut vérifier la résistance au déplacement en déplaçant légèrement le wagon ou la rame de wagons pour s'assurer que le ou les freins serrés produisent un effort de freinage suffisant pour immobiliser le matériel en question. Lorsqu'une rame de wagons est immobilisée, et après avoir terminé ce test, le matériel roulant laissé sur place devrait être observé en s’en éloignant pour s'assurer que le jeu d’attelage se soit stabilisé et que les wagons demeurent en place.
  3. Les freins à main ne doivent pas être serrés pendant que le matériel roulant est tiré ou poussé.

Les trains doivent être immobilisés conformément à la règle 112 du REF, en plus de toute instruction spéciale connexe des compagnies ferroviaires, instructions qui varient d'une compagnie à l’autre. Tandis que la plupart des instructions spéciales des compagnies ferroviaires spécifient le nombre minimum de freins à main nécessaires dans des conditions générales d'exploitation, elles ne précisent pas toujours le nombre de freins à main requis dans des conditions spécifiques. Souvent, il revient au personnel d’exploitation de déterminer le nombre de freins à main à appliquer. Le personnel doit prendre en considération la pente de la voie ferrée ainsi que le tonnage approximatif du matériel qui doit être immobilisé à cet endroit.

En outre, l'enquête n° R96C0172 du BST a établi précédemment qu'il y avait une grande variabilité dans l'efficacité du système de frein à main sur les wagons. La variabilité a été associée à la conception, à l'état et à l'entretien du système de frein à main, ainsi qu’aux différences entre les opérateurs par rapport à leurs capacités physiques et techniques personnelles utilisées pour appliquer les freins à main. Plus précisément, le couple appliqué par le personnel d'exploitation peut ne pas être proportionnel à la force du sabot de frein réellement appliquée. En d'autres termes, un couple élevé ne génère pas nécessairement une force de freinage élevée. Cette variabilité n'a pas été largement comprise au moment de l'enquête et pourrait encore présenter un risque, particulièrement avec de nouveaux employés.

Récemment, ajoutant à la complexité de la situation, l'enquête n° R12E0004 du BST a identifié que le test d’efficacité des freins utilisé par les chemins de fer pour satisfaire la règle 112(b) du REF ne confirme pas toujours adéquatement que la force de freinage du frein à main appliquée était suffisante pour maintenir les wagons.

La règle 112 du REF veille à ce que les freins à main soient appliqués pour éviter tout mouvement indésirable du train tout en offrant une certaine flexibilité opérationnelle aux compagnies de chemin de fer. Toutefois, la règle 112 du REF n'est pas assez précise en ce qu'elle n'indique explicitement pas le nombre de freins à main nécessaires afin d’immobiliser un train d’un tonnage précis sur des voies ferrées de différentes pentes. Il revient toujours au personnel d’exploitation de déterminer le nombre de freins à main à appliquer. En outre, il a été démontré que le test d’efficacité des freins n'est pas toujours un bon indicateur pour confirmer si un nombre suffisant de freins à main a été appliqué, et que tous les freins à main ne sont pas efficaces même lorsqu'elles sont correctement appliquées.

Compte tenu de tous ces risques, Transports Canada pourrait vouloir envisager de revoir la règle 112 du REF et toutes les instructions spéciales connexes des compagnies ferroviaires afin de garantir que le matériel et les trains laissés sans surveillance soient correctement immobilisés de façon à éviter tout mouvement non intentionnel.

Je vous prie d’agréer, Monsieur Bourdon, l’expression de mes sentiments distingués.

Original signé par Robert Johnston

Robert Johnston
Directeur intérimaire
Direction des enquêtes (Rail/Pipeline)

Attachement : Appendix A

Cc:
Edward A. Burkhardt
Président - Rail World Inc.
Montreal Main & Atlantic Railway (MMA)
Michael Bourque
Président & chef exécutif des opérations
Association des chemins de fer du Canada


Appendix A

Au fil des ans, le BST a enquêté sur un certain nombre d'accidents similaires de train à la dérive. Un résumé de quelques-uns des accidents les plus importants est annexé ci-dessous :

  • R96C0172 (Edson) - Dans la soirée du lundi 12 août 1996, les trois hommes qui se trouvaient dans la cabine de la locomotive de tête du train de marchandises n° 117 du Canadien National (CN) qui se dirigeait vers l'ouest ont subi des blessures mortelles quand le train qui filait à quelque 54 mi/h a heurté de plein fouet un groupe de 20 wagons partis à la dérive qui roulaient vers l'est à quelque 30 mi/h. L'accident est survenu à quelque 6 milles à l'est d'Edson (Alberta). Les wagons partis à la dérive avaient été laissés sur une voie au triage Edson par une équipe qui avait serré les freins à main de deux wagons-trémies couverts à céréales du gouvernement. L'équipe avait fait l'objet de peu de supervision permettant de s'assurer que les procédures de la compagnie en matière d'immobilisation des wagons étaient bien suivies. L'enquête a révélé que le rendement des freins à main de ce type de wagon présente une grande variabilité et que cette question de variabilité n'était pas bien connue. De plus, des composants des freins à main des deux wagons dont les freins à main avaient été serrés étaient manquants. L'équipe croyait que les wagons avaient été immobilisés, mais l'effort de freinage des freins sur les deux wagons n'a pas été suffisant pour empêcher les wagons de bouger. En conséquence, le groupe de 20 wagons s'est déplacé lentement vers l'est et a pris de la vitesse en se dirigeant vers la voie principale.

  • R09T0057 (Nanticoke) – Le 11 février 2009, à 21 h 18, heure normale de l'Est, le train de manoeuvre 0900 d'Hagersville de la Southern Ontario Railway, composé de 4 locomotives et de 43 wagons, part à la dérive du point milliaire 0,10 au point milliaire 1,9 de la voie de l'embranchement Hydro. Le train atteint une vitesse de 20,7 mi/h avant de passer un dérailleur à double attaque où 9 wagons-citernes chargés de marchandises dangereuses déraillent. Trois wagons-citernes remplis d'essence (UN 1203) sont perforés et environ 31 000 litres d'essence se déversent. Deux maisons avoisinantes sont évacuées; personne n'est blessé.

    L'enquête a conclu que l'accident est survenu quand l'équipe a laissé le train sans surveillance sur une pente de 1 % sans l'immobiliser adéquatement. Le train est ensuite parti à la dérive et a dévalé la pente sur 1,4 mille, au-delà d'un passage à niveau non protégé et atteignant une vitesse de 20,7 mi/h avant de rencontrer un dérailleur à double attaque, ce qui a provoqué le déraillement des 9 wagons arrières. Un seul membre de l'équipe étant présent à la fin de la journée de travail, les autres membres de l'équipe n'ont pas eu l'occasion de vérifier si le train était bien immobilisé.

  • R11Q0056 (Dorée) – Le 11 décembre 2011, alors que le train de marchandises LIM-55 descend une longue pente abrupte, le mécanicien de locomotive, ne pouvant plus contrôler la vitesse du train à l'aide des freins rhéostatiques et des freins de service, applique les freins d'urgence au point milliaire 68,00 de la subdivision Wacouna pour immobiliser son mouvement. Une heure plus tard, le train part à la dérive et dévale la pente sur une distance de presque 15 milles, atteignant une vitesse maximale de 63 mi/h. Il s'arrête finalement au point milliaire 52,80. L'incident ne fait aucun blessé et n'entraîne pas de déraillement.

    L'enquête a conclu qu'une heure après l'arrêt d'urgence et l'immobilisation du train, les freins à air se sont desserrés et, comme l'effort de freinage exercé par les freins à main était insuffisant, le train est parti à la dérive. En l'absence d'instructions précises tenant compte des conditions locales, il y a un risque de sous-estimer le nombre de freins à main nécessaires pour immobiliser un train dans une pente abrupte et de l'empêcher de partir à la dérive.

  • R12E0004 (Hanlon) – Le 18 janvier 2012, à 12 h 12, heure normale des Rocheuses, 13 wagons de charbon chargés qui roulent à la dérive vers le nord à partir de la voie d'évitement de Hanlon, point milliaire 41,7 de la subdivision Grande Cache, entrent en collision avec le train A45951-16 qui est immobilisé au point milliaire 44,5. Neuf des 13 wagons et les 3 locomotives de tête du train déraillent. Deux membres de l'équipe sont légèrement blessés et traités sur place alors que le troisième membre de l'équipe est grièvement blessé et est transporté par avion à un hôpital de Hinton (Alberta). Environ 2800 litres de carburant et 740 tonnes de charbon sont déversés. Un tronçon d'environ 250 pieds de voie est endommagé.

    L'enquête a conclu que le fait que le chef de train croyait que la voie d'évitement de Hanlon était en palier peut avoir fait en sorte qu'il a conclu qu'un seul frein à main était suffisant pour immobiliser la rame de wagons. Une fois que l'effort de freinage des freins du train a été suffisamment réduit en raison de la purge des cylindres de frein des wagons, l'effort retardateur de l'unique frein à main serré n'a pas pu résister à la force gravitationnelle des 13 wagons de charbon chargés. De plus, comme on a effectué l'essai de freinage en tentant de pousser les wagons en direction de la pente montante, l'essai de freinage n'a pas permis de confirmer que l'effort de freinage du frein à main serré était suffisant pour retenir les wagons.