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Publication du rapport d'enquête aéronautique A15P0081
Mot d'ouverture

Kathy Fox, Présidente du BST
et
Jason Kobi, Enquêteur désigné du BST
Richmond (Colombie-Britannique)
le 2 novembre 2017

Version française du mot d'ouverture, prononcé en anglais

Kathy Fox

La matinée du lundi 13 avril 2015, un turbopropulseur Metro II transportant des marchandises a quitté l'aéroport international de Vancouver à destination de l'aéroport Prince George, en Colombie-Britannique. Il est disparu du radar de contrôle de la circulation aérienne environ 6 minutes après le décollage.

Les membres de l'équipage n'ont signalé aucun problème. Lorsque l'épave a été retrouvée durant l'après-midi, les enquêteurs disposaient de peu de données sur les causes de l'accident. Les deux pilotes sont morts dans l'écrasement, et l'avion n'était pas équipé d'enregistreurs de données de vol ou de la parole dans le poste de pilotage.

Toutefois, seulement quelques semaines après le début de l'enquête, le coroner a remis les résultats des analyses toxicologiques. Le capitaine présentait un taux d'alcoolémie de 0,24, ce qui signifiait qu'il avait consommé une quantité importante d'alcool le jour de l'accident.

Je sais que ce sont des renseignements personnels et que le sujet est … délicat, en particulier pour les familles des personnes en cause. Mais, une fois ce fait connu, il devait faire partie notre enquête. Ce que nous avons appris a des répercussions à l'échelle nationale et a mené à la recommandation que nous émettons aujourd'hui :

Nous recommandons que Transports Canada, en collaboration avec le secteur de l'aviation et les représentants des employés, mette au point des exigences relativement à un programme global de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues, y compris des tests de dépistage, afin de réduire le risque que des personnes occupant des postes liés à la sécurité se présentent au travail avec les facultés affaiblies.

Je reviendrai sur cette recommandation dans quelques minutes. Je vais d'abord donner la parole à l'enquêteur désigné, Jason Kobi. Il vous parlera du déroulement des événements cette journée-là, des faits que nous connaissons et de ceux que nous ne connaîtrons peut-être jamais. Il vous expliquera aussi les causes possibles de l'accident.

Jason Kobi

Merci, Kathy.

Le matin de l'événement, le pilote et le copilote sont arrivés au travail et ont effectué les tâches requises avant le vol, notamment la préparation du plan de vol et le chargement de la cargaison. Ils ont aussi bavardé avec d'autres pilotes de l'entreprise. Un matin normal d'une journée normale. Personne n'a signalé qu'un des pilotes avait un comportement inhabituel.

Peu après le décollage, quelques minutes après 7 h le matin, l'avion avait atteint une altitude de 7500 pieds. À 7 h 08, l'équipage a confirmé l'autorisation de monter à son altitude de croisière de 20 000 pieds.

Et puis, plus rien. L'appareil est disparu du radar 80 secondes après la dernière conversation avec le contrôleur de la circulation aérienne.

Il n'y avait ni enregistreur de la parole dans le poste de pilotage ni enregistreur de données de vol à bord de l'avion. Le BST a souvent fait valoir que l'absence de données objectives mine grandement notre capacité de déterminer les causes des accidents. Cet événement en est un autre exemple. Nous avons donc passé des mois à effectuer des analyses approfondies de l'épave, des rapports météorologiques, des registres de contrôle de la circulation aérienne, des cahiers d'entretien et des dossiers des employés de l'entreprise pour éliminer le plus grand nombre de possibilités.

Nous avons été en mesure d'établir que l'avion avait effectué un piqué prononcé et que la vitesse extrême qu'il a atteint avait dépassé ses limites structurales, ce qui a causé sa désintégration en vol. Le stabilisateur horizontal de la queue s'est brisé en premier. Les ailes se sont ensuite repliées et le fuselage principal a été détruit par les hélices. L'épave a poursuivi sa chute vers le sol et des débris se sont dispersés sur un vaste territoire.

Mais la question demeure : pourquoi?

Malheureusement, nous n'avons jamais pu établir avec certitude la cause de cet accident. Nous avons établi trois scénarios possibles, mais chacun comporte des questions sans réponse.

Le premier repose sur la défaillance possible du circuit Pitot de l'avion, qui fournit à l'équipage des renseignements sur la vitesse de l'appareil. S'il y avait eu, par exemple, une défaillance des réchauffeurs des tubes de Pitot ou s'ils n'avaient pas été activés par le pilote, il est possible que de la glace ait bloqué les tubes. Si ce blocage s'est produit alors que l'avion se trouvait dans une couche nuageuse, les pilotes ont peut-être accidentellement amorcé la descente en tentant de trouver ce qui se passait avec leurs instruments de vol. Dans ce cas toutefois, la descente de l'avion n'aurait pas été aussi rapide et verticale que celle qui s'est produite. De plus, les pilotes auraient immédiatement et physiquement ressenti un tel mouvement.

Le deuxième scénario envisagé est l'incapacité du pilote. Compte tenu de son taux d'alcoolémie, ses facultés intellectuelles et physiques étaient probablement considérablement affaiblies. Il a peut-être même perdu conscience durant le vol. Cependant, même si le capitaine s'était, par exemple, affaissé vers l'avant sur les commandes, rien n'indique que le premier officier était frappé d'incapacité, et il aurait été en mesure de reprendre le contrôle de l'appareil.

Selon le troisième scénario, que nous n'avons pas pu confirmer ni rejeter, le piqué prononcé aurait été causé de façon volontaire. L'enquête a en effet ciblé certains facteurs liés au vol qui concordent avec un geste intentionnel : la descente de l'avion dans le sens du vol, le réglage de compensation en position maximale de piqué, la durée du piqué et l'absence de communication d'urgence et de toute manœuvre de rétablissement apparente.

L'enquête a aussi relevé d'autres facteurs, qui sont peut-être des coïncidences, mais qui corroborent ce scénario. Nous parlons notamment d'indicateurs de santé physique qui suggèrent une consommation d'alcool de longue date; de la relation entre l'utilisation de l'alcool et les comportements suicidaires; et de l'impact avec le relief délibéré d'un avion du transporteur Germanwings qui s'était produit seulement 20 jours auparavant. Toutefois, encore une fois, malgré ces recoupements, l'enquête n'a pas permis d'établir que le capitaine avait des intentions suicidaires.

Kathy Fox

Merci, Jason.

Je souhaite rappeler que le BST n'a pas pu établir pourquoi l'avion a piqué de façon prononcée, ce qui a entraîné sa désintégration en plein vol. Ces résultats ne sont pas satisfaisants, ni pour le BST, ni pour les familles des victimes, ni pour la population canadienne, qui, par ailleurs, continue de dépendre de l'un des modes de transport parmi les plus sécuritaires du monde.

Nous croyons toutefois que l'affaiblissement des facultés par l'alcool a presque certainement été un facteur dans cet accident. Nous devons donc en tirer des leçons et apporter des améliorations.

Les règlements de Transports Canada et des entreprises partout au pays, y compris de l'exploitant en cause, interdisent que les pilotes dont les facultés sont affaiblies prennent les commandes d'un avion. Ces règlements s'appuient cependant principalement sur la discipline interne. Des enquêtes précédentes du BST ainsi que plusieurs récents événements largement médiatisés ont montré que les règlements et la discipline interne ne sont pas toujours suffisants. Il faut un cadre plus rigoureux, en particulier dans le cas des personnes qui occupent des postes liés à la sécurité, lorsque  la vie des gens, disons-le franchement, pourrait être en jeu.

D'autres pays, comme les États-Unis et l'Australie, ont conclu que des tests de dépistage de drogues et d'alcool obligatoires sont plus efficaces, surtout lorsqu'ils sont accompagnés de programmes d'éducation, d'aide aux employés, de réadaptation, de retour au travail et de l'appui des pairs. Le secteur de l'aviation canadien n'a toutefois pas de telles exigences, du moins pas encore. Le risque que des titulaires de postes liés à la sécurité qui se présentent au travail avec les facultés affaiblies passent inaperçus est donc toujours présent.

Il est vrai que les employés du secteur de l'aviation canadien seront inquiets de devoir se soumettre à des tests de dépistage. Ces inquiétudes sont compréhensibles et il faut y répondre. Toutefois, les organismes de réglementation et les exploitants ont l'obligation de prendre en considération la sécurité du public.

C'est pourquoi le BST recommande aujourd'hui l'adoption d'une approche globale, et non seulement d'un programme de dépistage. Nous préconisons donc que Transports Canada, en collaboration avec le secteur de l'aviation et les représentants des employés, mette au point des exigences relativement à un programme global de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues, avec des tests de dépistage de drogues et d'alcool, afin de réduire le risque que des personnes aient les facultés affaiblies en assumant des fonctions liées à la sécurité. Ces exigences doivent prendre en compte et concilier la nécessité de respecter les principes des droits de la personne de la Loi canadienne sur les droits de la personne et la responsabilité de protéger la sécurité du public.

Merci.